Cette introduction n'a pas été conçue dans l'objectif de remplir au mieux l'épaisse reliure, mais plutôt dans celui de t'aider, que tu sois élève débutant en alchimie, maitre préparant un cours au moyen de cet inestimable ouvrage de ma conception, élément bien à part dans ma bibliographie, dont le détail est donné à la toute fin du livre, ou docteur es alchimie souhaitant revenir aux cruciaux fondamentaux de notre science. Si mon verbe t'est par trop laborieux à comprendre, sache que je ne m'offusquerai pas de ta relecture de cette première phrase, certes longue. Sache également que, dans ce cas, la suite de ce manuel te paraitra bien ardue, et que peut-être te viendra l'envie ou la nécessité de le reposer. Ne jette alors pas ce grimoire au feu, dans un mouvement de vaine colère, mais confie-le à une bibliothèque, une université ou une académie. Que tes capacités cérébrales, hélas insuffisantes, ne privent pas ceux qui sont dignes de ce savoir.

Ce préambule étant posé, il est temps de définir l'alchimie. Ma haute érudition en ce domaine m'oblige, familièrement énoncé, à donner un coup de pied dans la fourmilière et à tordre le cou à des phrases toutes faites. Oui, tant de violence n'est pas digne d'un savant de mon ordre, mais que voulez-vous ? Vaincre le mal à sa racine empêche sa propagation.

Si l'alchimie consiste à modifier les éléments chimiques, elle ne se cantonne pas à la transformation du plomb en or. Il est vrai que cette transmutation, des plus spectaculaires, est la plus célèbre. Mais de très nombreuses autres existent. Le passage d'un métal à un autre est plus aisé que celui d'un élément gazeux en un autre, pour le plus connu. Et pour parvenir aux résultats les plus fins, les plus habiles, mais aussi les plus secrets, les plus jalousés, d'autres connaissances seront indispensables.

La maitrise des langages divins est un bon départ, avec seulement trois différents : les runes, les hiéroglyphes et l'ogham. Chacun ayant ses propres caractéristiques, je te conseillerais de ne pas négliger, pour chacun, les aspects historiques, sociologiques même, afin d'en saisir au mieux les mystères.

Si tu soupires en pensant que la route sera longue, je te félicite pour ta clairvoyance. Si la masse de connaissances et de maitrise t'emplit de plaisir anticipé, alors tu as déjà parcouru une part du chemin et, à mon sens, celle que l'on ne peut contourner. Et si tu désespères, alors mon invitation du début du prologue voit encore une occasion d'être suivie.

L'alchimie ne peut se dissocier de l'herboristerie. Pour obtenir la transmutation souhaitée, il est inévitable de mêler à sa préparation toutes sortes de plantes, fleurs, feuilles, racines, sous diverses avancées et états : fanées, moisis parfois, en poudre, en morceaux, de diverses tailles, pour ne citer que quelques exemples.

La géologie est également nécessaire : cette connaissance des roches et des sols absolument fascinante. Car si les roches ou les cristaux entrent aussi dans la composition des préparations, les lieux de réalisation des transmutations ont leur importance. Il faut parfois parcourir des centaines, voire des milliers de lieues avec sa potion pour l'appliquer à l'endroit le plus pertinent. Ce lieu dépendra donc du sol, mais aussi de l'histoire du dit lieu. L'exemple que je donne souvent correspond aux sites où ont été élevés des bûchers de sorcières. Tant de cruauté et d'innocence sacrifiée laisse des traces ; il nous appartient de repérer, d'identifier et de déterminer à quel accomplissement elles seraient les plus propices.

Un étudiant ambitieux et pertinent s'interrogerait sur les titres des ouvrages dans lesquels se plonger, fiables et actualisés. La grande alchimiste Erzina Bleupoussel a écrit une série de traités sur les plantes aquatiques. Cette encyclopédie est, à ce jour, la plus complète sur le sujet. Sa consœur, Mathilna Vertgivre en a composée une, de qualité équivalente, sur la flore terrestre. Malheureusement, dans chacun des deux cas, leurs autrices sont décédées avant d'avoir eu le temps d'achever leur projet. Et si des successeurs se sont attelés aux tâches de compléter leurs découvertes, ils n'y ont, hélas, pas mis autant de cœur, amoindrissant la qualité des manuscrits suivants.

Pour la connaissance des secrets du monde minéral, il existe de nombreux géologues non-magiciens qui proposent des livres tout à fait satisfaisants. Quant à la magie des roches, elle est excellemment bien abordée par Romani Piedrond, mon ancien disciple, dans sa décalogie Langages et Secrets Cristallins.

Enfin, il existe une autre encyclopédie traitant de tous ces aspects avec précision, rigueur et passion. Très sobrement intitulé Traité d'Alchimie Moderne, ses quarante-sept volumes ont été plusieurs fois nommés et primés par l'Académie de Magie. Quant à leur auteur, moi-même, il n'a pas pour habitude de crier son talent sur tous les toits. La liste des prix suffit à démontrer la qualité de sa réflexion.

La somme d'argent à sortir pour te procurer cette gamme de grimoires peut être une difficulté ; aussi te suggérerais-je de te les procurer d'occasion – je n'ai rien contre le fait d'offrir une autre vie à des livres, mais je doute fort qu'un seul des miens se soit retrouvé dans ce cas. Et sinon, chaque bibliothèque digne de ce nom en possède au moins deux séries complètes. Tu ne risqueras pas de passer à côté dans les rayonnages : ils bénéficient tous de la même couverture abricot, une nuance d'orange qui me plait tout particulièrement.

Pour clore ce prologue, je te soufflerais de ne jamais te décourager. Chaque étudiant a son propre point de départ, et les mieux lotis au commencement ne sont pas nécessairement ceux qui vont le plus loin. Quand je repense à mes jeunes années, un élan de nostalgie m'envahit.

Avec mes alchimiques encouragements,

Cesarius Mandrof

Docteur es Alchimie