Amalia s’acclimata vite à Dubaï. À travers la ville, elle se découvrait une autre façon d’être qu’elle appréciait. À choisir, elle se sentait tout de même plus à l’aise dans un environnement où l’on ne la traitait pas comme un monstre…
Si dépenser le plus d’argent Confrère possible restait un de ses objectifs, interagir avec la communauté locale devint rapidement une de ses priorités. Elle voulait œuvrer pour la collectivité pour mieux s’y intégrer.
Avec son parler fédéral natif, elle trouva un emploi dans la semaine. Les mages-bâtisseurs venaient du monde entier pour travailler à Dubaï. Certains d’entre eux étaient originaires de la Fédération. Amalia effectuait un premier tri parmi ces arrivants ; elle éditait ensuite une note de synthèse à leur propos, pour le cabinet d’architectes avec qui elle collaborait.
Ses deux patrons, un couple de soixantenaires réservés, ne trouvaient rien à redire à son sujet : elle s’immergeait dans la tâche pour un salaire plus bas que la moyenne.
En deux semaines, elle avait pris le rythme soutenu d’un rendez-vous par jour.
Elle rencontrait des enchanteurs passionnés, talentueux et perfectionnistes. Tantôt très abordables, tantôt imbus de leurs personnes, elle s’adaptait à eux facilement.
Un repas suivi d’une heure de synthèse… elle trouvait dans ce rythme un équilibre très agréable entre travail et loisir.
« Est-ce que tu te rends compte que c’est un des métiers les plus valorisés dans toute la Fédération, mage-bâtisseur ? C’est vraiment fou d’en rencontrer autant ! »
Assise dans un café, un cocktail à la main, une cigarette dans l’autre, Amalia profitait des derniers rayons de soleil avec Okoro. Après avoir été un amant, Okoro était devenu un très bon ami. Ils s’entendaient bien.
« Je les comprends… concéda-t-il. Dubaï, c’est une façon tout à fait différente de vivre leur métier.
— J’en ai eu un qui s’est mis à bander en voyant des plans de building exposés au cabinet… »
Okoro commença à pouffer, mais Amalia l’arrêta :
« Arrête, je suis certaine que t’as fait pareil quand t’es arrivé de Johannesburg. »
Né à Paris, Okoro avait suivi sa mère tout gamin à Johannesburg où il avait fait ses études en infomagie dans une prestigieuse école. Il avait beaucoup voyagé par la suite et était tombé amoureux de Dubaï. Il était devenu citoyen des Cités Arabes depuis dix ans. Un parcours atypique qui plaisait à la sorcière. Il avait vécu à plusieurs endroits, il était riche d’expérience. Plus qu’elle.
« T’as pas tout à fait tort », concéda-t-il un peu gêné.
Amalia rit et termina son cocktail. Elle glissa sa carte au-dessus du capteur de paiement, à même la table et, comme d’habitude, régla les deux consommations.
« Je te laisse. J’ai une cliente ce soir.
— N’hésite pas à passer chez moi après, ma porte t’est ouverte. »
Elle lui sourit en réponse, amusée.
« Ça dépendra de l’heure… »
D’ici quelques semaines, elle pourrait passer son permis de transfert local. En attendant, elle profitait de l’agitation toute relative de la ville et rentrait à pied.
Après une douche expresse, Amalia choisit une tenue élégante pour le club où elle se rendait ce soir. Un pantalon de soie blanche, un chemisier noir, des talons… Elle souriait en s’apprêtant.
« Kurt, envoie une voiture chercher Melania Pacher à son hôtel. J’irai au Kaminn à pied.
— C’est fait !
— Merci, Kurt. »
Elle s’évertuait à remercier l’intelligence artificielle, même si cela ne servait à rien. Qui sait ? Peut-être qu’un jour ces robots prendraient le contrôle de la ville… elle apprécierait certainement de bien avoir traité le sien.
Prête, elle se rendit au Kaminn, l’endroit idéal pour impressionner les profils jugés pertinents pour le cabinet. D’abord réticente à l’idée de se retrouver dans le bar mentionné par le breton quelques semaines plus tôt, sa première visite dans le restaurant l’avait conquise. Le patron modifiait l’établissement selon le souhait des clients. L’édifice, un bijou de technomagie, littéralement plus grand à l’intérieur qu’à l’extérieur, bluffait à coup sûr les bâtisseurs et bâtisseuses.
La sorcière y réservait toujours une salle assez vaste pour accueillir un petit groupe, même si elle avait rarement rendez-vous avec plus d’une personne à la fois. Une attention liée au calme et à la confidentialité de leurs échanges, à laquelle ses employeurs tenaient.
Son arrivée au Kaminn se déroula sans encombre. Stephen, le patron, la reçut avec un grand sourire.
« Madame Elfric, heureux de vous revoir. Comment allez-vous ?
— Très bien. J’attends la mage Melania Pacher.
— C’est entendu. Votre table est prête.
— Merci Stephen. Je prendrai un verre de vin blanc. »
Elle traversa trois salles, toutes décorées d’une couleur différente, et rejoignit la table basse où elle passerait la soirée. Elle s’assit sur le coussin à même le sol et plongea son regard dans le bleu immobile de la mer. Une voix très polie, dans son dos, attira son attention. Elle tourna la tête et découvrit une serveuse qu’elle avait déjà aperçue plusieurs fois, mais qui n’avait jamais été chargée de s’occuper d’elle. La jeune femme aux traits carrés posa le verre devant sa cliente avant de se présenter.
« Bonjour, Madame, je suis Malo, je serai à votre service ce soir. »
Malo. L’écho lointain de la discussion du breton sur la plage lui revint de plein fouet. Le prénom, typiquement celte, ne lui laissait aucun doute : c’était bien la même personne. Quelles étaient les chances qu’elle tombe dessus plus de deux semaines plus tard ? Amalia fronça les sourcils et répéta :
« Malo ?
— Oui, Madame. »
Amalia la dévisagea ; grande, les épaules larges et un beau sourire très professionnel, la femme devait avoir trente-cinq ans, du moins si elle était bien humaine. Très loin de l’idée de la fille apeurée que la sorcière s’était faite après avoir entendu le breton l’engueuler. Cette Malo dépassait le gars sur la plage d’une bonne tête et demie.
« Madame Elfric ? »
La sorcière tourna la tête. Son rendez-vous venait d’arriver. Malo n’était pas sa priorité, elle l’effaça de ses pensées pour la soirée. Amalia se releva et serra la main de la bâtisseuse avec un grand sourire.
« C’est moi. Melania Pacher ? Enchantée. Vous avez fait bon voyage ? »
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