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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

"Jilano : La liberté n'induit pas l'égoïsme et il n'y a pas d'homme plus libre que celui qui agit parce qu'il pense ses actes justes."

~ Pierre Bottero

Une voix tonitruante s'éleva de la taverne.

Sévère.

Menaçante.

Promettant de lourdes conséquences.

Le courroux de son possesseur ventripotent s'abattit sur la raison de cette colère.

La jeune fille tenta de se relever, mais c'était sans compter sur la main du bourreau qui attrapa ses cheveux pour la garder sous sa domination dans un grognement.

Elle avait dans les seize ans, mais paraissait beaucoup plus jeune, dû à son corps qui tardait à se former.

- Petite conne ! Qui va payer cette chope ?!

Argumenter était inutile.

Qu'elle soit fautive de la situation ou non, le résultat serait le même.

Son corps et son âme n'étaient et ne seraient que souffrance pour une durée qui lui était malheureusement encore inconnue, mais qu'elle espérait courte, quelle que soit la raison de cette interruption.

- Réponds !

Les mots restaient coincés dans sa gorge, beaucoup trop pétrifiée par son interlocuteur pour oser exprimer quoique ce soit.

Ce ne fut qu'à la menace implicite de nouvelles violences qu'elle parvint à formuler une vaine défense :

- Je suis désolée, ça ne se reproduira plus...

La main la libéra enfin, même si c'était pour la renvoyer sur le sol poisseux de la taverne.

- Disparaît de ma vue ! Ce sera retiré de ton salaire.

Elle ne s'attarda pas plus longtemps dans la salle, partant se refugier à la hâte dans la cuisine en attendant que son persécuteur se calme.

Un nouveau commis venait d'être embaûché. Le précédent volait des aliments dans la réserve.

Du moins, c'est ce que prétendait Kaus, et rien n'a jamais pu être prouvé.

Elle referma vivement la porte derrière elle, tremblantes à l'idée d'un changement d'avis intempestif de son employeur à son sujet.

- C'était à quel sujet cette fois-ci ?

- Je suis tombée et la chope que je comptais servir s'est brisée.

- Ouais... je vois le genre...

Elle le vit quitter son poste pour venir s'agenouiller près d'elle, à l'endroit qu'elle avait pris l'habitude d'occuper pour échapper à la violence. Elle ôta ses mains pour les serrer contre sa poitrine quand celui-ci tenta de les examiner, fuyant son regard, comme si le croiser allait déclencher d'affreux évènements.

Un triste réflexe parmis tant d'autres. Il ne lui avait pourtant jamais fait de mal.

- Montre-moi tes mains, s'il te plaît.

- Je vais bien...

- Nous savons tous les deux que c'est faux.

Elle lâcha à contrecoeur son corsage crème qui s'était teinté d'une couleur rouge sombre quand celui-ci avait rencontré ses bras blessés, puis présenta honteusement ses mains à son collègue, évitant toujours de croiser son regard.

Sans un mot, il entreprit de déloger les morceaux de verre qui meurtrissaient les paumes et les avants-bras de la jeune fille depuis sa chute, lui tirant de discrètes expressions de douleur.

- S'il te voit faire, tu risques d'avoir des ennuis.

- Seulement s'il me voit. Et ce n'est pas comme si les repas étaient la principale activité de ce trou.

- Merci...

Il se contenta de lui répondre par un léger sourire avant de poursuivre la tâche qu'il venait d'entamer. Quelques minutes plus tard, les morceaux rassemblés formaient un inquiétant petit tas dans son tablier.

- C'est terminé.

Elle fixait de ses yeux verts et cernés de fatigue les bandages de fortune qui recouvraient à présent ses mains, jusqu'au moment où Klaynt se releva pour retourner derrière ses fourneaux même si ce n'était pas la quantité de travail qui l'obligeait à s'y rendre.

La vie dans cette partie de Al'iose était beaucoup trop difficile pour risquer de perdre son emploi, quelle que soit la difficulté ou la légalité de celui-ci.

Cette division était entièrement souterraine, sombre malgré les nombreux néons tapissant les plafonds des galeries, et refluait des odeurs dont on n'aimerait pas en connaître l'origine et la source. Les murs, faits d'assemblages métalliques, avaient peine à maintenir la stabilité de certains couloirs et finissaient parfois par tomber sous le poids des roches qu'ils devaient supporter.

La ville de surface, bien que hautement fournie en moyens et en technologies avancées, laissait la population des sous-sols à l'abandon le plus total. Les rares fois où l'on pouvait apercevoir un membre de cette élite, c'était lors des combats à mort clandestins régulièrement organisés dans les commerces possédant une cave ou, du moins, une salle facilement dissimulable. Ils venaient seulement s'y distraire et parier sur un possible vainqueur, tandis que la majorité des participants à ce jeu mortel étaient présents uniquement pour espérer une vie moins misérable en remportant la prime promise en cas de victoire. Les abandons n'étaient généralement pas autorisés et les participants devaient fournir les informations nécessaires pour avoir la possibilité de contacter la famille en cas de défaite du participant.

Ces joyeux massacres avaient lieu chaque lundi de chaque semaine paire. C'était une sorte de tradition.

<< Calyopée !!! >>

La voix autoritaire de Raus venait de se faire entendre dans la petite cuisine. Tous les sens de la jeune fille avaient été mis en alerte dans un sursaut de crainte et de peur qui eut pour effet de la tétaniser, au point que même le bruit de sa respiration se faisait discret.

- Tu ne devrais pas le faire patienter trop longtemps, tu sais ce qu'il se passera s'il a le temps d'arriver ici.

Elle émergea subitement de sa torpeur pour sortir précipitamment.

Il était là, à quelques pas de l'angle du comptoir qui menait à son refuge. D'un geste de la main, il lui désigna une table où plusieurs hommes s'étaient attablés depuis l'altercation.

- Retourne à ton poste. Les clients attendent.

- Tout de suite, Monsieur.

Sa voix mélodieuse et fluette sonnait comme une dissonance dans cet environnement hostile à une quelconque présence féminine.

Elle fit une timide révérence avant de retourner faire ce qu'on exigeait d'elle : prendre les commandes, les préparer, les servir, récupérer l'argent, ainsi que les très originales et habituelles remarques obscènes qui vont avec.

Elle accomplissait ses tâches avec efficacité tout en gardant une certaine fluidité dans ses gestes, comme si chaque mouvement était un pas de danse qui se devait d'être aussi précis que possible.

La taverne ne ferma que lorsque le dernier client ait été foutu dehors, fauché ou beaucoup trop rond pour parvenir à commander une nouvelle boisson. Elle ne put partir qu'à ce moment-là. Elle récupéra le peu de salaire qu'il lui restait, sa sacoche dissimulée derrière le comptoir, la jeta sur son épaule, et ne s'attarda pas davantage dans ce purgatoire. Klaynt sortit à sa suite.

- Souhaites-tu être raccompagnée ? On a terminé tard ce soir.

- C'est gentil, mais j'ai l'habitude de rentrer seule. Puis mon logement n'est qu'à quinze minutes d'ici.

- Certainement, mais les fréquentations changent selon les heures.

- Tout va bien se passer. À demain.

- Ok, à demain.

Elle attendit d'être assez éloignée de lui pour soupirer de soulagement. Pas que sa présence la dérangeait, mais elle estimait qu'il avait déjà fait beaucoup pour elle aujourd'hui et l'idée d'avoir pu être une nuisance à ce moment-là l'embarrassait énormément, même si elle lui en était reconnaissante.

Le quart d'heure de marche passa rapidement. Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas pris garde à ce qui l'entourait sur son trajet. Une erreur qui aurait pu lui coûter si un individu mal intentionné avait souhaité lui faire du mal. Quoiqu'il en soit, ça n'était pas arrivé, et c'était le principal.

Elle poussa la porte de son logement en prenant garde de ne pas faire de bruit étant donné l'heure tardive de son retour, puis rejoignit rapidement la paillasse qui lui servait de lit dans l'espoir de s'endormir rapidement après avoir soigneusement défait sa natte.

- Caly ? Tu es rentrée ?

Une petite voix d'enfant venait de résonner dans la pièce. Une voix suivie d'une toux annonciatrice de mauvais augures. Une voix qui fit ouvrir les yeux à la personne concernée par ce faible appel, puis se tourner vers le garçon aux boucles brunes qui en était à l'origine.

- Tu ne dors pas encore ?

- J'y arrive pas...

Elle se leva et s'agenouilla près de son frère en silence pour le border convenablement, puis caressa son front en douceur pour en estimer la température qui était anormalement haute.

- Si tu ne dors, tu seras fatigué demain et tu guériras moins vite.

- Je sais mais j'y arrive pas, papa ronfle trop fort... qu'est-ce que t'as fait à tes mains ? Tu saignes ?

- Non, ce n'est rien, dans une semaine ce sera guéri, ne t'inquiète pas pour ça.

- D'accord ! Tu peux me raconter une histoire ?

- Si tu veux. Mais je vais aller chercher de quoi te faire des compresses avant.

Elle partit dans la cuisine un bref instant pour y récupérer un torchon fin et une bassine d'eau fraîche. Elle posa le tout près du lit de son frère et déposa le linge humidifié sur son front.

- Voilà. Tu préférerais laquelle ?

- Celle qui parle des étoiles bavardes et de la lune.

- Alors... il était une fois...

Ce conte racontait l'histoire de deux petites étoiles qui avaient été punies par leur mère, la lune, pour ne pas avoir été assez attentives quand elle essayait de leur faire la leçon, à elles et à leurs soeurs. La lune les avait donc envoyées seules sur la Terre, sans aucun moyen de retourner auprès de leur famille toujours dans le ciel. À force de pleurs et d'excuses, leur mère s'était dite qu'elles avaient compris la leçon, et leur permit de les rejoindre en déroulant un long rayon de lune jusqu'à la Terre pour les aider à remonter dans le ciel.

Sans qu'elle s'en aperçoive, l'enfant s'était endormi en serrant sa main contre sa joue pendant qu'elle lui racontait son conte favori.

- Bonne nuit, Khalan...

Sa voix s'était changée en murmure pour ne pas le réveiller. Calyopée dégagea sa main en douceur, puis échangea les compresses avant de s'asseoir contre le mur pour le surveiller davantage, se réveillant plusieurs fois dans la nuit pour vérifier son état de santé.


Texte publié par Adrielle, 21 février 2018 à 21h52
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