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tome 1, Chapitre 3 « Le Prince » tome 1, Chapitre 3

Silencieuse, l’ombre se leva, puis se retira. Encore une fois, personne ne viendrait. À pas lent, elle se dirigea vers la lourde porte de métal noir, dont les battants s’étaient entrouverts. Elle ne pouvait se résoudre à se retourner et à admirer une fois encore le catafalque sur lequel reposait le corps inanimé de la princesse derrière le miroir. Trop de chagrin, trop de larmes emplissaient à présent son cœur. Elle, qui ne racontait que le passé et qui ne faisait qu’entrevoir tous les futurs possibles, s’interrogeait désormais sur son rôle. Au-dessus de tout et de tous, elle n’en demeurait pas moins leur enfant à tous. Hélas, elle se devait de ne jamais intervenir, au risque de détruire à jamais l’avenir. Le livre dans les bras, elle jaillit de l’âtre. Dans la cheminée, les flammes dansaient et réchauffaient l’atmosphère. Sur son visage, des éclats mordorés se reflétaient, assise face au foyer, elle reprit son ouvrage.

Encore confuse et surprise, la reine était revenue au château, mais n’avait pas soufflé mot de sa rencontre avec le singulier poisson, non plus que de la promesse qu’il lui avait faite. Pourtant, dans les couloirs du palais tous avaient remarqué, sans oser le dire tout haut, l’étrange sourire qui flottait sur ses lèvres, pas même le roi, son époux. Il avait été, de plus, fort surpris quand elle lui avait glissé ces quelques mots dans l’oreille, alors qu'elle prenait place à côté de lui au dîner : Votre Majesté, me ferez-vous la grâce de m’honorer, cette nuit, dans ma couche ? Encore vert et plein de vigueur, il n’en fut pas moins ébaubi, et ravi, par autant de fougue et de candeur. Les pages et valets avaient tous observé le rougissement des royales joues. Mais, de même qu’ils s’étaient tus lorsqu’ils avaient aperçu le sourire de ravissement de leur maîtresse, ils n’avaient point ajouté mot à ce trouble qui s’était emparé de Leurs Majestés.

– Que vous arrive-t-il, ma mie ? soupira le roi, alors qu’il se glissait dans la suite nuptiale.

– Rien qui ne saurait point vous enchanter, mon royal et tendre époux, ronronna-t-elle, comme elle fermait la porte derrière elle, avant d’en pousser le verrou.

Fasciné par l’effeuillage élégant et plein de grâce de sa dame, il n’aperçut pas l’étrange éclat qui brillait au fond de ses yeux.

– Qu’avez-vous donc, mon jeune ami ?

Élégant et plein d’entrain, son teint avait viré couleur cendre sitôt qu’il eut croisé le regard de cette femme, au demeurant fatale. Éteinte et maussade, son visage s’était soudain éclairé après qu’elle eut découvert le sien. Il y avait si longtemps, son époux n’était plus que l’ombre de lui-même, et en même temps si peu, quelques semaines tout au plus. Elle avait encore sur la langue les exquises sensations de sa chair crue. En face d’elle, le jeune homme transpirait, malgré son affiche froide et indifférente.

– Rien madame, parvint-il à articuler, malgré la boule d’angoisse qui lui enserrait la gorge.

Fascinée par la pomme d’Adam qui tressautait, elle ne l’en trouvait que plus à son goût.

– En fait, je venais m’enquérir de…

Mais il n’osa, il ne put achever sa phrase, pétrifié qu’il était par le regard dantesque que dardait sur lui son hôtesse.

– Ah ! et donc en quelle qualité venez-vous ? ronronna-t-elle.

Sous son costume, il son poil se hérissait. Animal piégé, il sentait la toile de la veuve noire se refermer sur lui.

– Madame, déglutit-il. Je suis, Aleister Stormwater, fils de Sir Archibald Stormwater, duc d’Everglass.

– Sir Stormwater, dites-vous, susurra-t-elle.

Un instant, il crut qu’elle avait glissé un glaçon dans sa bouche, tant le timbre de sa voix était sucré et doucereux.

L’ombre avait suspendu sa lecture et s’interrogeait sur la nature de la scène qui se déroulait sous ses yeux. L’instant était si étrange. S’amusait-ille et feignait-ille l’ignorance, ou alors était-ille sincère ? Elle n’aurait su trancher entre les deux vérités. Ille était si imprévisible, son esprit était si tortueux et son verbe si outrageux. Il était un comédien né, capable de retourner à son profit même la situation la plus désespérée. Elle délaissa les protagonistes et reporta son attention en direction de la baie vitrée qui donnait sur le jardin. Abandonnées depuis des années, les ronces avaient tout envahi, jusqu’à devenir des lianes épaisses et noueuses qui montaient presque jusqu’au sommet du donjon qu’elle occupait. La main sur l’espagnolette, elle hésita un instant puis ouvrit la fenêtre. Un vent frais soufflait entre les tours et emportait les fragrances des fleurs encore entrouvertes. Elle étendit la main et en cueillit une. Au bout de son index, une perle écarlate avait jailli. Elle la contempla un long moment ; à l’intérieur se reflétait le rêve d’une princesse endormie. Elle retourna sa paume et la goutte vermeille tomba dans l’abîme noir situé en contrebas.


Texte publié par Diogene, 1er avril 2018 à 11h04
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