Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 9 « Les Ombres Fées » tome 1, Chapitre 9

La tête tournée vers le miroir, l’ombre jeta un regard sévère aux protagonistes. Les mains ouvertes, le livre s’y glissa et s’ouvrit. Dans la pièce, le feu se mourrait et l’obscurité grandissait. Ainsi plongée dans la pénombre, la silhouette tendit un bras en direction de la porte dont les battants s’écartèrent en silence.

– Hâtons-nous mon enfant ! la suppliait la vieille femme qui, malgré son grand âge, marchait d’un pas alerte. Hâtons-nous, ou les ombres nous dévoreront !

– Quelles ombres ? avait demandé, presque essoufflée, la princesse.

Mais elle n’avait obtenu aucune réponse, seulement des encouragements à marcher encore plus vite. Fort heureusement, bien qu’en pente, le chemin ne comportait que peu de cailloux, et bientôt elles aperçurent la masure, d’où s’échappait un mince filet de fumée. Dans le ciel, en revanche, de lourds nuages noirs et menaçants, aux formes étranges, s’accumulaient et semblaient fondre sur les fugitives.

– Hâte-toi ! Hâte-toi !

La femme n’avait que ce mot à la bouche. Épuisée, Sváfa se serait arrêtée plus d’une fois si elle n’avait senti dans son dos la sourde menace. Elle ignorait tout du secret qui entourait sa naissance, de même que les mystères qui obombraient la disparition de son oncle peu de temps avant cet événement. Pourtant, elle ne pouvait se départir d’une étrange impression de familiarité avec la chose lancée à leurs trousses. Enfin, elles franchirent le seuil de la maison et la vieille femme put se débarrasser de ses oripeaux, tandis que la princesse se réfugiait près de l’âtre ; elle était gelée.

– Pourquoi ai-je si froid ? interrogea Sváfa qui frissonnait de plus belle.

– Patience mon enfant. Passe donc sur tes épaules cette couverture, elle te réchauffera.

La vieille femme lui tendit une épaisse pèlerine en laine qui sentait encore le suint. La jeune fille fit la grimace, puis s’enveloppa dedans et sombra dans les bras d’une douce obscurité. À peine endormie, son hôtesse se précipita et traça autour d’elle un cercle de craie. Par la fenêtre, elle aperçut la trombe touchée terre, avant de se métamorphoser en un homme aux yeux de braise ; il ne lui restait que peu de temps pour le recevoir avec tout le respect qui lui sied. Soudain, quelqu’un frappa à la porte.

– Entre donc ! s’exclama la femme qui avait dénoué son chignon, révélant une crinière de la couleur de l’or. J’ai préparé du thé et des gâteaux ; il me semble que c’est ainsi que se comportent les gens civilisés.

Sur le seuil de la porte se découpait la silhouette d’un homme à la taille hors du commun. Habillé à la manière d’un noble, il était enveloppé dans une cape de brocard noir ; un sourire mauvais illuminait son visage. Sans un mot, il pénétra dans la chaumière, un œil pointé sur sa propriétaire.

– Où est-elle ? gronda-t-il.

– Assieds-toi et prends donc un peu de thé. Tu n’as pas fait tout ce chemin seulement pour elle, rétorqua-t-elle amusé, tandis qu’elle attrapait un biscuit et le trempait dans sa tasse.

Ses yeux balayèrent du regard la pièce, en vain. Il n’y avait rien hormis la table, des chaises de mauvais bois, une couche de paille et le tas de bûches près de l’âtre. Résigné, il prit place et s’empara prestement de la tasse qu’elle lui tendait.

– En effet, maugréa-t-il. Je ne suis pas venu seulement pour elle.

En face de lui, la femme étirait un sourire narquois.

– Comme la situation est ironique, nous voici tous deux pris au piège de nos magies respectives. L’homme étrécit les yeux, mauvais.

– Pas de prince, pas de sauveur. Il n’y en aura jamais ici, car tout ceci n’est qu’un songe, le sien. Je l’ai compris lorsque je l’ai recueillie et que j’ai vu s’effacer le palais où elle avait vécu.

La femme s’interrompit, à l’affût de la moindre réaction de l’homme qui tenait à côté d’elle. La colère se lisait sur ses traits, mais aussi le désarroi.

– Aucun de nous ne la possédera, car elle nous a enfermés dans des rôles auxquels nous ne pouvons déroger. Que ce soit dans son rêve ou celui de son reflet. Nous voici, nous aussi, condamnés à attendre sa délivrance. Adieu… mon frère d’âme, soupira-t-elle, au même instant une tasse se fracassa sur le sol.

L’ombre fixait le seuil de la porte ; entre ses mains, les pages s’affolaient, enfin l’histoire s’écrivait.

Les yeux lui faisaient à cause de la clarté trop vive qui illuminait la pièce. Il voulut placer une main sur le visage, mais il se sentait bien trop las pour la lever. De dépit, il plissa les paupières dans l’espoir de filtrer un peu de ce trop-plein de lumière, quand une voix retentit.

– Ah ! Je constate avec plaisir que monsieur est de nouveau parmi nous. Sachez que nous nous sommes fait beaucoup de mauvais sang. Nous nous désespérions de ne point vous voir vous réveiller.

Comme il esquissa un geste, le majordome se précipita vers lui.

– Monsieur s’est évanoui. Vous êtes encore bien faible. Laissez-nous prendre soin de vous. Madame et mademoiselle, surtout mademoiselle, seraient fort chagrinées de ne point vous avoir pour le dîner. J’ai ouï dire que vous étiez un homme de bon goût.

Encore peu habitué à la clarté, il n’apercevait que le visage aimable de Svartrmaðr qui se penchait sur lui. Il voulut le remercier, cependant que de sa bouche ne jaillit qu’un vague borborygme.

– Que monsieur me pardonne, mais tout à l’heure dans votre agitation vous vous êtes mordu la langue. Hélas, nous avons dû vous la trancher ; elle ne tenait que par un minuscule bout de chair.

À ces mots, Aleister ouvrit de grands yeux, mais les referma aussitôt ; une lampe était braquée sur son visage.

– Oh ! quel vilain garçon vous faites ! Non ! Non ! Que monsieur ne se montre point trop curieux ou alors il lui en cuirait.

Le majordome s’interrompit, puis se reprit.

– Toutes mes excuses, monsieur, je crains que sur ce dernier point je ne me donne tort ; la cuisson est à point.

Comme Aleister tentait de protester, Svartrmaðr se pencha sur lui.

– Ne remuez pas ainsi, monsieur Stormwater, vous risqueriez de tomber et de vous blesser. De plus, où iriez-vous, privé que vous êtes de vos membres ?

– Allons, ne faites pas l’enfant ! ajouta-t-il comme il le soulevait et le couchait au fond d’un fauteuil, avant de l’éloigner de la source aveuglante.

Les yeux grands ouverts, il le vit s’emparer d’un combiné téléphonique.

– Madame, pouvez-vous dire que le dîner sera servi dans la grande salle, d’ici quelques minutes.

–…

– Naturellement, monsieur Stormwater sera des nôtres, même si je crains que sa présence ne soit des plus silencieuses ; un malencontreux incident, madame.

–…

– Fort bien, il en sera fait selon vos désirs.

Puis il se tourna vers le jeune homme réduit à l’état d’homme-tronc.

– Avez-vous entendu ? Comme je vous envie, mademoiselle tient à ce que vous recouvriez la parole ! Sans aucun doute un petit caprice de sa part, ricana-t-il.

Puis il s’empara d’un coffret au fond duquel reposaient trois morceaux de chair rosée.

– Que monsieur me pardonne ! Mais cela sera sans aucun doute douloureux, siffla-t-il comme il sortait de sa poche un nécessaire à couture.


Texte publié par Diogene, 22 avril 2018 à 20h42
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 9 « Les Ombres Fées » tome 1, Chapitre 9
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2836 histoires publiées
1285 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Fred37
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés