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tome 1, Chapitre 4 « Présage » tome 1, Chapitre 4

Cette nuit-là, la reine se savait féconde et bientôt elle deviendrait gironde. En effet, à mesure que les mois passaient, son ventre s’arrondissait et tout le monde se réjouissait. Cependant, il en était un qui, dans le secret de son esprit et de ses appartements, s’inquiétait de toute cette joie et de ses débordements. Il ne doutait pas que l'apparition de ce renard ne fut points le fait du hasard, aussi prétexta-t-il soudain des troubles dans ses terres pour quitter le château et n’y revenir que pour la naissance de l’enfant. Le roi, son frère, ne put dissimuler sa peine, mais son aîné le rassura tant et si bien de sa présence le jour venu qu’il le laissa partir sans regret dans le cœur. Il fut alors ordonné qu’on lui préparât le cheval le plus rapide des écuries et il s’en fut, non sans promettre d’être de retour promptement. Il savait que la reine n’aurait rien à craindre en son absence ; pareil sortilège ne se défait pas d’aimable manière. Hélas, il n’en irait pas de même pour l’enfant qui dès lors qu’elle aurait quitté la matrice maternelle deviendrait vulnérable. C’est ainsi qu’il voyageât jusqu’à un pays qui n’était pas le sien et disparut sans laisser de trace. Lorsque la nouvelle parvint à la cour, tous se réjouissaient de la naissance proche de l’enfant, mais le roi ordonna que l’on tût la nouvelle afin que ne fût point entaché par le malheur leur futur bonheur. L’événement approchait et tous se pressaient pour que tout fût parfait, peuples, vassaux, princes et cour des autres royaumes avaient été invités, de même que les fées, tous avaient été invités pour que fût fêtée comme il se doit l’heureuse naissance.

Ainsi alors que la joie se répandait dans le palais, que les vagissements d’un nouveau-né retentissaient et que s’avançaient les fées marraines, une ombre sortit de sous terre et se joignit à l’assemblée. Partout où elle passait, elle répandait la pestilence et couvrait de ténèbres chaque arpent de sol qu’elle foulait.

– L’on ne m’a point invité. Qu’à cela ne tienne, je suis venu de mon propre chef, grinça-t-elle d’une voix de crécelle alors qu’elle pénétrait dans la salle où avaient été couchés la reine et son enfant.

Trop stupéfaite, l’assemblée demeurait muette, glacée par la funeste apparition. C’était une très vieille fée laide et redoutable, oubliée, car tous la pensaient morte depuis fort longtemps.

– Réjouissez-vous, car moi aussi je désire lui faire un don, susurra-t-elle tandis que son regard acéré balayait l’assistance.

– Voici, à l’âge de quinze ans, la princesse apercevra son image dans la rivière et elle s’y noiera ! proclama-t-elle avant de disparaître dans un brouillard noir et nauséabond.

Mais avant que quiconque ait pu dire mot, une fée prit soudain la parole :

– Il ne m’appartient pas de défaire le sort. Cependant, plutôt que de mourir la princesse traversera l’envers du miroir et son reflet mourra à sa place. Elle y demeurera jusqu’à ce qu’un homme courageux et au cœur pur s’en vienne la délivrer.

Ainsi parla la marraine, les yeux baignés de larmes, en même temps qu’elle se réjouissait en son for intérieur.

Dans le ciel s’étaient amoncelés de lourds et sombres nuages porteurs d’orage. Le vent avait forci et à présent la cime des arbres se balançait avec violence. Déjà s’abattaient les premiers éclairs, la main sur l’espagnolette, l’ombre hésitait ; elle comptait.

Un murmure rauque lui parvint, la tempête était encore loin. Elle tourna son regard vers son reflet.

Le jeune homme perdait toute contenance. Des suées glacées coulaient le long de son échine et il sentait tout courage le fuir. Que n’avait-il prêté attention aux rumeurs et aux bruits qui courraient sur le compte de cette maison ? Combien, parait-il, avaient tenté de conquérir le cœur de la sublime et inaccessible Afávs Ednihtsrüf et n’étaient jamais reparus ?

– À quoi pensez-vous, charmant oiseau ? ronronna la femme, désormais à ses côtés, une main posée sur l’épaule.

Ses yeux brillaient de mille feux.

– Oh ! Laissez-moi deviner. Vous avez ouï dire que beaucoup étaient venus et que tous avaient disparu.

Prisonnier de cette femme au regard de braise, il s’efforçait de ne rien laisser paraître de la panique qui le gagnait. Il sentit soudain un doigt rouler sur sa pomme d’Adam, dont les mouvements affolés le trahissaient.

– Ma foi, c’est une chose fort possible, petit papillon. Ma fille n’est pas un objet, encore moins un jouet que l’on confie à des inconnus. Elle se mérite et il ne revient qu’à elle de choisir.

Sa voix devenait toujours plus suave, plus sucrée.

– Et que…, déglutit-il.

Mais il n’alla pas plus ; une bouche s’était plaquée sur la sienne et une langue l’étouffait presque.

– Et qu’arrive-t-il à ceux qui échouent, à ceux qu’elle repousse ? susurra-t-elle, les mains nouées autour de son cou.

– Tu le sauras bientôt, petit oiseau, ajouta-t-elle comme elle se détachait de son corps tremblant.

L’ombre se retira et referma la fenêtre alors que s’abattait une pluie diluvienne, annonciatrice des heures sombres à venir.


Texte publié par Diogene, 1er avril 2018 à 11h18
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