Leur discussion s’étira jusqu’au milieu de la nuit, puis Malo déclara qu’iel devait aller se coucher. Si Amalia gérait ses horaires de travail comme elle l’entendait, ce n’était pas le cas de l’humain⋅e. La porte refermée, le silence tomba sur l’appartement. La sorcière décida de prendre, elle aussi, quelques heures pour se reposer.
Amalia ne parvint pas s’endormir. Les yeux grands ouverts, elle réfléchissait à Malo, son frère et cette communauté en perdition. Délocaliser une centaine d’habitants dans un désert inaccessible à Leuthar… Elle ne savait pas si elle trouvait cette idée délirante ou géniale. Alan ne faisait pas les choses à moitié.
Leur village avait attiré les foudres des Vestes Grises en osant se lever frontalement contre ses attaques, quelques mois après son départ d’Aon. La vie en Bretagne suivait son cours. Les assassins de son homme et sa fille persistaient dans leurs violences systématiques.
Amalia éprouvait quelque chose de grisant, un certain réconfort à l’idée qu’ils défiaient l’Ordre ; mieux, qu’ils défiaient Leuthar.
Mais ils n’étaient pas pour autant sortis de leurs emmerdes.
La sorcière ne réussissait pas à calmer sa colère. Une population entière, réfugiée aux abords de la ville, risquait de mourir à cause de l’avarice des Cités arabes. L’eau de l’enclave devait servir en cas de coup dur. En quoi la situation des Bretons ne correspondait-elle pas à un coup dur ?
Amalia repoussa les draps et s’assit dans son lit, la tête entre ses mains, tendues. Elle devait les aider. Cette fois, après tout, elle n’arrivait pas trop tard. Elle se releva brusquement et passa sur le balcon. Une brise tiède soufflait sur les premières lumières de l’aube. La sorcière s’accouda à la balustrade et perdit son regard dans l’encre de la mer morte. Un fin sourire étira ses lèvres. Cette fois, elle disposait d’un atout de choix.
La jeune femme patienta jusqu’à une heure décente pour rappeler Malo sur son téléphone. Elle déploya un trésor d’arguments et de promesses pour lae convaincre de revenir chez elle. Hors de question, pour Malo, d’accueillir Amalia à son domicile, impossible d’en parler dans un lieu public, impensable d’échanger à propos du village sur le réseau. Malo accepta de repasser… ce qu’iel ne regretta pas lorsqu’Amalia lui exposa son idée.
« L’enclave d’eau, elle est gérée par un mec ou une nana ?
— Un gars, je crois », répondit Malo, perplexe.
Amalia sourit largement et déposa la carte de paiement confrère entre iels deux.
« Parfait. Combien, à ton avis, pour qu’il siphonne un peu d’eau pour vous ?
— Tu veux lui lâcher un pot-de-vin ? »
La sorcière haussa les épaules et adopta un air tout à fait charmant.
« Ça fonctionne dans la Fédération, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire à Dubaï.
— Si le mec se laisse corrompre, je ne vois pas comment lui faire confiance, argua Malo, sceptique.
— S’il accepte la corruption, il a autant à perdre que vous, de son point de vue, à vous balancer. Tout est une question de pognon ou d’argument.
— Je ne pense pas que nos arguments l’intéressent.
— Il ne me restera plus qu’à être convaincante. »
Malo haussa un sourcil, pas certain⋅e d’avoir bien compris ce qu’Amalia sous-entendait. À l’œillade amusée qu’elle lui servit en réponse, elle avait bien l’intention de vendre ses faveurs. Mal à l’aise, iel ajouta :
« Je pensais que tu gardais un écart de sept ans… Il y a peu de chance que le gestionnaire de l’enclave soit un gars de ton âge.
— Pour le plaisir, par envie, oui, je tiens à ma limite d’âge. Pour arriver à mes fins… »
Elle haussa les épaules. Elle avait déjà couché pour du Rakabat. L’envisager pour permettre à une communauté entière de ne pas dépérir lui semblait une cause bien plus noble.
« Appelle ton frère, on aura son avis.
— Allons le voir, allons au village, ça sera plus sûr. »
Amalia hésita. Le breton, sur la plage, lui avait laissé une mauvaise impression. Elle en gardait l’image d’un gars violent, méfiant. Malo la rassura et lui certifia que, dans une situation normale, son petit frère était un homme tout à fait charmant, plein d’une joie de vivre tenace. Iel lui dressa le portrait d’une personne responsable, passionnée et hyperactive.
« Je te promets qu’il se tiendra bien. Si ce n’est pas le cas, je me chargerai de lui rappeler le sens de l’hospitalité. »
Iels laissèrent l’appartement d’Amalia pour prendre la route vers le village.
L’épreuve fut une vraie torture. Sur la piste à peine carrossable, les sursauts de la voiture manquèrent plus d’une fois de la faire rendre son léger petit déjeuner. Iels s’arrêtent à plusieurs reprises, pour qu’Amalia puisse marcher un peu. L’air brûlant du désert et sa chaleur écrasante valaient toujours mieux que l’insupportable roulis du 4x4.
Sans ses nausées, la jeune femme aurait sans doute apprécié la beauté austère du paysage. Le sable fin glissait sous les roues du véhicule et s’éloignait en filets d’or fluides. Pas de vent pour disséminer les grains derrière eux, pas plus que pour donner vie aux rares plantes sèches qu’iels croisaient. Pourtant, leurs traces s’effaçaient rapidement sous l’écroulement des paillettes de quartz. Au loin, on devinait une montagne, obstacle naturel à la montée des eaux provoquée par la le barrage entre le Golf Persique et la mer Arabique.
Malo arrêta le véhicule au milieu de nulle part et, contrairement aux précédentes haltes, en descendit.
« C’est à une centaine de mètres, on va terminer à pied, proposa-t-iel. Pour ne pas attirer l’attention. »
Amalia, livide, lui adressa un pauvre sourire, reconnaissante. Iels grimpèrent à la crête d’une dune, et la sorcière découvrit un village fait de vieilles pierres, à demi ensevelie sous le sable. Les habitants ne s’intéressèrent pas à iels, trop occupés à construire des murs autour des maisons pour les protéger du vent, à réparer les bâtiments, à balayer les espaces communs. Une tension palpable couvait sur le hameau. Les enfants jouaient en silence sur la place et les adultes parlaient tout bas des prochains travaux.
Ils avaient quitté leur région, leur congrégation, leur vie pour s’installer dans ces ruines. Ils avaient perdu tout confort, ils devaient s’adapter à un climat plus austère encore que celui de la pointe bretonne et ils n’étaient toujours pas en sécurité. Amalia tituba et s’appuya sur Malo. Leur sentiment d’urgence, de peur et d’amertume, lancinant, lui dévorait les entrailles.
« Malo ! s’exclama quelqu’un en sortant d’une des maisons de parpaing effrité
— Alan ! J’ai amené…
— Recule ! »
Alan marcha vers eux, menaçant. Il sortit une arme à feu de sa veste et la pointa vers la sorcière. Amalia rit, faiblement. Cela faisait longtemps que les mages avaient développé des sortilèges pour s’en protéger. De si loin, s’il tirait, la balle serait stoppée par un bouclier, un charme dormant, directement intégré à son concentrateur. Son hilarité énerva un peu plus le jeune homme. Toujours la même colère, la même inquiétude. Elle vacilla et se rattrapa à un mur qui s’effrita sous ses doigts. Elle lutta pour conserver son équilibre.
« Alan ! » cria Malo qui, en quelques enjambées, avait rejoint son frère
Sa voix vrillait d’une rage plus forte encore, d’une indignation profonde. Iel lui colla une baffe et tout s’arrêta autour d’eux.
« Est-ce que tu va m’écouter, crétin ? tonna-t-iel. J’ai promis que tout se passerait bien ! »
Les villageois, interdits, observèrent avec étonnement leur Yasard plier sous le soufflet. Incrédulité, méfiance, agacement, colère… Amalia s’effondra et perdit connaissance.
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