Une neige délicate tombait dans la nuit. Astria écoutait de la musique criarde, son casque noir plaqué sur ses oreilles. Trop maquillée, les cheveux en désordre, des vêtements serrés très colorés propres aux emos et un gilet large par-dessus. Elle ne répondait pas aux appels de sa famille derrière la porte de sa chambre. C’était le 24 Décembre. Il faisait horriblement froid. Elle avait mis le chauffage à fond puis reniflé un rail de coke avec du rhum. À présent elle notait ses impressions et dessinait. Cette sensation de planer, d’appréhender ses sens très différemment. Une petite nausée lui entravait la gorge, mais elle débordait d’énergie et consignait tout ce qui lui passait par la tête dans son cahier recouvert de têtes de mort peintes au vernis.
Malgré tout, une torpeur étrange l’envahissait. Elle voyait les flocons tomber dru. Elle les touchait même, car il n’y avait plus de frontières.
Fenêtre ouverte, un genou fléchi sur l’encadrement en PVC, elle voyait cette mer blanche, infinie.
Les yeux vitreux, elle se jeta dans le vide. Vers cet inconnu incroyable.
Face contre terre, Astria réalisa d’abord que la surface était dure et froide. Elle se releva, éberluée. La neige sous ses pieds étincelait de mille feux. Le ciel était rose, des champignons géants projetaient leurs ombres limpides. Limpides oui, des ondes remuaient à l’intérieur comme si elles hébergeaient une rivière.
Astria posa le pied sur l’une d’elles, elle fut instantanément trempée. Elle regarda les nuages en forme de cœur blanc défiler dans le ciel et pensa qu’elle avait certainement trop forcé sur la dose. Elle essuya son nez et grelotta. Les sensations qu’elle éprouvait étaient toutes terriblement réelles. C’était la première fois qu’elle s’immergeait complètement dans un monde à travers la drogue. C’était grisant.
Elle replia ses bras sur sa maigre poitrine. Astria avait des cheveux noirs ondulés et des yeux verts vitreux. Ses mitaines ouvertes ne la protégeaient pas du froid. Elle se demanda encore si elle était morte, si ce qu’elle voyait appartenaient à « l’après ».
Elle marcha un peu, bien vite fatiguée.
– Hey vous !
Un homme habillé en rouge et vert, une branche de houx sur son veston, coiffé d’une casquette british ; se dirigeait vers elle.
– Vous n’avez pas honte ?!
– Qui ça, moi ?
– Vous enfuir de la sorte !
Astria le considéra, abasourdie. Mais de quoi parlait-il ?
– Cela ne fait rien ! Je vous ai retrouvée, le problème est réglé !
Avant qu’elle puisse réagir, l’homme plutôt séduisant posa son index sur elle. Ce contact la miniaturisa. Pas plus haute qu’une petite poupée, il la fit entrer dans une boule de Noël. Ses vêtements se volatilisèrent, une tenue de ballerine rose épousa ses courbes frêles. Un chignon sophistiqué, un maquillage discret, des ongles impeccables ; elle n’était plus la jeune fille de 16 ans en jean slim.
Catastrophée, Astria frappa contre le verre qui la retenait prisonnière.
– Qu’est-ce que c’est que ce délire ?! Laissez-moi sortir ! Et rendez-moi mes fringues !
– Certainement pas ! Vous danserez comme toutes les autres !
– Les autres ?
Dans la sacoche en cuir vert, Astria remarqua d’autres boules comme celle dans laquelle elle était enfermée. Chacune brillait d’une lumière bleutée. Trois filles étaient avec elle, les aborder lui permettrait peut-être d’en savoir plus.
– Salut, qu’est-ce qu’on fout là ?
Celle avec des macarons noirs, typée asiatique, était vêtue d’une robe de ballerine orange. Elle lui répondit :
– Nous allons danser pour le Roi Kelgidham…
– Kelgidham ?
Quel nom improbable, cette fille devait être sacrément défoncée…
La deuxième ballerine, les cheveux remontés en queue de cheval était habillée d’une robe bleu pâle. Elle ajouta :
– Après quoi nous décorerons son repas de Noël…
La dernière, des anglaises blondes avec des petits nœuds dorés portait une robe blanche. Elle annonça :
– Puis nous serons dévorées comme des bonhommes de pain d’épice…
Astria se frotta le nez. Il n’était plus rouge, eh bien il aurait dû ! Elle se demanda si ce genre d’expériences était toujours aussi réaliste en état de défonce aussi avancé.
– Waouh… Ça a l’air hardoss…
– Nous sommes perdues !... – gémit la deuxième.
– Ah ok.
– Et toi, ça ne te fait rien de finir de cette façon ?
– Bah… Je suis paumée depuis longtemps, donc bon… Rails de coke, opium, cannabis, vodka, rhum, tequila… – elles la regardèrent bizarrement, elle reprit – Et donc, c’est quoi vos petits noms ?
– Kasumi. – la renseigna l’asiatique.
– Anaïs. – dit la deuxième.
– Maribelle. – conclut la troisième.
– Ça va, c’est pas trop compliqué. Pas comme… Comment c’est déjà… Kel machin chose.
Anaïs se remit à pleurer.
– Kelgidham…
– C’est sûr que crever comme ça c’est pas top… Vous avez tout essayé avec le rescapé de l’asile qui nous transporte ?
– Léonard ? Il ne veut rien entendre. – expliqua Maribelle.
Astria croisa les bras.
– Hey ! Léonard ! – comme il ne répondait pas elle cria – Connard ! Connard ? Hey connard ?!
– C’est Léonard ! – il ouvrit la sacoche – Qu’y a-t-il ?
– On fait un deal ?
– Un quoi ?
– Si tu nous libères, je peux te fournir le meilleur opium de New-York !
– Opium ? New-York ? À quoi faites-vous allusion ?
Astria ouvrit grand les yeux.
– Woah ! Je plane sévère !
– Dans tous les cas, si votre démarche consistait à me soudoyer, sachez que ça ne fonctionne pas avec moi.
– Tout le monde est corruptible.
– Que nenni très chère ! De tels propos ne siéent guère à une noble !
– Noble ? Non j’ai pas un rond, je paie en nature.
Léonard s’arrêta, surpris.
– En nature ?... Vous vous prostituez ?...
– C’est pas un joli mot vous savez. Disons que je fais une transaction sans liquide, monnaie je veux dire, parce que du liquide si, y en a un paquet !
Léonard referma la sacoche, écœuré.
Le voyage se poursuivit en silence. Les filles étaient choquées de savoir leur compagne si frivole. Personne n’avait froid dans les petites boules de verre. Astria tapa ses mains dessus, se jeta avec son poids ridicule, rien n’y fit.
– C’est inutile. – rappela Maribelle.
– Il y a forcément un moyen. Et au fait, vous savez pourquoi ce type mange des filles à Noël ?
Elles l’examinèrent comme si elle était cinglée.
– Mais enfin… – fit Kasumi – Parce qu’il aime ça…
– Ouais, c’est une réponse comme une autre. Avant de tester on ne peut pas savoir, c’est comme la drogue.
– La quoi ?
– Y a rien pour se défoncer ici ? Vous devez vous faire grave chier. Mais en même temps vous vivez dans ma tête à cause d’un mauvais trip. Alors c’est pas si grave.
Anaïs, assise sur son petit banc, demanda :
– Souffres-tu d’une maladie mentale ?
– Pas que je sache, mais c’est possible.
La sacoche cessa de cahoter quelques instants. Puis le rythme reprit plus lentement. Jusqu’à ce que le bruit feutré des bottes dans la neige soit remplacé par celui de la pierre qu’on piétine. Des portes grincèrent plusieurs fois. Puis Léonard s’arrêta tout à fait.
– Vous les avez ?
La voix était dure et glaireuse.
– Bien sûr Votre Altesse.
– Mettez-les au-dessus de la cheminée.
Léonard s’exécuta. Les quatre boules furent alignées sur le linteau de marbre. Astria put voir le Roi : un homme à la peau flasque et tombante, une barbe taillée en pointe, des yeux cruels et des vêtements très chauds d’un vert démodé. D’énormes bagues taillées dans l’os de ses victimes ornaient ses doigts gras.
Kelgidham se pencha sur chacune d’elles. Anaïs pleura de plus belle, ce qui l’amusa beaucoup. Puis vint le tour d’Astria.
– Hey ! Le vieux ! Pourquoi tu veux nous bouffer ?
Interloqué, il bigla ses énormes yeux presque noirs sur elle.
– Quelle est cette outrecuidance ?! Durant tout mon règne on ne m’a jamais posé cette question !
– Elles devaient être sacrément connes alors.
Cette remarque offusqua les trois autres.
– Comment une noble peut-elle parler ainsi ?!
– Il y a erreur, je suis une étudiante sans le sou.
Kelgidham fulmina.
– Léonard ! Qu’est-ce que ceci ?!
– Je puis vous assurer qu’il s’agit bien d’Astria de Lioncourt.
– Ah non non. – démentit l’intéressée – Moi c’est juste Astria, sans particule.
– Elle essaie de s’enfuir avec des mensonges, Altesse.
– Elle est plutôt convaincante.
– Une feinte. Sa malice ne la rendra que plus goûteuse.
– Soit. Qu’on les laisse ici. Je veux qu’elles entendent les couteaux s’affûter. Leurs gémissements seront le meilleur des encas.
Astria reprit :
– D’accord mais pourquoi ?
Le Roi devint rouge de colère.
– Parce que j’aime ça ! Rien ne me fait plus plaisir que vos hurlements quand je déchire vos chairs entre mes dents !
– Ah, on est encore vivantes à ce moment-là. Pas cool. Je veux voter toutes les pétitions disponibles contre la cruauté royale. – Kelgidham posa ses mains crasseuses sur le verre qui emprisonnait Astria – Oulah doucement, t’as rien payé gros cochon. En plus, même pour 5 grammes de cocaïne je ne voudrais pas.
– Ma cruauté va te faire regretter de ne pas être morte sur le coup… !
– Ah ? Je suis vraiment morte en fait ?
– Vile catin ! – vociféra le Roi.
– Ouais mais j’ai aucune MST moi ! Ce qui doit pas être votre cas !
Le Roi Kelghidam sortit en trombe en crachant une flopée d’injures dans une autre langue. Astria se cura l’oreille, renifla et jeta son cérumen. Non, ça ne se prisait pas. Bien qu’avec un manque de trois mois elle pourrait peut-être en arriver là.
Anaïs se recroquevilla sur elle-même une fois que Léonard referma la porte.
– Nous sommes sur le point d’être dévorées vivantes… Et toi tu as l’audace de le provoquer… Il nous fera souffrir, ça oui…
– Mais attendez, Noël n’est pas censé être une fête joyeuse avec de la déco, des cadeaux, des amis, tout ça ?
– Si elle l’est.
Astria constata qu’un énorme sapin qui atteignait le plafond jetait des éclats multicolores. Des guirlandes serpentaient de toutes parts, des angelots, des confiseries, du gui et du houx, des couronnes en osier… L’Esprit de Noël était bien là, sauf qu’il avait un aspect sinistre dans son menu. Des petites maisons en pain d’épices avoisinaient leur habitacle de verre. Astria les trouvait plutôt appétissantes, surtout la ganache blanche qui lui rappelait la pureté du LSD quand il pesait dans ses veines. Il y avait forcément un moyen de sortir d’ici. Elle y était entrée, elle pouvait donc le quitter. À moins que Léonard soit le seul à pouvoir jeter ce maléfice, elle avait une chance de s’enfuir.
Astria examina le verre. La solution lui apparut d’elle-même. Elle ne pouvait pas le casser c’est vrai, mais l’éclater était possible. Elle prit son élan et se jeta de toutes ses forces contre la boule de Noël. Cette dernière oscilla. C’était bon signe.
Kasumi l’interrogea.
– Que fais-tu ?
– Je me casse.
– Mais c’est impossible !
– Le verre ça se pète facilement.
Elle se projeta encore. La boule chancela, quitta l’architrave pour dégringoler sur le sol. Sauf qu’elle ne se brisa pas.
– Ce verre est magique. – précisa Maribelle.
Avachie contre sa cage, la joue collée à même le verre, Astria répliqua :
– Comment vous savez ça ?
– Tout le monde le sait ici.
– C’est pas logique. J’aime quand mes bad trips sont logiques. C’est comme pour les films, sinon je suis pas dedans.
– Eh bien tu es coincée dans cette boule ma chère, je te le confirme.
Astria se redressa, en équilibre précaire.
– Pour le moment.
– Quelle entêtée !
– Je tiens à ma peau ! Même si c’est qu’un bad, je veux pas mourir comme ça, mon imagination pourrait me donner des putains de sensations !
Tandis qu’elle monologuait, un chat rentra par la chatière. Il était obèse, un ruban doré autour du cou. Une ligne noire sinuait dans son pelage gris, lui donnant un aspect démoniaque. De grands yeux orange étincelaient au-dessus de son museau triangulaire. La queue dressée, il avança, le ventre touchant presque le sol. Arrivé devant la petite boule de Noël, il loucha sur Astria qui lui lança, victorieuse :
– Aha ! Tu ne peux pas me manger, je suis hors d’atteinte ici !
Le félin releva le défi. Sa patte pénétra le verre. Astria se pelotonna tout au fond. Courtaud, le chat joua avec la boule en attendant de planter ses griffes pour le plaisir.
– Comment il peut faire ça ?!
Maribelle lui expliqua :
– Son ruban est magique, il peut passer à travers tous les sortilèges.
– Quelle idée tordue ! Pourquoi ?
– Oh arrête avec tes pourquoi ! C’est comme ça c’est tout !
– C’est pas une réponse ça.
Le chat, prénommé Rolan, finit par érafler Astria. Elle s’accrocha à sa patte avant et après avoir bataillé de longues minutes, sortit du verre en se suspendant à ses poils. Rolan feula, s’ébroua, mais étant en surpoids, Astria parvint à lui échapper. Elle arriva devant la chatière et se hissa dessus pour se laisser tomber de l’autre côté.
C’était un vaste couloir décoré de guirlandes, de branches de houx au gui rouge. Des serviteurs en livrée de Noël se hâtaient d’emporter des plats divers tels que du nougat, des fruits confits, des piles de couverts impeccables.
Astria se fixa sur une chaussure qui la mena aux cuisines. Une oie rôtissait dans les fourneaux. L’odeur appétissante la fit saliver. Elle remarqua une nouvelle maison en pain d’épices couverte de ganache et décida de s’y cacher le temps de réfléchir.
Elle ne connaissait absolument pas cet endroit. Les bad s’appuyaient sur des peurs bien précises, or elle n’avait jamais cauchemardé de se faire dévorer vivante. Les lieux n’avaient rien de familier. Un rêve ? Un bad ? Un décès ? Difficile à déterminer. En tout cas, elle devait bien admettre que ces fruits confits sur le pain d’épices étaient diablement bons. Si c’était un délire, c’était le plus fort de toute sa vie.
La maison fut soulevée, Astria tomba à la renverse. Quelqu’un la transportait. Elle regarda par la fenêtre, de nouveaux couloirs s’ouvraient. Des statues d’anges en or pur aussi grands que des hommes tenaient trompette, encensoir, couronne de fleurs, myrrhe et étoffe.
Dans sa cachette gourmande, Astria avait froid. Il devait sans doute neiger dehors.
On l’amena dans un immense salon pourvu d’une table interminable garnie de mets délicats. Depuis la fenêtre médiévale typiquement anglaise, on pouvait discerner le ciel gris qui se diluait dans la nuit. Il devait être 17h. Les bûches à la crème qui occupaient l’extrémité droite étaient si alléchantes qu’elle avait très envie de sortir les manger. Elle dut se contenir le temps que les serviteurs repartent. Un bon feu brûlait dans l’âtre. Il y avait une trentaine de sièges, le Roi Kelgidham avait beaucoup d’amis apparemment. Étrange pour un fou cannibale…
Astria sortit de sa cachette pour admirer la grosse bûche au chocolat garnie d’orange. Celle à la cerise n’était pas mal non plus ! Elle planta ses doigts dedans mais elle était trop petite pour en détacher un morceau. Elle força dessus, ses pieds se coincèrent dans la nappe, le vin chaud quitta sa coupe de bronze pour l’asperger des pieds à la tête. Astria toussa, elle ne pensait pas que boire la tasse avec de l’alcool était possible jusqu’à ce jour. Son nez et sa gorge brûlaient atrocement. Elle entendait son cœur battre dans ses tempes, de gros vertiges la firent tituber.
– Putain… J’ai… trop bu… Hic !
Elle tomba, resta vautrée un moment sur la nappe mouillée. Puis un serviteur la vit et poussa un cri, tout le château fut alerté. Astria se releva péniblement, chancela à multiples reprises pour finalement chuter sur la chaise. Un oreiller rouge moelleux amortit le choc.
Moult domestiques envahissaient déjà les lieux à sa recherche. On appela Léonard mais il était sorti. La chaise fut tirée, Astria glissa sous l’oreiller, ou plutôt roula en-dessous sans s’en rendre compte.
– Elle n’est pas là !
– Là non plus !
– Il faut vite la retrouver avant que Sa Majesté le découvre !
– Oui, sinon nos têtes risquent de tomber…
Ils s’activèrent sans succès. Pendant ce temps, Astria eut tout le loisir de dégobiller sur le bois de la chaise. Elle était habituée ce qui facilitait les choses, mais ce n’était jamais agréable.
Après deux heures de recherches, la fouille se prolongea ailleurs, tout le monde était convaincu que la ballerine avait réussi à s’enfuir. En vérité, Astria était tellement ronde qu’elle n’aurait pas pu même avec de la bonne volonté.
Elle éructa, vomit de la bile et se hissa mollement à la nappe pour trouver quelque chose capable de chasser ce goût désagréable. Il y avait des Lebkuchen un peu plus loin, mais mordre dans ce pain d’épices recouvert de chocolat s’avérerait compliqué. Elle se rabattit donc sur la bûche à la cerise. Bon choix, c’était délicieux !
Puis elle s’assit dans le plateau en argent avec un léger hoquet. Elle s’apprêtait à faire une sieste quand trois punks emos entrèrent. Cheveux noirs, mèches roses, vertes et bleues ; des maquillages lourds, revêtus de nippes vulgaires et dénuées de goût. Ils portaient tous une couronne ridicule.
– Oh… C’est trop injuste… Pourquoi on doit chercher une fille ?... Vie de merde !
– Ouais trop !... Je vais me scarifier d’abord !
– Non mais je l’ai fait avant vous !...
– Baltazar t’es qu’un sale tricheur !...
– Trop !...
Baltazar ? Se pouvait-il que les deux autres soient Melchior et Gaspard ? Les Rois Mages ?! Ils étaient complètement barrés !
– Si on la trouve pas, comment on pourra célébrer la nativité de demain matin ?
– Pas forcément demain matin, ça dépendra de ce que le Roi mangera ce soir.
– Ouais trop !...
– Des pruneaux et hop !... Nativité célébrée !...
– Trop !...
Astria étouffa un rire. Ces imbéciles commémoraient la grosse commission de Kelgidham à Noël. Elle ne parvint pas à se retenir et les Rois Mages se dandinèrent en canard jusqu’à elle.
– On l’a trouvée !...
– Ouais !...
– Lol !...
Astria rit de plus belle. Sauf qu’ils se saisirent d’elle et qu’elle n’était pas en mesure de se soustraire à leur emprise. Ils l’amenèrent au Roi Kelgidham. Ses deux bras étaient ramenés dans son dos, il se dégageait de lui une colère extrême.
– Comment a-t-elle pu s’enfuir ?! Elle avait forcément un complice ! Des têtes vont tomber ce soir !
– Pas les nôtres lol !
Le Roi se retourna.
– Pas pour le moment en effet. Mais rien ne garantit que je ne change pas d’avis.
– Pas cool…
– Faites quérir Léonard. Je veux qu’elle regagne sa geôle le temps que les derniers préparatifs soient terminés.
Les Rois Mages se hâtèrent donc à leur façon, plus semblables à des lavettes animées par un ultime sursaut de vie qu’à un malade avec 6 de tension.
Toujours avinée, Astria songea à ces boules magiques en essayant de faire la part des choses. Comment les Princesses pouvaient se soulager là-dedans ? Y avait-il des toilettes cachées quelque part ? Elle n’avait vu aucune porte munie de l’inscription WC. Dans ce cas les filles devaient supporter leurs propres odeurs, c’était monstrueux ! Ce méchant Roi n’avait pas pensé qu’une Boule Magique pouvait avoir une fonction lessivable !
La voix mal assurée, elle bafouilla :
– Vous êtes… ! Horrible… !
– Oui c’est mon rôle.
– Vous n’avez pas postulé dans ma tête pourtant… J’ai pas organisé de casting pour le bad du siècle. Pas vrai ?
– De quoi parles-tu, vilaine ?!
– Vilaine moi ?! Mais tu t’es regardé ?! Ta mocheté cache le soleil !
– Parle tant que tu veux, tout à l’heure je te croquerai en me délectant d’une bonne cruche de vin épicé pour mieux te savourer.
– Vieux dégoûtant ! Le cannibalisme est interdit !
La porte s’ouvrit sur Léonard, visiblement embarrassé.
– Altesse, puis-je m’entretenir avec vous un instant ?
– Avant cela, enferme cette fille.
Ses gants blancs étaient froissés sous les frictions qu’il exerçait sans même s’en apercevoir.
– À ce sujet… Des villageois prétendent avoir vu Astria s’enfuir vers les montagnes tout à l’heure…
– Ridicule, elle est ici !
– Ses parents corroborent les faits. J’en viens à penser qu’il y a peut-être deux Astria. Vous ne pouvez pas manger celle-là, elle n’est pas noble c’est évident.
– Il est vrai, elle se conduit comme une puterelle des bas-quartiers. Tu dois la supprimer comme il se doit. Et surtout, fais-la souffrir pour son insolence.
– Bien Altesse.
Léonard emporta la minuscule Astria dans sa paume. Elle cuvait encore. Il descendit au sous-sol où des fours géants répandaient une formidable chaleur. La jeune fille trouvait ces teintes orange plutôt jolies et au moins il ne faisait pas froid.
– Tu vas brûler vive. – déclara Léonard sans ménagement.
– Ah non alors ! En plus je suis bourrée, ça risque de vite flamber !
– Tu dois payer l’affront que tu as fait au Roi.
– Quel affront ?
– Te faire passer pour Astria pour commencer.
– Mais je suis Astria ! L’autre c’est une copiteuse !
– Une quoi ?
Là elle ressemblait à une gamine qui manquait de vocabulaire.
– Astria c’est un prénom qui n’existe pas ! Mes parents l’ont créé ! Tu comprends ?! Donc c’est qu’une fausse cette fille-là !
– Peu importe, tu dois mourir.
– Oh aller quoi ! Je veux vivre moi ! S’te-plaît !
– Les ordres sont les ordres.
Astria ouvrit des yeux aussi grands que ceux des héroïnes de shôjos les plus neuneus.
– Nous pourrions partir à l’aventure et vivre cet amour interdit dans le plus grand secret…
– Pardon ?!
Elle cogna ses petits poings sur les doigts de son hôte.
– Je veux vivre ! Je peux même accepter le bondage si tu veux ! Ligote-moi et fais ce que tu veux, mais ne me jette pas là-dedans !
Léonard haussa un sourcil circonspect.
– Pourquoi Diable te ligoterais-je ?
– Pour assouvir tes fantasmes.
– Navré, les pauvres ne m’intéressent pas.
– N’es-tu donc pas assez pervers pour céder ?
– Non.
Il ouvrit la grille en fer, une chaleur suffocante s’en échappa. Astria s’agrippa à lui en utilisant sa dernière carte : la compassion.
– Léonard je t’en supplie ! Je ne suis qu’une fille qui ne connaît rien de la vie ! L’idée que tu puisses abréger mon existence ici me terrifie !
– Tout le monde a peur de la mort quand elle arrive.
– Léonard… Je ne suis pas noble, mon sacrifice n’est donc pas nécessaire… Peux-tu me libérer ? Juste pour cette fois ?
– Mademoiselle espère trop, je ne suis pas si bon.
– Tu ne m’as pas encore jetée dans le four, il y a de l’espoir, il y a de…
…il s’exécuta, elle cria. Léonard referma la grille. Astria céda à la panique la plus totale, sa peau commençait à chauffer. Elle transpirait. Elle allait mourir ici. Elle ne pouvait pas taper sur la grille qui était bien trop chaude. Sa gorge s’asséchait, son corps était en nage.
Elle se déconnecta de ce maelström de désespoir. « Réfléchis… Réfléchis… » Si c’était un bad, elle pouvait changer les règles, trouver un moyen de s’en tirer. Elle décida d’y croire pour survivre.
Une trappe en forme de couronne de l’avent apparut alors derrière elle. Elle s’échappa par là.
La chute d’Astria fut longue, défiant les lois de la gravité. Le sous-sol devint beffroi. Elle atterrit dans une chambre, sur un lit à la parure rouge et blanche, un grelot estampait son centre. C’était douillet et sentait le propre.
Astria resta allongée là plusieurs minutes. Elle avait survécu parce qu’elle avait décidé d’y croire. Elle tourna la tête. Derrière d’immenses fenêtres, des flocons de neige s’amoncelaient. Un bon feu brûlait dans l’âtre. Astria s’assit. Elle se frotta les yeux, bâilla. Des ours coiffés d’un bonnet et d’une écharpe de Noël meublaient la chambre avec des chevaux à bascule, des bonhommes de neige lumineux et des flocons en tissu. Un grand sapin était dressé ici aussi. Finalement, cet endroit n’était pas vilain si on enlevait le méchant Roi.
Lorsque la porte grinça, Astria se laissa tomber sur le plancher pour se cacher sous le lit. Les effets de l’alcool s’étaient dissipés.
Léonard fit entrer une jeune fille dans la pièce. Elle ressemblait beaucoup à Astria avec ses cheveux noirs remontés en chignon et ses yeux verts brillants. Il la débarrassa de sa pelisse, l’air agacé.
– Une fois que le problème sera réglé, n’espérez pas vous en tirer.
Elle ne répondit pas. Léonard repartit, la dame s’assit sur le tapis aux motifs de viennoiseries, du gui et du houx cadrant les quatre coins. Face à la cheminée, elle méditait, les bras refermés sur ses genoux ; une position qu’Astria ne connaissait que trop bien.
Timidement, elle se faufila jusqu’à la géante.
– Hey.
La demoiselle fouilla les lieux du regard, à la recherche de la voix qui s’était adressée à elle. Ses yeux se posèrent alors sur la figurine animée.
– Ciel ! Vous êtes une des ballerines ?
– À ce qu’il paraît. J’en sais rien en fait. J’ai pris trop de coke et voilà le résultat.
– Coke ?
– Drogue si tu préfères. Tu connais les champis ? Le jour où j’en ai mangé j’ai plané, je me suis bien marrée.
– Champis ? Champignons ?
– Ouais hallucinogènes, c’était super fun !
La noble ne comprenait pas vraiment le discours de cette danseuse. D’ailleurs elle ne savait rien sur elle.
– Quel est votre nom ?
– Astria.
– Quelle coïncidence, moi aussi !
– Ah c’est toi la copiteuse !
– La quoi ?
– Je suis la seule Astria ! Faut arrêter le plagiat !
– Je pensais être la seule également, ce n’est pas très répandu.
– Oui ça n’existe pas ! J’ai un pote qui s’appelle Sokchetra ! Non ce n’est pas son pseudo, c’est son vrai nom ! Imagine la loose en primaire ! Par contre, comme c’est devenu une légende sur le web, il peut se la péter en public quand on le reconnaît. Ça c’est trop classe.
– Euh… Je ne sais quoi dire…
– Alors chut, laisse-moi raconter mes déboires. Si tu as de la bière je ne serai pas avare en détails.
– De la bière, non ! La bière est pour la basse classe ! Ici seul le vin le plus goûteux est servi !
– Fait chier…
Néanmoins, la petite Astria concéda à lui raconter sa vie de pauvre étudiante, de déchet humain, de dépravée. Elle fit rougir son aînée en lui décrivant la fellation qu’elle avait pratiquée sur un vieux fortuné. Elle évoqua ses amours malheureuses. Le monde d’où elle venait était sale et perverti, selon elle il était normal d’en arriver là.
La jeune dame lui demanda :
– Avec autant de misère, comment vas-tu survivre ?
– J’en sais rien. Je m’en carre. J’ai appris à ne plus penser à demain. Je vis chaque jour, chaque heure. Je me came pour oublier le présent. C’est juste que là, j’ai un peu abusé.
– D’après ce que tu me racontes, la drogue est quelque chose dont on ne peut plus se passer et qui cause des dégâts c’est ça ?
– L’addiction oui. Mais les dégâts, ça dépend. Le cannabis fait forcément du bien.
Elle sourit en se remémorant ses premiers pétards à 11 ans.
Une bûche craqua dans la cheminée.
– Je trouve ça triste.
– Tu pourrais pas vivre dans mon monde en pensant comme ça.
– Sans doute. Mais j’ai envie de croire qu’on a la possibilité de mener une vie heureuse.
– Je t’arrête de suite cocotte. Avec tout ce qu’on nous fout dans les dents, on est juste bons à lécher la merde sur les trottoirs.
– Mais c’est… abject…
– C’est imagé hein ! Ce que je veux dire c’est qu’on est surveillés tout le temps, on ne peut pas se rouler un pet tranquille. Le Gouvernement, tout ça…
– Qu’est-ce ?
– Ça remplace l’autorité du Roi.
– Vous n’avez pas de Roi dans votre monde ?
– Et non, plus depuis un bail.
– Ah bon…
Astria lui expliqua ce qu’elle savait. Jusqu’à ce que le coucou sonne 19h. La jeune dame se releva, craintive.
– Il est 19h… L’heure du repas de Kelgidham…
– Si Léonard revient, essaie de le séduire.
– Certainement pas !
– Tu tiens à ta peau oui ou non ?
– Oui mais…
– Ensuite tu l’assommes et on se casse !
– Je ne peux pas abandonner les autres ballerines.
– On s’en fout elles sont connes !
– Astria…
– Quoi ? J’ai tort peut-être ?
– Tu n’as pas eu d’éducation mais tu ne dois pas les jalouser pour autant.
– Les jalou…quoi ? Oh non je ne suis pas comme ça !
La porte s’ouvrit sur un Léonard guindé. La petite Astria se cacha sous la robe de son double.
– Astria, il est l’heure pour toi de servir de dîner.
Elle ouvrit de grands yeux éplorés.
– Léonard je vous en supplie…
Il soupira, hésitant. L’autre Astria comprit alors qu’il aurait pu la transformer en ballerine dès son arrivée mais que ses sentiments l’en avaient dissuadé. Elle se dit qu’elle avait aussi ses chances de le draguer.
– Ma chère, vous ne me rendez pas la tâche facile…
– Pourquoi servez-vous Kelgidham ? Son attitude est monstrueuse…
– Il ne peut pas plaire à tout le monde c’est certain. Mais grâce à lui, cette terre se porte mieux.
– En dévorant des jeunes filles ?
– Cela peut vous sembler injuste, c’est votre droit. Mais en les mangeant, il maintient l’univers.
– Pardon ?
– Nous existons grâce au plaisir qu’il éprouve en ingérant des vierges.
– C’est ridicule !
– Je vous jure que c’est la vérité. Sans cela, plus rien n’existerait, ni ce château, ni ses habitants, ni vous ni moi.
Astria miniature se frotta le nez, non elle n’était pas sous l’effet de la coke dans ce monde. Mais elle en avait sérieusement trop pris.
La grande Astria referma ses mains tremblantes sur sa robe.
– Je ne vous crois pas !
– Et pourtant. Kelgidham a pris la place de Shengdan Laoren.
– Nous parlons bien du vieil homme en rouge et blanc ?
– Oui celui qu’on appelle également Père Noël. À l’époque c’était un autre monde, une autre fête : « Les Arbres de Lumière ». Aujourd’hui elle est synonyme de mort mais nous permet de survivre.
– Kelgidham est un sorcier si je comprends tout ?
– À sa manière. – il tira la montre à gousset de sa poche – 19h15. Nous parlons à n’en plus finir en oubliant que Sa Majesté vous attend. Hâtons-nous.
Astria tira sur le costume de Léonard.
– Épargnez-moi… Je vous en conjure…
– Si je le pouvais ma chère…
Elle releva vers lui des yeux embués de larmes auxquels il ne put se soustraire. L’émotion l’avait immobilisé. Elle se leva sur la pointe des pieds vers lui. Les joues de Léonard s’empourprèrent. Il ferma les yeux. Astria le poussa alors violemment sur le sapin. Ce dernier s’effondra sur lui. Il était si grand et lourd que le bras droit du Roi fut instantanément assommé.
La porte était toujours ouverte, elles en profitèrent pour s’enfuir.
La course d’Astria prit fin lorsqu’elle trouva un placard dans lequel s’engouffrer avec la ballerine. Essoufflée, elle s’était appuyée au mur, la peur au ventre.
– Et maintenant que fait-on ?
– On se barre d’ici.
– Quitter Korvatunturi ? Non impossible.
– Korva quoi ?
– Korvatunturi. L’ancienne résidence du Père Noël.
– Je croyais qu’il était Chinois.
– La Chine ? Quel est ce pays ?
– Oh laisse tomber… Je suppose que tu veux toujours secourir les coconnes ?
– Évidemment ! Je ne vais pas les laisser se faire dévorer ! Et ce ne sont pas des coconnes ! Elles ont de vraies valeurs !
– Si tu le dis… Moi à ta place je le ferais, comme ça Kelgidham serait occupé pendant mon évasion.
– Tu manques cruellement de bonté.
– Ouais mais je suis toujours en vie.
– Vu ton état de décrépitude, je ne te donne pas vingt ans.
– Ça va, je ne prends pas d’opium chaque mois. Je suis soft les trois quarts du temps.
La noble ne l’écoutait plus.
– Nous devons établir un plan.
À contrecœur, la petite Astria abdiqua. Pourtant elle pouvait fuir seule, mais elle aimait bien la compagnie de son double et souhaitait qu’elle s’en sorte même si ce n’était qu’une copie.
Elles restèrent de longues minutes confinées dans le placard à balai en prenant garde de ne rien renverser. Libérer les autres danseuses les mettrait en danger. Elles devaient trouver un passage peu fréquenté pour être sûres de repartir sans se faire attraper. La grande Astria lui décrivit la configuration du château pour l’aider. Qu’elle connaisse si bien les lieux était suspect, mais la Astria prolétaire ne fit aucun commentaire et accepta de suivre la Astria aisée dans sa quête périlleuse.
Cependant, lorsqu’elles sortirent, le couloir n’était plus le même. Le décor avait un grain orange malsain. Il n’y avait plus d’anges, plus de tapis moelleux. Des tableaux en provenance du monde d’où venait Astria placardaient les murs. Tous source de cauchemars. New-York en proie à l’Apocalypse. Un cratère avait dévoré Central Park. Des silhouettes décharnées s’attaquaient à la populace. Des flammes avalaient le ciel. Des corps, toujours plus de corps. Des missiles, du poison inodore vert sombre…
– Qu’est-ce ? – demanda innocemment la noble.
– Mon monde…
– Si ton monde est ainsi, je comprends pourquoi tu t’es perdue…
– Il n’est pas tout à fait comme ça mais je le reconnais. C’est ce qui va arriver…
– Comment ces peintures pourraient prédire le futur de ton monde ?
– J’en sais que dalle. Mais c’est clair.
Un rire éclata derrière elles, la lumière s’éteignit. Cette nuit de Noël se drapait d’une allure lugubre. Des grelots tintèrent. Une femme émergea dans le couloir. Le blond de ses cheveux était délavé, de la chair partait en lambeaux un peu partout sur son corps. Une couronne de pommes de pins ceignait sa tête cornue. Deux cornes de cerf menaçantes.
– Wigilia…
– Tu la connais ?
– J’aimerais croire que l’on va s’en tirer… Fuyons !
– C’est toi qui cours, moi je regarde. J’aime bien son maquillage. Ça me fait penser à The Walking Dead.
– Elle n’est pas grimée.
Astria courait tandis que la divinité l’observait avec un détachement total. Wigilia ouvrit ses paumes, huit squelettes de rennes émergèrent de la poussière. Elle chevaucha l’un d’eux et ils partirent au galop dans leur direction.
– Cool ! – s’émerveilla la petite Astria.
– Quoi ? Que se passe-t-il ?
– On a une armée de bestioles mortes qui fonce sur nous.
La grande Astria jeta un regard prudent derrière elle et hurla. Elle accéléra mais le couloir semblait infini. L’adolescente vivait un grand moment d’amusement, indifférente au danger. Elle était trop petite pour se faire embrocher. Mais tout de même, la grande courgette sur laquelle elle était accrochée avait intérêt à s’en tirer.
La divinité leva les mains en l’air, des écorces dévastèrent le sol, prêtes à entortiller leurs proies.
– Voilà pourquoi je me contrefous des liens du sang.
– Pourquoi dis-tu ça ?
– Bah, Wigilia c’est l’esprit de Noël chez les Polonais non ? Il incarne les liens familiaux.
– Là il incarne surtout notre trépas prochain !
– Pas faux. Attends.
Astria se concentra. Puisque c’était son bad, elle pouvait en faire ce qu’elle voulait. Elle écarta les doigts. Le bois s’embrasa instantanément. La divinité poussa un cri surnaturel, ses montures ruèrent dans l’espace étroit, partageant sa douleur.
La grande Astria trouva une porte tout au fond et l’ouvrit avant de s’enfermer. L’autre lui rétorqua :
– Tu sais, si cette nana veut passer, ce n’est pas une serrure qui va l’arrêter.
– Oui… Tu as raison…
Elles réalisèrent enfin que la pièce n’était pas plus rassurante. Des têtes de bouc étaient accrochées partout, des bougies rouges et noires se consumant doucement. Il faisait sombre malgré tout. Un voile délétère pesait dans la salle du banquet. Divers mets avariés faisaient office de dîner. Une odeur douçâtre écœurante piquait le nez. De la viande pleine de vers et de mouches, des pommes marron, de la sauce verte macérant dans des germes de champignons… Le spectacle était répugnant. Surtout qu’une tête de bouc gigantesque trônait en son centre. Sa fourrure était châtain, ses yeux ocre aux pupilles verticales.
Cette fois le malaise réussit à gagner la jeune Astria. Son aînée cherchait une issue, il n’y en avait pas. Elles se demandaient comment fuir cet endroit maudit lorsque l’horreur se manifesta. Au milieu des déchets, des volutes noires se formèrent sous la tête de l’énorme bouc. Elles s’échappèrent sous la forme d’un gaz nauséabond. La noble se cacha le nez dans un mouchoir. L’autre déclara :
– J’ai déjà couché sur une poubelle, il en faudra plus pour me faire gerber.
Une sorte de faune se constitua à partir de la tête. Il avait une énorme queue fourchue qui fouettait l’air.
– Yule… – murmura Astria.
– Mais attends, tout est déformé, c’est impossible que Yule soit malfaisant.
– Yule la chèvre. On la nomme aussi Krampus. Elle punit les enfants qui n’ont pas suivi la tradition de Noël. Elle peut même les dévorer. Pour éloigner le mal, un homme se déguise en chèvre chaque année et se fait abattre, on l’appelle Juloffer, le sacrifice de Yule.
– Vous êtes complètement malades… Finalement je préfère encore mon monde.
La reconstitution du Krampus était achevée. De puissantes chaînes reposaient sur ses poignets. Il n’était pas prisonnier et pouvait s’en destituer pour enchaîner les enfants désobéissants.
Alors que tout semblait perdu, Astria ferma très fort les yeux en souhaitant ne pas être ici. Le sol s’ouvrit sous ses pieds, elles tombèrent sur la table de Kelgidham qui croquait Kasumi d’un bon coup de dents. Elles crurent entendre son hurlement de douleur longtemps après que son buste se soit détaché du reste de son corps.
Le Roi, plongé en transe, ne les avait pas encore vues. Ses yeux étaient devenus entièrement blancs. Une aurore boréale s’échappait de ses narines, du château, pour colorer le ciel nocturne.
« Il faut que ça s’arrête… Je veux sortir d’ici… »
L’instant suivant, les deux Astria se retrouvèrent dehors, sous la neige. Une lune bleutée dispensait son éclat magique sur le manteau hivernal qui recouvrait absolument tout.
– Où sommes-nous ? – demanda sa jumelle – Et comment as-tu réussi ce tour ?
– Je ne sais pas… Déjà dans le four je cherchais une issue et j’ai fui comme ça. J’ai des dons dans ce monde parce qu’il n’existe pas.
– Bien sûr que si, il existe.
– Je n’y crois pas désolée. Je ne suis qu’une fille camée qui délire. La drogue et l’alcool un soir de Noël, voilà ce que ça donne.
– Alors tu abandonnes ?
– Abandonner quoi ? Des illusions ? J’ai inventé tout ça.
– Selon toi je n’existe pas, tu me blesses Astria.
– Oh je t’en prie. Comme dans tout bon conte de Noël, tu es la moi que j’aurais dû être si je n’avais pas sombré. Je l’ai compris t’inquiète. Et tout ça… L’esprit de Noël que je n’ai plus. Une farce, un mélange bizarre entre ce que je connais du folklore et les effets de la cocaïne. C’est tout. Maintenant je veux rentrer. Mais peut-être que j’ai vraiment sauté par la fenêtre. Si c’est le cas je ne sais pas ce qui m’attend, mais je ne veux pas rester coincée ici.
– Ramène Shengdan Laoren, je t’en prie…
– Il n’existe même pas.
– Si tu le voyais tu…
– …non. Si je le voyais je saurais que je l’ai fabriqué encore une fois. Parce que j’ai toujours eu une imagination débordante.
– Il n’y a pas de magie sans imagination.
– Et toi alors, tu n’as qu’à en faire.
– Je n’ai aucun don.
– Alors quoi ? La moi future perdra toute fantaisie en échange d’avoir une vie stable ? Wahou ! Ça c’est de l’échange équivalent…
– Je ne peux pas parce que j’appartiens à ce monde. Mais toi non. Je t’en supplie Astria… Kasumi est morte, les autres vont suivre, fais quelque chose. Si pour toi, tout ceci est un rêve, dompte-le, renverse l’ordre établi pour ramener la lumière…
Astria admit que ça ne lui coûtait rien.
– Très bien. On va chercher ton vieux.
Au milieu de la neige glaciale qui lui fouettait le visage, la jeune Astria ferma les yeux, indifférente au froid qui cherchait à mordre ses chairs. Elle pouvait tout faire puisque ce n’était qu’un rêve insensé. Des pingouins venus de nulle part glissèrent dans la neige. Ils chantèrent Santa Claus Is Coming To Town d’une voix nasillarde. Astria se marra et leva les bras pour former un escalier en pain d’épices. Elle se mit à chanter « Let it go » avec beaucoup de conviction, le décor s’y prêtait en même temps. Elle troqua sa robe de ballerine contre un épais manteau rouge et blanc à capuche. Ainsi, elle ressemblait à la Mère Noël. Un fard vermeil poudrait ses paupières à présent, ses lèvres ressemblaient à une fraise bien mûre, elle avait l’air moins dévergondée. Un sceptre de gui et de houx en main, une simple pulsion lui permit de récupérer sa taille d’origine.
– Aller viens, il est temps qu’on se complète.
Étonnée, la noble lui donna la main. Une lumière fusa comme une étoile qui explose. L’Astria future fusionna avec l’Astria du présent. Résolue, la Magicienne monta les marches en pain d’épices, sa trique en main.
L’aurore boréale serpentait dans les cieux, les irriguant de pigments chatoyants. Une clochette dorée était rattachée au sceptre d’Astria qui avait perdu tous ses points en discrétion. Une brume délicate gonflait dans la nuit, valsant avec les flocons éphémères. Vu d’ici, le château était merveilleux, illuminé de toutes parts, les cheminées s’activant pour se tenir chaud. Mais ce monde restait néfaste. Astria leva son bâton. Des Plätzchen tombèrent du ciel avec la neige. Les biscuits jetèrent leurs éclats gourmands sous la lune malicieuse. Elle en croqua un et arriva tout en haut des marches. Elle passa sous l’arche en bois d’olivier et fit apparaître une porte qu’elle franchit aussitôt.
Elle pénétra une modeste demeure où un chaudron de légumes mijotait sur un bon feu. Une théière fumait sur la table avec deux tasses.
– Wanshang hao.
Astria fit face à celui qu’elle cherchait.
– Shengdan Laoren.
– Lui-même.
Le vieillard portait un manteau rouge aux broderies colorées par-dessus sa tunique bleu foncé. Un dǒulì rouge et or couvrait sa tête blanche. Ses sandales étaient plus modestes. Des yeux noisette en amande s’étiraient sous ses épais sourcils. Sa barbe descendait jusqu’à son ventre et sa longue natte se terminait sur ses reins. Il n’était pas opulent contrairement au Père Noël traditionnel.
Astria rejeta son capuchon en arrière.
– Vous m’attendiez, pas vrai ?
– Bien entendu.
– J’ai besoin de vous pour que Korvatunturi redevienne comme avant.
– J’ai été exilé. Je n’ai plus ma place là-bas.
– Je suis venue vous chercher pour y remédier. Faites un effort, je n’y arriverai pas seule.
– Le temps est figé dans ce monde-là, tu parviendras à renverser le tyran qui a pris ma place.
– Comment suis-je censée y arriver ?
– Sois créative Astria.
Elle soupira.
– En gros vous allez rester là à boire du thé pendant que je vais me battre à mort contre un cinglé.
Shengdan rit doucement.
– Toi et tes raccourcis…
– Ne me jugez pas, on ne se connaît pas. D’ailleurs pourquoi vous êtes Chinois dans mon trip ?
Il but un peu de son thé vert au jasmin.
– Chacun est libre d’interpréter ce qu’il veut. Cette tasse est pour toi.
Astria s’assit face à lui et y trempa ses lèvres. Ce breuvage avait le don de l’apaiser et de chasser ses tensions intérieures.
– Vous êtes sûr que c’est moi qui dois m’occuper de Kelgidham ?
– Absolument. En revanche tu es libre de choisir comment.
– Je n’ai jamais tué personne.
– Tu dois en discuter avec ta moralité.
Elle garda ses paumes contre sa tasse en porcelaine et laissa son esprit dériver entre les volutes de fumée. Quel choix faire ? Allait-elle sortir de ce rêve ensuite ?
Elle but encore un peu, ses muscles se dénouèrent. Puisque c’était un rêve, ça n’avait pas d’importance non ? Qu’elle liquide ou non une fabrication de son esprit trop fertile n’avait aucune incidence sur la réalité.
La tasse vide retourna sur son socle en porcelaine.
– Je vais le faire.
Le Père Noël sourit de façon énigmatique. Astria songea que c’était un vieux Chinois, c’était certainement dans son script. Elle remonta son capuchon doublé en fausse fourrure, parce qu’elle était contre la torture sur les animaux et la drogue ne changeait pas cet état de fait. Petite, elle avait espéré recevoir une licorne rose en cadeau devant son sapin. Bien sûr elle ne l’avait jamais eue, mais à présent elle pouvait y remédier. Elle leva son sceptre qui tintinnabula, un bouquet d’étoiles fusa pour donner corps à une superbe licorne rose. Son crin était d’un blanc impeccable, des fleurs multicolores imprimaient ses flancs.
Astria grimpa sur elle.
– En avant Marshmallow !
La créature hennit et avança. Non contente de sa création, Astria lui donna des ailes. De fait, ce n’était ni un pégase ni une licorne, mais un mélange des deux. Marshmallow prit son envol et battit des ailes sous la neige et les friandises. Sa maîtresse parsema le ciel de lucioles orange clair pour qu’elle discerne sa destination.
Après un voyage poétique, Astria la fit disparaître et se jeta par une fenêtre ouverte. Elle commençait à avoir le coup de main.
La chambre était toute en rouge et noire. Le fauteuil près du feu et le lit étaient sinistres. La moquette évoquait le sang frais. Moult coussins se disputaient la parure qui représentait des ballerines en plein ballet. C’était certainement la chambre de Sa Majesté Kelgidham. Le feu brûlait toujours mais l’aiguille du coucou était figée. Le temps s’était bel et bien suspendu mais les éléments semblaient échapper au maléfice.
Astria fouilla la chambre. Peut-être qu’en apprenant plus de détails sur les motivations du tortionnaire, elle pourrait trouver une façon de le raisonner. Elle avait accepté l’idée de le mettre à mort mais plus ce moment s’approchait, plus elle essayait de s’esquiver.
L’armoire donnait accès à une autre pièce destinée aux manteaux, bottes, pyjamas… Des chaussons en lapin rose s’étaient égarés là. Astria sortit. Elle ouvrit des tiroirs à la recherche de réponses. Une illustration était enfouie sous d’énormes bagues. Elle représentait New-York ravagée. L’inquiétude s’empara de la Magicienne. Pourquoi sa ville était croquée sous de pareils auspices ? Étaient-ce les effets négatifs de son bad trip ? Ou bien y avait-il autre chose ?
Astria ne trouva rien d’autre et décida de quitter la chambre. Dans le couloir un serviteur était figé, une jambe en l’air, un plateau posé sur sa paume gauche. Elle prit son autre main et inséra son index dans son nez. Comme ça il avait l’air idiot. Elle gloussa et se mit à courir dans le couloir, soudain revigorée à l’idée de tout ce qu’elle pouvait faire durant cette éternité. Cependant, elle sentit la menace du Krampus, tapi quelque part dans le château. Il fallait qu’elle rétablisse l’ordre des choses pour qu’il se retire et laisse Yule apporter la paix et la promesse d’une renaissance pour l’année à venir.
Elle se rendit aux cuisines et grignota de la dinde et du pudding au nez et à la barbe des cuisiniers immobiles. Elle sautilla jusqu’au banquet. Kelgidham était statufié, prêt à engloutir Anaïs qui pleurait et criait en silence dans une posture de supplication.
Astria lui rendit sa taille normale, ce qui fit exploser la main du Roi. Elle fit de même à Maribelle qui exécutait sa danse les bras levés, le regard lointain. La ballerine apparut sur la table, ses pieds en pointe entre deux assiettes vides que des commis s’apprêtaient à débarrasser. À présent le choix la tenaillait de nouveau. Le tuer ou pas. Le sang du poignet royal était confiné dans sa chair figée pour l’heure.
Elle s’approcha de Kelgidham.
– Qu’est-ce que je devrais faire ? Te tuer ? Shengdan m’incite à t’anéantir mais qui me dit que c’est en te tuant que je suis censée y parvenir?
Le Krampus n’était plus très loin. Astria devait se dépêcher. Plein d’idées l’avaient traversée. Le changer en pain d’épices, en boule de Noël, en santon… Elle ouvrit la main, Kelgidham se désagrégea pour devenir lumière et se poser dans sa paume. Astria sauta par la fenêtre lorsque le Krampus entra dans la pièce. Elle bondit dans les airs pour lui échapper. Cependant le bouc lança sa chaîne qui s’allongea surnaturellement et se crocha à sa cheville.
L’Enchanteresse posa le bout de son sceptre sur la lumière tout en chutant vers le sol. Un feu d’artifices explosa en mille couleurs dans les cieux. Des Gardenia se mirent à pleuvoir de toutes parts. La chaîne disparut. Un vieil homme rattrapa Astria. Ce n’était plus le Krampus mais le Dieu Yule. Du gui et du houx couronnaient sa tête cornue. Dans ses bras, la jeune fille ne craignait plus rien, elle incarnait la renaissance promise.
Astria ferma les yeux pour rentrer chez elle. Échec.
– Pourquoi ? Pourquoi ça ne marche pas ?
– Tu dois croire.
Yule la fit descendre, elle se concentra. Faire le point sur tout ce qui s’était passé l’aiderait probablement à trouver la voie. Elle avait vu beaucoup de belles choses outre les horreurs qui s’étaient immiscées à la sortie du placard. Des confiseries, des bûches de Noël, de beaux vêtements… Mais pas seulement. Dans ce monde vivait l’Esprit de Noël, ce qu’elle avait perdu très tôt.
Shengdan Laoren apparut près d’elle et recueillit un Gardenia dans sa main.
– Ton choix était avisé.
– Je ne me sentais pas capable de le tuer. Je ne veux pas devenir une meurtrière. Mais je n’arrive pas à regagner mon monde, pourquoi ?
– Cherche au fond de toi.
– Quelles paroles sages…
Il s’inclina. Astria soupira. La nuit était avancée. Les Gardenia chutaient dans la neige immaculée. Un long silence s’éternisait, se heurtait aux pétales délicats.
Soudain, la vérité lui apparut. Des images des Noëls passés effleurèrent son esprit. Des parents aimants mais dépassés à cause de son petit frère intenable. Malgré tout, ils avaient vécu de bons moments. Parfois ils avaient eu droit à de la neige. D’autres membres de la famille se joignaient à eux comme lors de Thanksgiving. Cette année, Astria ne l’avait pas fêté. Elle s’était donnée à son dealeur pour avoir sa dose.
La peine l’accabla, elle sentit le dégoût remonter en elle. Elle était tombée bien bas… Si bas… Il était temps qu’elle remonte. La famille était très importante.
Wigilia émergea alors. Elle n’avait plus rien d’une morte. Le contour de ses yeux et ses pommettes était aussi rouge que ses lèvres et ses cheveux. Une robe d’or pur flottait au-dessus du sol.
– La famille… Ma famille… – réalisa Astria.
La déité hocha la tête. Astria donna la main à Yule et Wigilia qui prirent celles de Shengdan Laoren.
Puis ce fut le blanc.
La chambre était brouillée. Les paupières clignèrent plusieurs fois avant d’avoir une image nette. Il faisait froid. La fenêtre était grande ouverte et laissait quelques flocons s’inviter sur la moquette. Le journal était ouvert, une longue ligne barrait la page qu’elle avait commencé à gribouiller. New-York détruite avec des zombies partout.
Astria se releva, faillit tomber et s’appuya au mur avant de refermer la fenêtre. Que s’était-il passé au juste ? Un bad trip ? Dans son état elle n’avait pas pu ouvrir la fenêtre. Mais dans son souvenir elle s’était jetée dans le vide…
Elle ouvrit la porte et descendit doucement. La discussion était plutôt morne. Personne ne riait. Ce n’était pas encourageant mais elle les rejoignit.
– Hey !
Abasourdie, sa famille la dévisagea, consternée. Mademoiselle était finalement sortie de sa chambre, c’était incroyable ! Astria se gratta le crâne.
– Euh… Oui ça me choque moi-même… Je ne comprends pas tout non plus, mais ce que je sais c’est que je vous ai zappés depuis un bon moment et j’aimerais me rattraper.
Sa mère enleva la serviette de ses genoux et se leva.
– Nous avons terminé l’entrée, assieds-toi je vais te servir ma soupe de pommes de terre au saumon.
– Cool !
Tout le monde était servi, ils allaient tous manger après avoir dévoré le premier plat ; tout comme Kelgidham qui allait ingérer Anaïs. Ce détail la troubla mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder, son frère la pinça pour s’assurer qu’un extraterrestre n’avait pas échangé sa place avec sa sœur.
– Aïe !
– Tu es vraiment Astria ?
Elle fut tentée de lui raconter sa formidable aventure, mais ses parents mettraient sans doute ce délire sur le compte de la drogue et dans le fond elle ne savait plus quoi penser. En revanche une chose était sûre :
– Je suis la seule et unique Astria.
– Tu t’es pas assise à table depuis au moins trois ans.
– Ouais c’est vrai. Mais ce soir j’ai réalisé certains trucs.
Sa mère revint avec son assiette chaude. Astria se jeta dessus avec appétit.
– C’est trop bon !
– C’est la première fois que tu me complimentes depuis bien longtemps. Tu es sûre que ça va ? Tu ne veux pas te faire examiner ?
– T’inquiète je suis sobre.
La discussion ne s’orienta donc plus sur l’addiction de l’adolescente mais sur des futilités auxquelles Astria donna son opinion. Après avoir mangé une tarte aux patates douces sucrées, Astria déclara :
– La famille c’est important.
Ils discutèrent longtemps. Astria avait pris la résolution de ne plus régler ses problèmes dans la facilité. La drogue et l’alcool n’étaient qu’un moyen de fuir, elle le savait. Se purger en revanche s’annonçait certainement difficile, néanmoins elle avait refusé le cidre. Penser à tout ce qu’elle avait consommé ces dernières années lui donnait envie de vomir.
Elle ignorait si elle s’y tiendrait, en tout cas, ce bad trip, ce rêve ou ce voyage intérieur ; l’avait obligée à mûrir, à ouvrir les yeux. Les fêtes de fin d’année étaient très importantes pour les partager avec les êtres aimés. Elle ne l’oublierait pas.
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