Les arbres de la forêt étaient secoués de légers spasmes dus à la brise qui venait chatouiller leurs branches. Leurs craquements étaient une douce mélodie pour celui qui avait élu domicile au cœur d'une forêt de chênes..Au pied de l'un d'eux, un tapis de feuilles recouvert d'une vieille couverture. Un homme allongé sur le dos regardait la voûte céleste entre les interstices des amas de feuilles. Il avait élu domicile dans cet endroit à la fois austère et magnifique : la foret de Fontainebleau. Cette nuit de septembre était si claire que les astres semblaient se décrocher du ciel. Un en particulier attirait l'attention du gisant. La lune, lorsqu'elle est pleine, a un effet plus ou moins subtil sur tous les êtres vivants. Sur lui, cet effet était puissant, voire dévastateur. En cette nuit de pleine lune donc, il luttait de toutes ses forces contre ce cercle livide qui lui incombait de boire du sang humain. D'ordinaire, les autres nuits, ils se contentait de rongeurs, ou autres mammifères de petites tailles. Depuis le coucher du soleil, il avait commencé cette bataille perdu d'avance. Durant sa longue existence, il avait toujours plié. Une coulée de sueur froide lui coulait le long de son épine dorsale Il sentait les premiers tremblements qui annonçaient sa défaite. Rien n'y faisait, c'était dans sa nature. Il avait beau la renier depuis des siècles, ces nuits-là, elle se rappelait à lui, dans toute sa cruauté.
Durant ses pérégrinations, il avait rencontré des êtres de son espèce qui partageaient le même sentiment que lui. Ils vivaient leur nature comme une malédiction. D'ailleurs, le suicide existait chez les vampires, mais c'était un sujet tabou. Cette nature était considérée comme un don, certes un don obscur, mais un don quand même ! Alors la question était : comment faisait-il ces candidats au suicide ? Ne pouvant mourir par des moyens conventionnels, il n'avaient qu'une porte de sortie : une exposition de quelques minutes sous un soleil brûlant. Quelles en étaient les conséquences ? D'abord une douleur atroce, indescriptible, dû à la fois par une brûlure au troisième degré de l'intégralité de la peau et le sang qui commençait à bouillir dans les veines. Ensuite la conscience défaillait et quelques secondes après, une espèce de combustion spontanée qui laissait place à un tas de cendre. Seulement voilà, Thorkel, tout vampire qu'il était, la lumière du jour ne pouvait pas le détruire.
Il dut se soumettre encore une fois à la force toute puissante de la pleine lune. Il se leva avec difficulté, tremblant et suant. La fièvre de l'état de manque. Il secoua avec sa tête de gauche à droite pour enlever les quelques feuilles accrochées à sa longue crinière blonde. Il se couvrit les épaules d'un long manteau noir, usé jusqu'à la corde. Il s'approcha des restes du feu qu'il avait allumé le soir-même, et les éparpilla de sa botte droite. Soudain, sans doute dérangé par le remue-ménage, un rat essayait de se carapater . Thorkel, avec une rapidité foudroyante l'attrapa et le croqua dans la foulée. Ce maigre repas avait l'avantage de lui donner un peu de force avant de commencer sa partie de chasse. Il grimpa à un arbre avec l'agilité d'un singe, afin d'avoir une vue plus dégagée sur les alentours. A quelques kilomètres de là, il aperçu la lisière de la forêt. Son œil de vampire, scruta encore plus loin. Une voiture seule était garée sur un parking tout feux éteint. Malgré la distance et l'obscurité, il percevait une présence dans cette même voiture. Sa pitance lui tendait les bras !
Il se déplaçait d'arbre en arbre, sautant d'une branche à l'autre. Il s'arrêta à quelques mètres du parking pour observer. Un homme sorti de la voiture pour se griller une cigarette. Thorkel en déduit qu'il attendait quelqu'un. Quelques minutes après, une autre voiture vint se garer sur la place à côté. Un autre homme en sorti. Il semblait assez fébrile. Le vampire tendit l'oreille pour capter leur conversation.
T'as l'argent ?
L'homme fébrile lui tendit une liasse de billets. Après l'avoir compté, il fouilla dans le rangement de sa porte de voiture restée ouverte. Il s'approcha à nouveau de son interlocuteur et lui donna un sachet de poudre blanche.
Tiens, c'est de la bonne. Tu vas vraiment kiffer !
L'autre l'enfourna dans sa poche. Retourna prestement dans sa voiture et la démarra en faisant crisser se pneus. Le « dealer » ne semblait pas pressé de rentrer. Attendait-il un autre client ?
Thorkel, se dit qu'il était tant d'agir avant que quelqu'un d'autre se pointe. Il sauta de son point d'observation et se posta derrière la voiture du dealer en une fraction de secondes et sans un bruit. L'homme jeta son paquet de cigarette vide et retourna dans sa voiture pour fouiller sa boite à gant. Thorkel rentra par la portière ouverte et empoigna l'homme à la gorge. Il plongea son regard bleu dans celui de sa victime. Celle-ci semblait tétanisé, à sa merci. Le regard du vampire se fit de plus en plus intense et ses pupilles luminescentes. L'homme tomba dans un profond sommeil. Il ne pouvait décemment pas consommer sa victime, ici, dans ce parking. Depuis une trentaine d'années, il était devenu beaucoup plus prudent. Les endroits publiques s'étaient équipés de caméras de surveillance. Tandis que les téléphones portables étaient maintenant tous équipés d'une webcam. Il s'imaginait en tête des vidéos youtube entrain de sucer le sang de sa victime. L’obscurantisme n'étant plus dans l'ère du temps, il avait plus de chance que cette vidéo soit prise pour un fake. Mais il voulait tout de même éviter ce genre de popularité ! Étant donné qu'il voulait prendre tout son temps pour le vider de son sang, Thorkel décida de l'emmener autre part. Il installa l'homme endormi sur la banquette arrière. Il fouilla les poches de son pantalon pour en retirer un trousseau de clés. Il s'installa sur le siège conducteur. Depuis la dernière pleine lune, il ne s'était pas aventuré en dehors de la forêt où il avait prit refuge. Il senti une excitation grandir en lui. Après avoir appréhendé cette escapade meurtrière, il appréciait ce vent de liberté. La voiture était sans doute pour quelque-chose : une Porche Carrera assez récente, de couleur bleu foncée métallisée. Accaparé par son objectif, il n'avait pas fait attention à la voiture de sa victime, jusqu’à ce qu'il s'installe dans son habitacle. Même si ce n'était pas un aficionados des voitures, il aimait la belle mécanique. Dans sa longue existence, il avait pu assister à l'évolution des technologies. Et sa fascination pour elles grandissait conjointement avec celle éprouvée pour le génie humain. Une vingtaine d'années avaient tout de même passées depuis sa dernière virée en voiture. Ainsi se posait t' il cette question légitime : pourrait-il conduire un tel bolide ? Le conducteur précédent n'avait pas la même carrure que lui. Il recula donc le siège pour être plus à l'aise. Prit plaisir à entendre le son du cuir lorsqu'il y cala son dos. Il mit la clé de contact pour démarrer le moteur. Un ronronnement en sorti comme si la voiture elle-même était contente qu'on la conduise à nouveau. Après deux démarrages ratés, Thorkel enclencha à nouveau la première et poussa plusieurs fois la pédale d'accélérateur pour entendre le rugissement du moteur. Ce bruit délicieux lui conféra un sentiment de puissance qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps . Il trouva une petite route pour s'enfoncer à nouveau au cœur de la forêt, à l’abri des regards indiscrets.
A présent, la voiture roulait depuis une vingtaine de minutes. Après quelques embardées, Thorkel en avait maintenant pris parfaitement le contrôle. Il vis dans son rétroviseur la pleine lune descendre dangereusement. L'aube ne tarderait pas.
Thorkel aperçut enfin à travers les arbres une vieille cabane en bois à quelques mètres de la route. Il stoppa la voiture pour s'approcher de plus près à pied. Son odorat de vampire ne perçu aucune présence humaine. Il décida tout de même d'inspecter la cabane. Il poussa une vieille porte en bois tenant à peine sur ses gonds. Ça sentait la poussière et des toiles d'araignées s'étendaient de part et d'autre de la pièce. Pour seul mobilier, une table et une chaise. Aucune fenêtre. L'obscurité n'était pourtant pas totale. A travers les plaintes de bois rongées par le temps, la lumière semblait pouvoir passer. Le vampire pouvait imaginer que beaucoup de vagabonds s'en étaient servis comme pied à terre. Cet endroit était donc parfait !
Après avoir installé sa victime toujours endormie sur la chaise. Il se dit qu'il n'avait pas besoin de la réveiller pour assouvir sa soif. D'autant que cette exsanguination ne lui laissait peu de chance de vivre. Après un mois d'un régime de sang de rongeur, Thorkel aurait du mal à s'arrêter au seuil de la mort. Il fit donc le tour de la chaise. Se plaça contre le dossier, tourna délicatement la tête de l'homme tout en maintenant une certaine pression avec ses doigts à un endroit précis du crâne pour rendre la veine jugulaire du cou saillante. L'afflux régulier du sang que le vampire voyait battre à travers la peau le transporta dans un état second. Sa bouche dessina un rictus qui transpirait la cruauté, ses canines commencèrent à pousser, ses pupilles se dilater. Il planta ses crocs dans le cou de l'homme, qui tressaillit un bref moment. Thorkel se délectait du sang qui coulait abondement de ses minuscules orifices qu'il avait commis. Une vague de chaleur envahie tout son être. La couleur de sa peau reprenait des couleurs. Il sentait toutes ses forces lui revenir. Quant à sa victime, sa vie l'abandonnait doucement.
Thorkel reprenait son souffle dans un coin de la cabane. Le tableau qu'il voyait était étrange : L'homme inerte sur sa chaise semblait flotter, entouré par des faisceaux lasers que les premiers rayons du soleil produisaient dans la poussière en la traversant. Que faire du corps ? Il lui semblait que la solution la plus sage était de le cacher dans les bois à quelques kilomètres de la cabane. En comptant sur les créatures de la forêt pour achever le travail.
Ayant accompli son labeur, le vampire retourna à la voiture. En voyant à nouveau cette belle automobile, qui lui avait redonné le goût de l 'aventure, il décida qu'il était temps que sa retraite au cœur de la forêt de Fontainebleau cesse. Quarante années avaient passé depuis qu'il avait décidé d'abandonner la civilisation. Il avait dû anéantir son propre enfant des ténèbres. Ce temps lui avait été salutaire pour se le pardonner.
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