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tome 1, Chapitre 4 tome 1, Chapitre 4

"Mira/Motoko : Des fois, je me demande si je ne suis pas déjà morte et si ce que j'appelle "moi" n'est en fait qu'une intelligence artificielle faite d'un corps mécanique et d'un cyber-cerveau."

~ Masamune Shirow ; Ghost in the Shell

~ 2 ans plus tard ~

La douleur était toujours là, mais beaucoup plus ténue. Elle parvenait aujourd'hui à vivre presque normalement même si les souvenirs de son frère hantaient encore la majorité de ses nuits.

Elle travaillait toujours dans le même trou poisseux, son père buvait toujours, probablement, elle n'avait pas cherché à savoir comment il allait depuis qu'elle était définitivement partie. Elle le considérait comme responsable des malheurs qui s'étaient abattus sur leur famille ces dernières années et elle n'avait pas tenu à cohabiter davantage avec lui.

Son patron était toujours la putride immondice qui la maltraitait et la sous-payait.

Klaynt avait même réussi à ne pas se faire virer, contrairement à ses prédécesseurs. Ca pouvait être considéré comme un miracle quand les exemples passés ne sont pas parvenus à dépasser les trois mois de contrat. Quand ils parvenaient à terminer le premier mois.

Un discret mouvement de hanche et la main baladeuse était évitée. Simple, efficace et sa dignité était préservée. Du moins, jusqu'à la prochaine tentative qui risquait de survenir plus tôt que prévu. Mais on ne savait jamais quand exactement.

Avec les années, le bar n'avait pas désempli et les rares habitués encore fidèles, ou du moins encore vivants, avaient commencé à lui porter un intérêt malsain qui lui déplaisait particulièrement, mais contre lequel elle ne pouvait rien faire. Hormis, bien sûr, esquiver leurs incessants assauts toujours plus nombreux et hautement motivés par l'abondance de la bière.

Même si celle-ci était coupée à l'eau.

Et ce n'était pas comme s'il y avait beaucoup de choix d'alcools, c'était même la seule boisson disponible de toute la carte.

Donc il n'y avait pas de carte.

Ca simplifiait les choses, et ça permettait de commander plus facilement et surtout plus rapidement.

Pour les repas, c'était la même chose, ça se résumait à du riz ou des pommes de terre au curry, ça dépendait de ce qui avait pu être trouvé, avec un pain aux herbes en accompagnement.

Rien de vraiment transcendant.

Une nouvelle série de jurons, d'interjections et de bruits dégradants survinrent à son attention pour passer de nouvelles commandes.

Elle tut son exaspération pour rester la petite chose douce et fragile qu'elle était obligée d'être pour les heures qui suivent et les bières se succédaient dans un rythme toujours plus soutenu qui ne lui laissait guère le temps de respirer entre deux services.

Il devait bien être trois heures du matin quand la taverne ferma enfin pour les libérer, Klaynt et elle, et à son grand soulagement, il avait depuis longtemps abandonné l'idée de l'escorter jusqu'à chez elle. Depuis qu'il s'était retrouvé avec une lame pointée sur la gorge pour l'avoir suivie en cachette, si on voulait être plus précis.

Ca avait au moins eu l'avantage de calmer son désir de s'impliquer dans sa vie personnelle.

Son nouveau logement était plus éloigné du bar que le précédent, mais aussi plus près du tunnel menant à la surface, plus près du soleil, des nuits étoilées, des brises légères qui se faufilent entre les tours de la ville et tant d'autres choses qui lui manquaient.

Ses pas la menèrent jusqu'à ce tunnel, fréquenté depuis toujours par les filles des rues qui n'avaient pas eu la chance de trouver un emploi. Beaucoup d'entre elles étaient mères et n'avaient trouvé que cette solution pour prendre soin de leurs enfants. Les hommes qui venaient acheter leurs services, même si issues pour la grande majorité de haute société d'Al'iose, étaient bien moins vertueux et tous plus méprisables que pouvait l'être Raus à lui seul.

Elle cacha son visage sous sa capuche et fit glisser son poignard le long de sa manche jusqu'à sa paume où elle resserra son emprise pour canaliser sa peur à ce point précis. Avant, elle pouvait traverser ce tunnel sans trop d'encombres, mais maintenant... c'était loin d'être sécurisé.

Ses pas se firent plus pressant, le manche de l'arme toujours coincé entre ses doigts. L'ambiance du lieu lui déplaisait et elle avait hâte de retrouver la surface, même si ce n'était que pour quelques heures. Ce tunnel lui semblait interminable même s'il ne faisait que cinq cents mètres de long.

À la sortie du tunnel, aucun Briseur n'était présent. Ils étaient parfois envoyés pour surveiller l'entrée de la Loess, mais aujourd'hui, rien à déclarer. Sortir serait plus facile que prévu.

Une légère brise vint caresser son visage à la sortie des sinistres galeries.

Le rayonnement des hauts immeubles était intense et l'éblouissait, mais elle ne mit pas longtemps à s'habituer à cette brusque luminosité. La vie nocturne n'était pas la même ici. Pas la même fréquentation, les mêmes odeurs, les mêmes bruits, les mêmes lumières.

Ici, elle se sentirait presque libre.

Presque...

Les immeubles, aux façades recouvertes de publicités holographiques, atteignaient des hauteurs vertigineuses. Quelques véhicules autonomes circulaient encore dans les rues, à différentes hauteurs et à différentes vitesses. Aucun accident n'était possible avec cette technologie, chaque voiture était équipée d'une balise électronique qui communiquait sa position aux autres engins volants. Il suffisait d'énoncer une adresse et la voiture s'y rendait dans les plus brefs délais.

Les commerces étaient fermés depuis plusieurs heures maintenant, ce qui lui permettait d'évoluer dans les rues sans encombres. Les habitants de la Loess n'étaient pas vraiment bien vus en ville et les citadins pouvaient se montrer tous autant cruels que les brigands qui sévissaient dans les profondeurs. Un être humain reste un être humain, peu importe son appartenance sociale.

Seuls restaient les Briseurs qui patrouillaient.

Ou la "Légion de Réconciliation", si on voulait utiliser le vocabulaire enseigné par le gouvernement.

Cette légion était là uniquement pour garder l'ordre social.

À l'origine, la Loess était là uniquement pour isoler les criminels du reste de la population.

Depuis, ça avait "un peu" évolué.

Toute une société s'était développée dans cette zone recluse.

Le gouvernement devait trouver un certain avantage à ce système, mais c'était pour une raison qui demeurait un mystère pour Caly et elle avait depuis longtemps arrêté d'y chercher une hypothèse logique.

Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était essayer d'économiser assez pour ensuite fuir cet endroit.

Mais seulement après avoir extrait la balise présente dans son bras depuis ses dix ans.

Ce détail risquait d'être le plus laborieux, le plus douloureux et le plus dangereux...

La falaise n'était plus très loin à présent.

À quelques rues et une large bande de verdures.

Elle s'installa au bord de cette éminence rocheuse qui hébergeait la ville quelques centaines de mètres derrière elle, les jambes au-dessus de l'océan qui se déchaînait contre la paroi de roche hyaline.

La nuit était particulièrement claire ce soir-là.

Aucun nuage ne venait troubler le ciel et les étoiles qui le parsemaient depuis des milliards d'années.

Elle s'allongea dans l'herbe tendre, bras ouverts à la nuit pour mieux contempler ce spectacle qui continuait d'attiser le peu d'espoir qu'elle était encore capable de préserver en elle.

Les lunes étaient belles ce soir, et leurs couleurs ressortaient particulièrement bien dans ce ciel nocturne. La première était rousse, la seconde était d'un camaïeu de bleus et la dernière était plus approximative, ses nuances dépendaient de sa face et arborait des couleurs pastelles qui oscillaient entre le rose, le corail et le turquoise. Mais c'était de loin celle-ci sa préférée. À chacune de ses visites, elle n'était jamais la même.

Les vents frais élevaient la douce odeur de l'océan jusque sur les hauteurs. Jusqu'à elle.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux du sommeil dans lequel elle avait sombré, les premiers rayons de Khrylon caressaient la vaste étendue bleue de ses soyeuses nuances dorées.

C'étaient des bruits de pas feutrés qui avaient troublés sa tranquillité et ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle comprit son erreur. Ses jambes pendaient toujours dans le vide, la vie avait repris dans la ville et une personne encore non-identifiée avançait dans sa direction.

Elle repoussa le bord d'un coup de pied afin de s'en éloigner rapidement et roula sur le ventre pour mettre une identification sur l'intrus, même si celle-ci ne sera que rudimentaire.

- Pourquoi t'es là ? Tu fais quoi ?

- Tu ne devrais pas me parler.

- Pourquoi ?

Elle avait renoncé à sortir son arme en voyant la dangerosité de son interlocuteur : un enfant qui profitait de son jour sans école pour se promener autour de la ville.

- Parce que je ne suis pas fréquentable.

- Pourquoi ?

Elle se releva en époussetant ses vêtements des brins d'herbe et de la terre.

- Tu poses beaucoup trop de questions.

- Ce n'est pas vrai.

- Même pas un peu ?

- Peut-être.

Elle sourit un instant, mais finit par récupérer sa sacoche dans l'idée de repartir.

- Où est-ce que tu vas ?

- Chez moi ?

- C'est où "chez toi" ?

- Ça ne te plairait pas.

- Pourquoi ?

- Trop de questions.

- Mais où est-ce que tu vas ? Et comment tu t'appelles ?

Elle ne participa pas davantage à cette conversation. Elle devait commencer son travail dans trois heures environs et contourner la ville allait lui faire perdre une bonne heure alors autant ne pas ruiner davantage de temps à ce genre de futilités.

- Tu vas où ?

Mais c'était sans compter sur le petit parasite qui était en train d'essayer de se greffer à son planning pourtant déjà fortement chargé. Avec un peu de chance, il se lassera avant d'arriver à la Loess si elle accélérer le pas. Et avec un peu plus de chance, les Briseurs ne seront pas là pour constater son infraction.

Elle tira sa capuche sur son visage et le garda en direction du sol le temps de constater de leur absence ou de leur présence. Le manche du poignard avait rejoint ses doigts crispés et elle avait retenu son souffle en passant la porte de la Loess.

Le reste de la journée se poursuivit de façon banale. Elle avait fait un détour par son logement le temps de se changer avant de partir prendre son poste à la taverne.

À dix heures, elle y était et commençait le service.


Texte publié par Adrielle, 7 avril 2018 à 23h23
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