Amalia, Alan et le directeur de l’enclave reprirent la route dans un silence tendu. Les deux hommes espéraient que le dispositif fonctionnerait, elle résistait à sa furieuse envie de redécorer l’habitacle.
L’impatience pleine d’attentes de l’ancien Yasard donna la force à Amalia de surmonter son malaise. Elle pouvait presque entendre le cœur d’Alan battre, alors qu’ils parcouraient l’interminable escalier d’accès au réservoir.
Ils ne croisèrent aucun membre du personnel dans l’enceinte du bassin, précaution élémentaire pour limiter le nombre de témoins. L’artefact, une fois immergé, ne serait plus détectable. Akio prit son temps pour le faire descendre doucement, attentif aux courants. Il l’immobilisa au fond et activa le charme.
Alan sortit sa brique Yasard et contacta quelqu’un au village
« Thanhà… Vas-y, essaye. »
Sa voix tremblait d’émotion. Au bout du téléphone, la foule cria de joie. L’homme pleura, agité d’un rire incontrôlé. Le directeur lui asséna une petite tape dans le dos et Amalia détourna le regard. Les sentiments du Breton la transperçaient et elle peinait à ne pas participer à son euphorie.
La suite ne fut qu’une formalité. Allan rentra au village, la sorcière versa à Akio les Dens manquants, se plaignit de l’incivilité de ces humains, le remercia avec une chaleur tout à fait feinte, puis repartie par transfert officiel.
À l’hôtel, elle se débarrassa de sa tenue ridicule, enfila un pantalon en lin et un t-shirt, puis elle se précipita hors des murs de la ville pour rejoindre la communauté par ses propres moyens. Pour la première fois, elle y parvint fraîche et en bonne forme. Là-bas, la fête battait son plein. Son arrivée provoqua une vague de hourras. Alan et Malo accoururent et la serrèrent dans leurs bras. Elle ployait sous les mercis.
L’euphorie des humains déborda chez elle. Elle se drogua de leur joie, se soula de leurs cris, s’enivra de leurs amours. La vie semblait renaître, en plein milieu du désert, pour quelques litres d’eau. Elle n’avait jamais ressenti ça, elle n’avait jamais éprouvé chaque émotion comme une telle explosion d’allégresse. Elle exultait, à fleur de peau, dans un mélange de liesse et d’extase qui lui offrait une nouvelle et délicieuse façon de percevoir de son don. L’excès de sentiment rendait son ventre brûlant de plaisir.
La fête s’éternisa dans la tombée de la nuit et battit son plein jusqu’aux aurores.
Quand, enfin, les Bretons se couchèrent, ivres de bonheur et, il est vrai, d’alcool, Amalia redescendit, peu à peu. Elle ressentait leur départ comme un manque. Elle voulait encore sentir leur joie, les sentir vivre, s’oublier dans leur extase. Le vide s’intensifia et elle qui avait prévu de dormir sur place décida brutalement de rentrer chez elle.
« Tu es sure de toi ? » demanda Malo, d’une voix pâteuse.
Iel puait l’alcool et avait du mal à se tenir droit⋅e. Iel avait anticipé l’épuisement des cuves de bière bretonne et ramené un stock conséquent de boissons en tous genres. Avec la chaleur, Amalia aurait parié que les humains flancheraient bien plus tôt.
« C’est mieux comme ça, oui, répondit-elle avec un sourire.
— Je te raccompagne, décréta Allan. Tu ne peux pas rentrer en transfert dans cet état de fatigue. »
Lui restait en pleine possession de ses moyens. Garant du bon déroulement de la soirée, il n’avait rien consommé, rien fumé.
« Pas question de prendre la voit…
— Ce n’est pas une question. »
Amalia le suivit de mauvaise grâce et s’installa à côté de lui à l’avant du véhicule. Elle grogna une minute, puis tomba de fatigue et s’endormit. Elle ne se réveilla qu’une fois devant l’hôtel : Alan avait posé sa main sur son épaule.
« Tu es glacé, souffla-t-il, amusé.
— On est déjà arrivé ?
— Tu as dormi tout du long. »
Elle voulait bien le croire, elle se sentait déjà mieux.
« J’aurais voulu que la fête ne s’arrête pas, avoua-t-elle dans un soupir.
— Il faut bien dormir.
— J’étais bien, avec vous. Toute cette joie… »
Il sourit. De la joie, il en ressentait encore beaucoup. Une flamme brûlante de satisfaction rayonnait toujours en lui.
« Tu as dit que tu me raccompagnais ? »
Elle sortit de la voiture et l’invita à la suivre, ce qu’il fit sans poser de question. Ils montèrent par l’escalier jusqu’à l’appartement d’Amalia et elle s’arrêta juste devant. La sorcière se retourna, attrapa son haut de lin entre ses mains, le rapprocha d’elle et l’embrassa. Elle ne comptait pas terminer la nuit seule.
Ils avaient vécu des moments forts, elle savait très bien qu’elle n’avait aucune envie de ressentir ce qui naissait entre eux. Demain, elle réaliserait qu’elle ne pouvait pas aimer un homme qu’elle avait rencontré quelques jours plus tôt, tout rentrerait dans l’ordre. Mais elle le voulait, lui, maintenant et toute de suite. Lui et ses sentiments contagieux, lui et son sourire heureux, lui et sa franchise, raz de marée permanent d’émotions. Demain, ça ne serait plus pareil, mais là, immédiatement, elle désirait s’étourdir de sa jouissance.
À travers lui, retrouver ses sensations à elle, différencier son plaisir du sien pour mieux les mêler, confondre leur corps pour séparer leurs impressions. Continuer la nuit en l’arrêtant contre lui.
Il répondit à son baiser avec la même envie, les mains sur ses hanches, tremblant de l’attirance qu’ils ressentaient comme une évidence. Il était passionné, elle aussi. Elle était impulsive. Pas lui.
« Pas aujourd’hui, souffla-t-il contre ses lèvres. Pas maintenant. Ce n’est pas bien, on n’est pas en état de savoir ce que l’on fait. »
Il avait raison, bien sûr, mais elle s’en foutait. Elle redoubla d’ardeur, il la repoussa avec difficulté.
« Demain. »
Il s’écarta d’elle précipitamment et lui jeta un regard qui lui transperça le ventre.
« Je reviens demain et si tu en as encore envie… »
Si elle en avait encore envie, ils y passeraient la journée.
Il s’en alla et Amalia le regarda disparaître au coin du couloir. Elle poussa un soupir frustré. Elle voyait mal comment dormir après ça. Son corps brûlait de désir.
Elle entra et s’immobilisa. Debout devant le balcon, Kentigern l’attendait, chez elle. Encore.
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