La sorcière se réveilla à l’ombre, dans une salle bien fraîche, un linge humide sur le front. On l’avait allongée à même le sol d’une petite maison.
« Alaaaaannn ! Elle est réveillée ! »
Amalia vit filer une fillette blonde et se redressa. Malo et son frère passèrent la porte d’entrée, inquiets.
« Je suis désolé, s’excusa aussitôt l’homme. J’ai eu peur que tu t’en prennes à nous. Malo m’a tout expliqué. Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? De l’eau ? À manger ?
— Laisse la respirer, Alan. Elle a surtout besoin de calme. »
La sorcière s’assit en tailleur. Son malaise avait disparu.
« Je suis restée endormie combien de temps ?
— Une petite demi-heure seulement. Tu as l’air de te remettre assez vite. »
Amalia détailla Alan du regard : un gars aux yeux bleus, de bonne constitution, bien plus jeune que Malo. Il ne masquait pas ses émotions. Elle le savait mal à l’aise, désolé et inquiet, pourtant, cachée derrière ce cocktail peu positif de sentiments, la sorcière sentait une flamme d’espoir crépiter et grandir.
Un bruit vers l’entrée attira leur attention. Amalia aperçut une furtive série de petites têtes. Elles disparurent, cédant la place à des chuchotements et rires contenus. Elle sourit et s’adressa aux enfants curieux en breton :
« Je vais bien, merci d’avoir veillé sur moi. »
Les gamins s’éloignèrent en criant dans un bruit de cavalcade, sans doute pour retourner à leurs jeux après avoir sauvé la vie d’une sorcière. Malo sourit et jeta un regard à son frère. Le jeune homme se détendait.
« Tu as besoin de quelque chose ? demanda-t-il à Amalia.
— Non, merci. Alan, donc ?
— C’est moi. Tu as vraiment des fonds assez grands pour corrompre le gestionnaire de l’enclave ? »
Il était là, l’espoir, en brins tissés dans un canevas complexe : l’appréhension d’échouer, encore, la perspective de voir, enfin, se dessiner une solution à leur situation accablante. En lui souriant, Amalia sentit son espérance s’intensifier et réchauffer le coin de ses lèvres.
Alan était métamorphosé. En arrivant à Dubaï, en débarquant au village, elle avait eu l’impression de rencontrer un homme violent, haineux. En vérité, elle avait croisé un gars acculé, paniqué, rongé par une inquiétude justifiée et source d’une colère sans nom : l’éventualité probable d’avoir amené les siens à la mort.
« Oui.
— Malo m’a dit que l’argent n’était pas à toi. Akio Liu se doutera de quelque chose.
— Akio Liu ? s’étonna la sorcière.
— Tu… tu ne sais pas qui gère l’enclave ? »
Malo leva les yeux au ciel, Alan tiqua et laissa son angoisse reprendre le dessus. Amalia agita les deux mains en geste d’apaisement. Elle dessina un sourire confiant sur ses lèvres et expliqua :
« Peu m’importe qui il est, l’argent parle toujours à ceux qui aiment l’argent. Il me suffit de prendre le nom d’une famille d’aristocrates.
— Si tu veux usurper l’identité d’une grande famille, s’inquiéta Malo, il va falloir choisir le bon nom. C’est dangereux. »
Amalia sourit et s’étira en se relevant. Son assurance entretenait l’espoir d’Alan et elle se plaisait à le sentir se raviver.
« Vous avez de la bière, ici ? demanda-t-elle. Ça sera plus sympa de parler de tout ça autour d’un verre.
— On est breton ! Bien sûr qu’on a de la bière ! »
La fierté d’Alan submergea toute autre chose. Une joie sauvage s’afficha sur son visage. Il se leva en invitant Amalia à le suivre. Malo, amusé⋅e, leur emboîta le pas, attendri⋅e par l’emportement tout à fait inapproprié de son frère.
À peine dehors, un jeune père, son bébé agité dans les bras, les apostropha :
« Ça va mieux madame ? Qu’est-ce qui amène une sorcière par ici ? »
Amalia n’eut ni le temps de répondre ni celui de s’attarder sur le bambin de trois mois. Alan précisa, sans s’arrêter :
« Amalia va essayer de nous aider, mais avant ça, je lui fais goûter notre bière. Elle est bretonne ! »
Cette explication simple lui suffit, tout comme aux autres villageois qu’ils croisèrent.
Tous les trois traversèrent le bourg. La sorcière, entraînée malgré elle dans un bain de foule, trouva chez les humains un écho puissant à l’espoir de leur meneur. Son entrain se transmettait vite et leur donnait le sourire. Alan était aimé par les siens. Ils avaient une confiance aveugle et touchante en lui.
Là où Amalia imaginait découvir de vieilles bières importées illégalement stockées au fond d’un puits, elle vit un petit bâtiment semblable aux autres. Il abritait plusieurs cuves qui saturaient l’atmosphère chargée d’une odeur de houblon tiédasse. Une collection de gobelets, bock et tasses, tous aussi hétéroclites qu’éloignés de l’idée qu’elle se faisait d’une choppe propre, s’alignaient au-dessus d’un fût prêt à l’emploi. Alan les servit. Amalia eut le droit à un verre à vin rempli à ras bord de bière, Malo à un mug. Il tira également un broc pour les prochaines tournées.
« C’est notre toute première cuvée ! s’enthousiasma-t-il en reprenant le chemin de sa maison. On est parti avec le grain, quand on a quitté la Bretagne. On savait qu’on allait en baver. Autant embarquer de quoi faire la fête ! »
De retour dans le logement d’Alan, l’homme réarrangea des coussins et alla chercher un plateau, ainsi qu’un petit pot de graines de tournesol qu’il posa à même le sol.
« Trinquons ! décida-t-il en s’asseyant.
— Trinquons ! », répondirent Malo et Amalia.
Les verres tintèrent et laissèrent place à un silence qu’Alan aurait sans doute aimé voir agrémenter de commentaires positifs sur sa première bière arabe. Elle s’avéra un peu trop claire, manquait de goût, ne pouvait rivaliser avec la fraîcheur de celles servies dans les bars de Dubaï. Du sable flottait parmi les bulles. L’homme montrait tant d’enthousiasme qu’Amalia n’eut pas le courage de leur proposer de les refroidir de sa magie. Elle se contenta d’appliquer un discret sortilège à son propre breuvage et de saluer la création d’un poli :
« Cuvée numéro un d’une grande série, je l’espère ! »
Alan, ramené à ses obligations par l’évocation d’un possible futur, afficha soudain un air très sérieux, à l’opposé de l’humeur affable provoquée par la dégustation du breuvage local. Amalia le sentit hésiter, puis il prit la parole :
« Je n’aurais pas dû demander à Malo de te draguer. Ce n’était pas correct, ni envers Malo ni envers toi. »
La sorcière le fixa une seconde et salua son effort pour reconnaître ses torts d’un haussement d’épaules amical.
« Si je voulais être tout à fait honnête, tempéra Malo, je préciserais que si c’est bien à cause de lui… »
Iel désigna Alan avec son pouce.
« … que je me suis rapproché⋅e de toi, c’est uniquement parce que j’avais envie de t’embrasser que je te l’ai proposé. »
Amalia but une gorgée de bière avant de répondre :
« Et même si je t’aime bien, ma réponse reste la même Malo : plus de sept ans d’écart, c’est mort. »
Malo grimaça une mimique déçue fort peu naturelle qui les fit rire tous les trois.
La sorcière posa à nouveau son regard sur Alan. Il rongeait son frein. En temps normal, elle serait restée sur ses gardes face à lui, mais elle prenait à chaque seconde la mesure de sa sincérité : il se montrait excessivement expressif. Ses émotions, loin de le trahir, parlaient pour lui avec une honnêteté désarmante.
Il pencha légèrement la tête sur le côté, comme pour tenter de deviner ce à quoi elle pensait.
« Concernant notre homme… Akio Liu, c’est bien ça ? » commença la sorcière.
Un hochement de tête de Malo lui confirma le nom
« Lorsque je disais vouloir utiliser un nom de l’aristocratie fédérale… Je ne compte pas usurper l’identité de qui que ce soit. »
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