Aspard m’observa en silence, avec une compassion un peu trop appuyée à mon goût.
« Que comptez-vous m’infliger pour me guérir de ma lâcheté ? demandai-je avec un mélange de scepticisme et de résignation déplorable même à mes propres oreilles.
— Si tu étais un lâche, je ne disposerais d’aucun moyen de rectifier le tir. Et tu n’aurais pas ta place ici. »
Ces paroles me rassuraient un peu, même si elles ne pouvaient suffire à me rendre ma sérénité. J’ignorais comment je pourrai venir à bout de l’embarrassante condition dans laquelle m’avait plongé l’attentat contre ma vie. J’aurais presque préféré avoir les deux genoux brisés au fait de me retrouver à trembler sous les coups d’un adversaire lors d’un simple combat d’entraînement.
« Je ne t’imposerai rien de bien compliqué. Tous les jours, à sept heures du matin exactement, je veux que tu me rejoignes ici – sauf, bien sûr, quand tu seras en opération. Et je te ferai travailler, en fonction de ton état… Nous repartirons de la base. Les plus simples des fondamentaux… »
Je me redressai, à la fois surpris et outré, mais Aspard étendit la main pour prévenir ma réaction :
« Ceci, dans un but précis : tout à la fois rééduquer ton corps, afin que la raideur ne s’installe pas dans tes cicatrices… mais aussi lui rendre ses réflexes élémentaires. Nous nous concentrerons sur les échanges les plus simples, ou tu prendras tour à tour le rôle de l’attaquant et de l’attaqué. Jusqu’au moment où ton esprit cessera d’interférer avec tes réflexes. »
Fronçant légèrement les sourcils, je considérai sa proposition. Tout bien réfléchi, ce n’était pas si stupide… Certes, il me faudrait mettre de côté mon amour propre, mais le jeu en valait la chandelle.
« Eh bien ? »
J’observai son visage aux traits aigus, tendu vers moi ; pourquoi un homme tel que lui, qui n’avait rien à prouver à personne, se donnait-il tant de peine pour moi ?
« Cela me paraît juste, déclarai-je malgré tout.
— Bien ! »
Il m’adressa un large sourire :
« Allez, debout à présent, et file te rafraîchir. N’oublie pas de prendre soin de ce genou. »
Il bondit sur ses pieds, ramassa ses gants et se dirigea vers la sortie de la grange. Un léger raclement de gorge me rappela la présence d’Initza, que j’avais totalement oubliée, tout à mon échange avec Aspard. Elle se leva du coffre où elle s’était perchée, et me considéra avec soin, les mains derrière le dos. Comme à son habitude, elle portait une culotte masculine avec de hautes bottes et une chemise blanche, par-dessus laquelle elle avait enfilé un gilet à basques, seule pièce de vêtement qu’elle concédait à sa féminité. Sa longue chevelure avait été nouée sur sa nuque.
Je me levai à mon tour et m’étirai, pour tenter de dissiper les multiples douleurs que l’exercice intensif avait réveillées dans mon corps. Je pris mon temps avant de me tourner de nouveau vers Initza, qui n’avait pas bougé. Même si j’avais raconté mon histoire à Aspard, je n’avais jamais eu l’intention de la mettre dans la confidence de mes malheurs passés. À présent, je craignais de découvrir de la pitié dans son regard – plus encore que de la moquerie, ce que j’aurais sans doute mieux accepté, surtout avec son tempérament.
« Herezan ? »
Sa voix hésitante, presque timide m’incita à porter toute mon attention sur elle. La jeune fille me toisait d’un regard pénétrant, mais indéchiffrable. En soupirant, j’attendis sa diatribe. Je pouvais déjà en entendre chaque mot dans mon esprit… Pourtant, elle demeura aussi silencieuse que moi, comme si elle ne savait que dire. Finalement, elle haussa les épaules :
« Allons-y. »
Nous gagnâmes ensemble la porte de l’ancienne grange et, dans un silence gêné, nous traversâmes la cour arrière en direction de l’auberge. Voyant que je traînais la jambe, elle ralentit un peu son allure. Une fois dans l’ombre fraîche de la salle, Initza me désigna une petite table dans un recoin discret, où j’allai m’asseoir avec soulagement.
Elle réapparut avec deux chopes en main ; elle en posa une devant moi avant de s’installer avec la sienne de l’autre côté de la table. Je ne me sentais pas en état de boire de l’alcool, mais je n’osai refuser son geste. Quand je me penchai sur le liquide, je sentis une odeur rafraîchissante qui me surprit agréablement. Initza m’adressa un petit sourire en coin :
« Mon père m’interdit de boire quelque chose de plus fort qu’une bière de temps à autre… et il faut bien que je trouve quelque chose pour me distraire de l’eau plate. C’est de l’eau de source parfumée avec des extraits de plantes. Même si tu n’es pas du style à préférer le petit lait aux liqueurs, je me suis dit que cela pourrait te plaire… »
Je refermai les deux mains sur la chope de faïence et la portai à mes lèvres. Initza avait raison ; la saveur me parut délicieuse et fort désaltérante. Certes, je préférerais toujours une liqueur ancienne, mais cette boisson me surprenait très agréablement… Je pris une nouvelle lampée du breuvage, conscient que ce don représentait aussi une offre de paix. Depuis mon arrivée, la jeune fille ne m’avait rien épargné, que ce fût au niveau des sarcasmes ou des critiques. Autant mes relations avec les petites Anya et Merien étaient devenues amicales – surtout de la part de la plus jeune qui m’idolâtrait quasiment, autant la fille de Karolys semblait prendre ombrage de ma présence dans son domaine.
Nous bûmes tous les deux en silence ; la compagnie n’était pas si désagréable. J’appréciai de pouvoir souffler après cette matinée épuisante. Et une Initza silencieuse représentait une rafraîchissante nouveauté. Malgré tout, sentir son regard posé sur moi finit par devenir un peu dérangeant. Je posai ma chope et me reculai dans ma chaise :
« Tu as quelque chose à me dire ? »
Elle faillit s’étrangler avec sa dernière gorgée et reposa brusquement le récipient. En homme charitable, je la laissai reprendre son souffle avant de hausser un sourcil, l’invitant à s’exprimer :
« Herezan, commença-t-elle d’une voix un peu tremblante. Je voulais te dire que… je n’étais pas au courant pour… ce qui t’était arrivé. »
Je sentis ma gorge se serrer… Je ne pouvais pas rejeter, malgré tout, sa bonne volonté. Et de plus, elle restait la fille du maître de la Confrérie !
« Eh bien, répondis-je avec résignation, tu le sais à présent. Ne te sens pas obligée d’être désolée… Cela appartient au passé.
— Mais tu en souffres encore.
— Oui, je ne vais pas le nier… »
Je me forçai à sourire :
« Mais ne te sens pas obligée de devenir gentille avec moi ! »
Initza éclata de rire :
« Gentille… moi ? Tu penses vraiment que je vais devenir gentille rien que parce que tu as vécu quelques moments difficiles ? »
Je lui rendis son sourire :
« Non. Je ne le pense pas.
— Très bien ! »
Elle reprit sa chope et regarda le fond avec une grimace en la découvrant vide :
« Et si tu allais te reposer comme tu l’as promis à Aspard ? Il va falloir que tu sois en forme pour qu’il te botte le derrière !
— Je finirai par botter le sien ?
— Tu y crois vraiment ? »
Aspard était un maître d’armes confirmé… bien sûr que je n’y croyais pas ! Malgré tout, je me sentais presque capable de le faire. Peut-être y avait-il bel et bien de l’alcool dans ce que je venais de boire ! Ou peut-être avais-je enfin lâché un peu de lest, après avoir porté des mois durant le fardeau de ces moments terribles qui hantaient encore les rêves…
Avec difficulté, je me mis sur mes pieds, serrant les dents quand mes muscles, qui avaient eu le temps de refroidir, se rappelèrent douloureusement à moi. J’adressai un petit sourire à Initza avait de me diriger vers l’escalier d’un pas pesant, en espérant que Klehon ne m’infligerait pas trop de reproches pour avoir abusé de mes forces.
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