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tome 1, Chapitre 34 « Le Monastère » tome 1, Chapitre 34

« Bienvenue au monastère. »

Amalia s’écarta vivement de Kentigern et recula de plusieurs pas, désorientée. Aux décors familiers de son appartement dubaïote succédait une étendue verdoyante. L’odeur d’un sous-bois chassa celle aseptisée de l’air conditionné. La jeune femme, encore en pleures, ne nota qu’en arrière-pensée l’impossibilité grotesque d’un transfert sur une telle distance ; passer du désert saoudien à une forêt boréale, en un battement de cœur, n’était ni plus ni moins inconcevable que de ruines bavaroises aux toits de l’Himalaya. Elle trébucha, tituba, se retint au tronc d’un chêne, puis se figea, muette et sidérée par le spectacle grandiose qu’elle découvrit en relevant la tête.

La large clairière au bord de laquelle ils venaient d’apparaitre s’étirait en pente douce vers l’orée d’un bâtiment d’une envergure tel qu’il dévorait l’horizon. La démesure de l’ouvrage en distillait les lignes jusqu’à brouiller toutes perspectives. Amalia souffla un juron. Ses yeux, écarquillés, en oublièrent de pleurer.

Au centre de la percée, monumentale même à plusieurs centaines de mètres de là, se dressait un immense porche, fermé d’une porte massive. Des volées d’arcades en pierres rouges, blanches et grises se répétaient à l’infinie, dégagées de la végétation aux abords du portail, puis mêlées au bois, enchevêtré d’arbres, de lierres et d’entrelacs de feuillage ; comme intriquées dans une étreinte intime, au point que la sorcière n’aurait su dire ce qui, du végétal ou du minéral, faisait partie de l’édifice ou de la forêt.

Couvre-chef majestueux posé sur les cimes des tuiles, un immense dôme tout de briques, de verre et d’arabesques en dentelle d’acier couronnait ce que Kentigern venait de désigner comme Le Monastère.

Amalia, non sans effort, parvint à en détacher le regard pour porter son attention sur ce que la titanesque devanture ne dévorait pas de l’environnement. Au loin, en contrebas, pourrissaient les ruines écroulées d’une ville, série de tours aux silhouettes de métal éventées, amas de gravats rongés, recouverts, digérés par la mousse et le lierre… Le paysage présentait des variations familières et, s’il n’y avait eu l’invraisemblable structure du Monastère, la jeune femme aurait parié sur l’Europe du Nord, quelque part entre Paris et Stuttgart.

« Bien vus, nous sommes dans ce coin-là. »

Amalia sursauta et remonta ses défenses mentales, agacée. Kentigern se porta à son niveau, contemplant la grandiloquence architecturale du Monastère. Il était chez lui, ici. Sa fierté, sa certitude, son engagement pour la Confrérie se lisait sur chacun de ses traits, sur son visage serein et déterminé.

« Il n’existe pas de tel monument dans cette zone, objecta la jeune femme, la voix enrouée.

— Il n’existe pas de bâtiment accessible au commun des sorciers dans cette zone, en effet. Nous savons très bien faire oublier notre présence. »

Amalia reporta son regard sur le Monastère. Les journaux fédéraux prétendaient que Leuthar usait de pareils charmes pour interdire ses points de chute à ceux qui ne lui prêtaient pas allégeance. Elle avait toujours considéré cela impossible. La quantité de magie pour cacher en permanence un lieu, serait-ce une maison de ville, lui semblait chimérique. Alors un tel édifice…

« Impossible », souffla-t-elle.

Kentigern rit et s’engagea dans la prairie. Amalia l’observa avancer d’un pas égal, sans un regard vers elle, confiant dans le fait qu’elle le suivrait quoiqu’il arrive. Elle aurait pourtant pu se transférer ailleurs et, en plus de fuir Dubaï et les conséquences de son plan foireux, se mettre à l’abri de cet homme.

Elle lui emboîta le pas, incertaine. La clairière, longue de plusieurs centaines de mètres, était quadrillée de sentes imprécises d’herbes couchées. On aurait pu les croire causées par le passage de quelques animaux, si elles n’avaient toutes convergé vers l’immense porche. La porte en bois sombre, dont la finesse des gravures et ferronneries se révélait à mesure qu’Amalia progressait vers elle, attirait irrésistiblement le regard de la sorcière.

Absorbée par son cheminement entre les mottes éparses, bercée par une douce odeur de fleurs des champs exaltée par la fraîcheur matinale, la jeune femme fut soudain prise d’un vertige terrible. Le goût aigre de la culpabilité remonta dans sa gorge et explosa d’amertume dans sa bouche, drainant avec lui un torrent salé qui déborda de ses yeux et noya son visage. Tout avait basculé si vite. Alan arrêté, par sa faute. Le village condamné, par sa faute. Et Malo… Amalia se figea brusquement. Qu’est ce que je suis en train de foutre, Merlin ? Fuir, au lieu d’assumer ses actes, et, encore, laisser derrière elle tous ceux qu’elle aimait.

Une rage brûlante, entièrement dirigée contre elle même, lui perça le ventre. Était-ce donc à cela qu’elle voulait ressembler ? Une pauvre âme, incapable de se montrer digne dès que le vent tournait, une lâche tout juste bonne à prendre les pires décisions possibles ? D’un geste sec, Amalia chassa les larmes de son visage, carra les épaules et jeta un regard noir à Kentigern. Il avait atteint le seuil du Monastère et l’observait de son air le plus calme et bienveillant.

La jeune femme se remit en mouvement, parcourant à grandes enjambées les quelques dizaines de mètres restants jusqu’à la porte. Un perron de quelques marches rendait l’ensemble encore plus impressionnant. Amalia, avec à peine un coup d’œil pour le confrère, tordit le cou vers l’arrière pour détailler l’ouvrage de bois sombre, décoré de motifs d’une ahurissante finesse.

Si elle entrait là, elle acceptait définitivement de tirer un trait sur Dubaï. Impossible.

Kentigern, sans prévenir, lui infligea une légère pression mentaliste. La jeune femme sursauta et porta une main contre son front en serrant les dents. Se faire gifler n’aurait pas eu un effet différent.

« Tu vas entrer en territoire Confrère, précisa sèchement Kentigern, sans lui laisser le temps de s’insurger. Garde tes pensées pour toi, personne ne te fera de cadeau, moi y compris. »

Amalia haussa très haut ses deux sourcils, stupéfaite d’encore s’étonner des pratiques peu recommandables de la Confrérie. Elle ravala une insulte.

« Et vous usez souvent de punitions mentales pour inculquer vos leçons ? articula-t-elle d’une voix glaciale.

— Oui.

— Vous êtes tarés, je me barre.

— Maintenant que tu es là, jette au moins un coup d’œil. »

Sans doute mue par quelque sortilège, la porte du Monastère s’ouvrit d’elle-même. Ses gonds coulissèrent sans un bruit, le bois laissa apparaître l’intérieur de l’édifice qui, de son souffle ensorceleur, chassa la révolte de la sorcière. Amalia resta figée plusieurs secondes, émerveillée, avant de franchir le seuil et, sans en avoir conscience, de pénétrer dans l’enceinte Confrère.


Texte publié par Cestdoncvrai, 23 mai 2018 à 10h56
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