L’abri s’avéra être un petit chalet de montagne. Amalia passa la porte, méfiante. Sa peau se hérissa d’un frisson de plaisir lorsque la douce chaleur de l’habitation caressa son visage.
Elle entra. L’intérieur de la bâtisse lui tira un grognement surpris. Entre les rideaux à carreaux rouges, la banquette garnie de coussins de la même couleur et l’horloge qui surplombait le buffet en pin massif, la pièce n’aurait que difficilement pu apparaître plus en décalage avec la majestueuse nature de l’autre côté des vitres. Amalia ne s’attendait pas à une geôle si… douillette… mais, venant de l’homme en rouge, elle ne s’escomptait de toute façon pas à grand-chose.
Un feu vif brûlait dans la cheminée. Le conduit d’évacuation de l’âtre ne devait pas ouvrir vers l’extérieur. Amalia n’avait vu aucune fumée s’élever dans les airs.
La jeune femme ferma les yeux. Elle ne s’était pas tenue dans un endroit si accueillant depuis longtemps. Depuis qu’elle avait quitté Aon.
Elle explora la pièce et découvrit un petit lit, dans un renfoncement aménagé par un paravent constitué d’un tissu blanc avec des motifs de flocon de neige rouge. Elle trouva une pile d’habits sur l’édredon.
Un seul coup d’œil lui suffit pour juger qu’ils étaient à sa taille. Elle n’aimait pas ça. Elle n’aimait pas ce gars. D’ailleurs, elle n’allait pas rester ici.
Elle défit le lit, tira la couverture qui lui sembla la plus chaude et s’en drapa avant de tourner les talons. Elle se dirigea directement sur la sortie, tendit le bras vers la poignée et, à l’instant précis où sa paume entra en contact avec le bois, se prit une baffe. Amalia tomba lourdement sur les fesses et regarda, abasourdie, la main de pin se ranger dans la porte. Elle venait de lui foutre une claque.
« Mais il se paye ma gueule ? » souffla-t-elle en se relevant.
La jeune femme se rapprocha, plus prudemment. Elle amorça un geste vers la poignée et vit clairement les cinq doigts se matérialiser dans le bois. Elle recula d’un bond, leva son concentrateur et tira. La vaillante porte essuya le trait sans broncher. La sorcière jura, tenta d’y mettre le feu, de la scier, de la pulvériser… mais rien n’y fit.
Amalia, de dépit, se reporta sur les fenêtres, mais elles se révélèrent tout aussi vicieusement enchantées que leur homologue d’entrée. La jeune femme lâcha une nouvelle flopée de jurons et retourna sa colère grandissante sur le mobilier. Il lui résista avec indifférence.
Rien ne bougeait, rien ne souffrait de sa magie. Essoufflée, elle grogna sa frustration et se laissa tomber sur le coussin rouge d’une jolie chaise de couleur miel. Elle posa les deux coudes sur la charmante table en pin ciré et se prit la tête entre les mains.
Amalia poussa un long soupir et se résigna : elle était détenue dans la plus coquette des prisons.
Elle passa ses cinq premiers jours de captivité au lit. Sueurs froides, crises de nerfs, vomissements, tremblements, hallucinations, fièvre.
Sans une seconde drogue pour se substituer au rakabat, le sevrage était insupportable.
L’odeur alléchante d’un bon morceau de viande rôti la tira de sa léthargie comateuse au matin du sixième jour. Elle fronça les sourcils et se redressa sur les coudes avec précaution. Plus de vertiges. Mieux.
Amalia se gratta le crâne et grimaça. La transpiration séchée collait ses cheveux sur son front poisseux et gras. Elle se laissa retomber sur son oreiller, mais l’odeur malsaine de sa sueur lui parut intolérable. Elle repoussa les couvertures, posa les deux pieds au sol et se releva très lentement. Le fumet d’un bon repas vint, une seconde fois, chatouiller ses narines. Son estomac se tordit douloureusement. Elle prit brutalement conscience de sa faim et écarta le paravent d’un geste fébrile.
Une part de rôti de bœuf accompagné d’un rösti croustillant trônait sur la table, près du feu. Quelqu’un était venu déposer le plat pendant son sommeil.
Un repas, concéda-t-elle, absolument délicieux.
Elle se doucha dans la minuscule – mais toujours aussi charmante – salle d’eau du chalet, puis, désœuvrée, tira une chaise jusqu’à la fenêtre et s’abîma dans la contemplation du paysage. Elle remonta une jambe sur l’assise, passa un bras autour et s’appuya sur le dossier et l’accoudoir.
Contrainte de se poser, elle n’avait pas eu l’esprit aussi clair depuis longtemps. Cet homme ne s’en sortirait pas comme ça, mais elle devait admettre qu’il l’avait tirée d’une belle spirale de connerie.
Amalia s’obligea au repos durant toute sa première demi-journée de lucidité… mais n’avait jamais été d’un tempérament calme. Très vite, elle se mit à tourner en rond comme une chimère en cage.
Un soir, elle retint un sursaut en découvrant un étroit meuble aux rayonnages remplis de livres. Cette bibliothèque se trouvait-elle vraiment là depuis le début de son enfermement ? La jeune femme n’aurait su l’affirmer. La méfiance passée, elle se surprit à apprécier tourner les pages de ces vieux exemplaires de papier fin, jaunis, parfois détachés. Contrairement aux autres sorciers, Amalia avait l’habitude de lire des livres, mais elle n’avait jamais eu l’occasion d’en manipuler de si vieux. Certains, d’origine humaine, étaient datés d’avant les années deux mille. De véritables antiquités.
Les enchanteurs utilisaient des cadres mnémotiques comme support de transmission : une toile tendue sur un châssis de bois, contre laquelle le sorcier projetait informations, textes ou souvenirs. Ces supports permettaient de stocker et diffuser du contenu très simplement, comme les tablettes que les humains utilisaient avant les Grands Cataclysmes. Amalia avait déjà vu ces gros rectangles noirs, à Aon, quand Johan avait été tiré au sort pour devenir Yasard. La Congrégation Atlantique disposait de trois appareils de ce type, mais l’usage de la technologie n’était réservé qu’aux situations d’urgence.
Les livres, par contre, les humains en collectionnaient des bibliothèques entières et ils en imprimaient encore beaucoup. Cela restait plus accessible que les ordinateurs. Elle s’en était moquée, puis s’était prise d’affection pour ce bois mort bien pratique.
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