Amalia résista à l’idée d’outrepasser leur marché toute la matinée du lendemain. Malo frappa à la porte de l’appartement aux alentours de midi et exigea une bière et une clope avant de parler.
Cinq minutes après l’arrivée de l’humain⋅e, iels étaient déjà confortablement installé⋅e⋅s dans un fauteuil, une mousse à la main, un paquet de fines cigarettes entre elles deux.
« Il n’est même pas 13h, fit remarquer Amalia. Tu as fait vite !
— Je n’avais pas envie de prendre le risque que tu partes en mode rentre-dedans sans réfléchir. »
Amalia ne releva pas. Ses réactions, bien qu’en général extrêmes, lui semblaient toujours raisonnées et parfaitement sensées, mais elle se savait d’une mauvaise fois légendaire à ce sujet. Autant ne pas s’attarder là dessus.
« Donc ? insista-t-elle.
— De ce que j’ai pu voir, le gars est clean. »
Iel sortit une feuille de notes et lue en diagonale :
« Il vient d’une famille modeste de Dubaï et a gravi les échelons rapidement. Il est célibataire depuis six ans. Je ne lui ai pas trouvé d’enfant. Son ex-femme et lui se sont séparés d’un commun accord, le divorce a été prononcé sans…
— Donc ce n’est pas risqué, on est d’accord, coupa Amalia.
— En tout cas, tu n’as pas à te méfier d’une épouse ou d’un époux.
— Ça me suffit.
— Tu ne veux pas plus de détails ? »
La sorcière haussa les épaules. Non, elle n’en avait pas besoin. Malo insista tout de même pour la renseigner sur sa religion, son engagement auprès des Cités Arabes et lui dressa la liste des derniers contrats de l’homme, mais Amalia ne l’écoutait que d’une oreille.
Iels terminèrent leur verre et leur cigarette, puis Amalia prit la route du Burj Khalifa. Elle comptait interroger Karl sur sa propre famille. Si elle voulait donner le change lors du repas de ce soir, elle devait s’informer des actualités politiques et industrielles des Hohenhoff.
Gabir se chargea de contacter Akio Liu, sans poser de questions. Le majordome confirma dans l’heure l’acceptation de l’invitation. Amalia, enchantée par le rôle qu’elle devait jouer, prit très au sérieux la préparation de son personnage. Elle serait cette aristocrate typique, celle qui, en se préoccupant d’une situation désespérée, s’achetait une conscience. Elle serait l’une de ces sorcières qu’elle méprisait.
Quand elle estima en avoir appris suffisamment sur les dernières affaires de sa famille, Amalia commença à s’apprêter.
Elle opta pour une superbe robe sur laquelle elle avait craqué dès son arrivée à Dubaï, quand elle s’était mise en tête de se constituer un bagage vestimentaire de luxe pour les cinquante années à venir. La longue tunique noire se fendait sur sa jambe gauche jusqu’au milieu de sa cuisse. Une fine dentelle partait de ses épaules et cerclait sa poitrine pour dégringoler sur ses hanches et se rejoindre dans son dos. On devinait sa peau claire à travers le jour brodé de la soie. Un simple sort de maintien permettrait de descendre le tissu sur ses bras et laissait nu sa gorge.
Elle se détailla dans le miroir, surprise. Elle avait oublié combien elle aimait ça. Se sentir belle n’était pas nouveau. Elle aimait qui elle était, ce à quoi elle ressemblait et n’avait aucun scrupule à l’affirmer. Elle aimait prendre soin d’elle. Elle aimait choisir ses tenues pour se mettre en valeur. Pourtant, depuis plusieurs années, elle ne se permettait plus ce genre de toilette. À Aon, elle se contentait d’habits simples et classiques, de préférence sans magie, aussi ses derniers souvenirs de pareilles parures dataient de son adolescence. Depuis, elle avait mûri. Ses courbes s’étaient affirmées, consolidées. La femme qu’elle avait en face d’elle portait à merveille ce type de vêtement.
Elle enfila une paire d’escarpins au talon bas et détailla ses cheveux. Courts, comme à l’habitude, ils contrastaient avec l’élégance de la tenue, ils la rajeunissaient. Peut-être les laisserait-elle pousser, à l’occasion.
Elle se maquilla, choisit un châle rouge à poser sur ses épaules et patienta, une cigarette entre les lèvres, le regard perdu sur Dubaï. Elle ne doutait pas de sa capacité à faire plier l’homme, mais elle ne pouvait s’empêcher d’appréhender la suite. L’argent suffirait-il ou aurait-elle à coucher avec lui ?
Gabir frappa à la porte et Amalia souffla sa fumée. Il était temps de jouer la femme hors de portée. Elle écrasa sa clope dans le vide et rendit au restaurant.
Le directeur de l’enclave, Akio Liu, l’attendait sur une petite table à l’écart des autres clients. Un sortilège de discrétion les entourait, précaution élémentaire assurée par l’hôtel pour garantir une parfaite confidentialité a ses hôtes. Ils pourraient parler de leurs affaires tranquillement.
« Madame Hohenhoff ?
— C’est bien moi. Monsieur Liu. »
Elle serra la main qu’il lui avait tendue en se levant à son approche et s’assit avec un mouvement gracieux.
« Je suis vraiment heureuse que vous ayez répondu à mon invitation.
— Une invitation par la famille Hohenhoff ne se refuse pas, voyons.
— Un homme occupé comme vous aurait eu de bonnes raisons de refuser. J’espère ne pas vous faire perdre d’argent ce soir.
— Je suis certain de pouvoir tirer meilleur profit en votre compagnie que de la réception mondaine à laquelle j’étais convié. »
Ils échangèrent un regard entendu, on leur apporta un vin pétillant à méthode champenoise – un alcool aussi rare que cher – et ils s’adonnèrent aux banalités classiques d’une introduction de repas aristocrate. Ce fut, pour Amalia, le début d’une longue soirée particulièrement inintéressante, ponctuée de considération économique dont elle n’avait que faire.
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