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tome 1, Chapitre 5 « Jeux de Miroir » tome 1, Chapitre 5

Alors que tous s’étaient retirés, le roi décréta que jamais la princesse ne devrait sortir du château, et ce jusqu’à ses quinze ans révolus, de cette manière jamais elle ne verrait son reflet dans la rivière et jamais la prophétie ne s’accomplirait. De son oncle, personne ne savait ce qu’il était advenu. Des messagers et des guerriers avaient bien été envoyés. Hélas, tous étaient revenus bredouilles. Aussi fut décrété le deuil et l’on l’oublia pour de bon. Ainsi vécut-elle, oiseau enchanteur prisonnier de sa cage dorée. De l’extérieur, elle n’avait de vu que depuis les remparts, les meurtrières et autres fenêtres, sous aucun prétexte elle n’était autorisée à franchir les douves et s’aventurer vers ces contrées qu’elle n’avait jamais explorées. Pour la distraire, ses parents lui avaient offert moult présents, tandis que précepteurs et maîtres se succédaient auprès d’elle, qui le chant, la danse, la littérature, la sculpture ou les sciences ; ainsi passait le temps. Cependant, chaque fois qu’elle présentait des velléités et faisait mine de prendre la clé des champs, on la réprimandait, puis l’on lui expliquait que si elle franchissait les limites du château un monstre, qui l’attendait dehors la dévorerait. Avec les années, elle avait appris à masquer ses envies et plutôt que de franchir les frontières, elle les dessinait et imaginait des contrées qu’elle avait aperçues dans ses rêves. Parfois, des oiseaux venaient se percher sur sa fenêtre et l’accompagnaient lorsqu’elle chantait ou jouait de son instrument. Or il advint un jour qu’une corneille, au ramage encore plus sombre que la nuit la plus noire, vint se poser sur le rebord de son lit.

– Bonjour, Sváfa, il paraît que ce sera bientôt ton anniversaire.

Surprise, la princesse poussa un petit cri.

– Toutes mes excuses, se reprit l’oiseau. Je suis l’envoyé de Simurg le roi des oiseaux et, pour te récompenser des soins que tu lui as un jour prodigués, il a décidé de réaliser le plus cher de tes souhaits.

– Ai-je fait cela ? s’étonna la princesse.

– Mais oui ! affirma d’un ton péremptoire le fabuleux animal. Souviens-toi, il y a plusieurs années de cela un hibou s’était fracassé contre la fenêtre de ta chambre, par bonheur, entrouverte. Hélas, notre malheureux roi avait été pris dans une tempête et il s’était brisé une aile. Tu l’as recueilli et grâce aux bons soins que tu lui avais alors prodigués il put guérir.

– Oh ! Oui ! Je me rappelle à présent. J’avais dû jouer de mille ruses pour le garder et le dérober aux regards trop inquisiteurs de mes servants. Oh ! c’est merveilleux ! J’ignorai ce qu’il était advenu de lui après que je l’eus relâché une nuit. Je suis heureuse de le savoir en bonne santé.

– Et nous, de l’avoir retrouvé princesse Sváfa. Nous nous mourrions d’inquiétude, car en plus d’être notre roi, il est aussi le réceptacle de la sagesse et de la magie de tout notre peuple. C’est pourquoi il m’a chargé de venir te récompenser, renchérit la corneille, dont les yeux avaient la couleur de l’or et de l’argent. Quel est ton souhait le plus cher, princesse ?

Sváfa tendit une main timide vers l’oiseau qui se rapprocha. Ses lèvres tremblaient et sa bouche était sèche.

– Tes yeux parlent pour toi, petite Sváfa. Dans trois jours ce sera ton anniversaire et le roi, ton père, aura invité de bien nombreuses gens et beaucoup de tes amies. Propose-leur de faire une partie de cache-cache, tandis qu’elles te chercheront je te guiderai et t’amènerai vers ces contrées dont tu rêves tant. Surtout, ne dis pas un mot à quiconque de notre échange ou alors je ne pourrais plus réaliser ton souhait.

La princesse acquiesça, puis la corneille s’envola.

L’ombre fixa un instant le livre ouvert puis le referma d’un coup sec. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux, puis roulèrent le long de ses joues avant de s’écraser par terre. Nerveuse, elle tourna son pâle visage vers le miroir et contempla le sinistre spectacle.

Dans le fond se tenait le majordome. Sa figure lisse ne trahissait aucune émotion, pourtant il ne pouvait s’empêcher de se sentir comme un insecte au bout de la pique d’un entomologiste. Il observa la femme qui, quelques instants plus tôt, l’avait stupéfié. Elle passait devant lui. Il ne voyait rien de son visage, cependant qu’il l’imaginait échanger un sourire de connivence.

– Si vous voulez bien me suivre, lui avait-elle glissé dans l’oreille, alors qu’elle se reculait. Svartrmaðr va vous conduire à vos appartements. Je sais que vous brûlez de la rencontrer. Patience, ma fille se mérite.

Svartrmaðr, un nom qui sonnait bien étrange pour un majordome. Froid et discret, il l’avait reçu avec tous les égards qui siéent à une personne de sa qualité. Pourtant, il n’avait pu alors se départir d’une singulière impression de malaise, comme s’il s’était retrouvé face à un personnage de musée de cire à qui l’on aurait insufflé une flamme de vie. En cet instant, il le fixait, ses yeux étaient dissimulés derrière des verres fumés, un sourire presque carnassier dessiné sur les lèvres.

– Monsieur, si vous voulez bien vous donner la peine de me suivre.

Le ton était exquis, sans pour autant être hautain, savant mélange d’obséquiosité et de préciosité. Ses gestes étaient également empreints des mêmes manières ; tout en souplesse et en délicatesse. Quant à la maîtresse de maison, elle avait disparu, avalée par le sombre couloir. Soulagé par sa brutale éclipse, le jeune homme redevenait un peu plus maître de lui-même et s’avança en direction du majordome qui n’avait pas bougé d’un pouce.

– Veuillez excuser les manières de ma maîtresse. Hélas, il y a si longtemps que mon maître ne lui fait plus honneur et délaisse leur couche.

Aleister fut si désarçonné par la manière dont l’homme lui avait lancé cette affirmation, qu’il se crut obliger de s’asseoir s’il n’avait eu peur du ridicule.

– Ah… bredouilla le jeune homme. Je… j’ignorais la chose.

– À tout malheur est bon, rétorqua Svartrmaðr. Au moins n’ai-je plus à ramasser les éclats de leurs voix et les vaisselles fêlées, non plus que je n’ai à réparer les sommiers et les lattes cassées comme au temps de leur folle jeunesse.

– Ah, si vous aviez connu monsieur dans l’ancien temps, se lamentait-il, comme il traversait un sombre corridor, éclairé seulement par quelques appliques suspendues aux murs. Il était d’une vigueur et d’une constitution. Hélas, il n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même. Rendez-vous compte ! Il pouvait rendre hommage à plus d’une dame à la fois.

Mais Aleister ne l’écoutait que d’une oreille distraite, plus attentif aux tableaux qui jalonnaient la galerie qu’aux paroles superfétatoires et pompeuses grandiloquentes du majordome. C’était des portraits, pour la plupart, de trois quarts d’une jeune femme qu’il reconnut sans aucune difficulté : Afávs Ednihtsrüf.


Texte publié par Diogene, 15 avril 2018 à 21h25
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