— Neeeeeeil ! J’ai besoin de toi !
Judy déboula dans la chambre sans prendre le temps de frapper à la porte. Neil la regarda se prendre les pieds dans le tapis et s’effondrer sur le sol. Tout fut si rapide que la jeune femme n’eut pas le temps d’intervenir, son amie se tenait debout devant elle, une feuille de papier à la main.
— Neil, il faut absolument que tu m’aides ! Je suis perdue, je n’avance pas dans ma dissertation, je dois la rendre demain à la première heure et je n’ai aucune inspiration ! Neil, le mois dernier, tu m’as parlé d’un bouquin écrit il y a très longtemps, sur l’île du Rouge... Tu vois de quoi je parle ? Est-ce que tu te rappelles du titre du livre ? Est-ce que tu pourrais me le donner à nouveau ?
Neil sourit poliment, se leva et se dirigea vers sa bibliothèque.
— Je peux te le prêter si tu veux...
— C’est vrai ? Merci beaucoup ! Ab Rouge condita libri... C’est quoi ce titre ? Enfin bref, merci encore. Tu me sauves la vie, tu es un ange !
Puis Judy disparut.
Minuit sonna, Neil pensa qu’il était temps de se coucher, mais elle n’en eut pas le courage. Elle savait déjà qu’elle ne dormirait pas : aussi surprenant que cela puisse paraître, le Cyan lui manquait, Terry lui manquait. Sa sœur n’avait pas répondu à sa dernière lettre, elle ne lui répondrait certainement jamais : leur sororité s’arrêterait là. Son cœur se serra, des larmes coulèrent sur ses joues...
Les Veilleurs l’avaient déçue. Certes, elle n’habitait l’Indigo que depuis quelques mois, sa formation venait à peine de commencer, mais, sans vraiment en comprendre la raison, elle se sentait trahie. Elle aimait beaucoup les cours qu’elle suivait, le problème ne venait pas de là ; ses collègues étaient étonnamment ouverts et sympathiques, l’Indigo accueillant, la vie n’était pas plus dure ici que dans le Cyan. Pourtant, elle avait l’impression que quelque chose manquait, qu’une promesse n’avait pas été tenue.
Neil regarda dehors : la fenêtre de sa chambre donnait sur la Maison de la Sécurité, où travaillaient les membres de ce ministère – où travaillait Gabriel Hélios. Elle n’avait croisé le jeune Arc qu’une seule fois au cours des six derniers mois, elle l’avait aperçu alors qu’il discutait dans un couloir avec l’un de ses conseillers. Elle n’était passée qu’à quelques mètres de lui, leurs regards s’étaient brièvement croisés et elle s’était empressée de détourner le yeux...
Incapable de se concentrer plus longtemps sur son livre, la jeune femme rendit les armes et se leva brusquement. Elle éteignit toutes les lumières, s’allongea dans son lit et s’efforça de s’endormir. En vain.
Neil finit de ranger ses affaires puis rattrapa Em et Thomas qui l’attendaient sur le pas de la porte. Le cours du Professeur Paul venait de se terminer, tous les autres élèves avaient déjà quitté les lieux. Les trois jeunes s’apprêtaient à retrouver leurs camarades quand une voix les rappela.
— Neil ! Je dois vous parler. Thomas et Em aussi, venez.
Émile Paul leur fit signe de le rejoindre et ils s’exécutèrent.
— Je voudrais vous parler de votre devoir. Celui de la semaine dernière. Je pose la même question tous les cinq ans et tous les cinq ans, j’obtiens les mêmes réponses...
Neil jeta un coup d’œil à ses amis. Em lui répondit d’un haussement de sourcils.
— Quelle île est la plus dangereuse pour le gouvernement ? Une majorité d’élèves répond, systématiquement et sans aucune hésitation, le Rouge – ou à la limite le Rouge et l’Orange. Leur argumentation se tient, elle est souvent très juste et semble convaincre puisqu’elle est en accord avec la stratégie suivie par l’Empereur...
Neil commença alors à comprendre les raisons de cette discussion.
— Cependant, il arrive de temps à autre qu’un candidat ou deux, me disent : c’est le Cyan. Je suis d’abord un peu surpris, mais en lisant leurs essais et en analysant plus profondément leurs idées, je finis souvent moi-même convaincu. Deux questions me viennent alors...
— Pourquoi ces élèves pensent-ils différemment ?
— Exactement, Thomas et...
— Pourquoi le Système ne surveille jamais l’île du Cyan ?
— C’est ça, Em. J’ai une réponse à la première et je pense que vous l’avez aussi...
— Les élèves dissidents viennent tous du Cyan.
— Presque, un seul était originaire de l’Indigo, et c’est ce qui rend le second problème encore plus mystérieux.
— Gabriel Hélios ?
— Lui-même. Il se méfiait – et se méfie toujours – du Cyan, de l’intelligence de ses habitants. Il est très certainement le citoyen qui s’en méfie le plus, et pourtant, depuis qu’il est arc, aucune de ses enquêtes n’a concerné les cyanais.
— Les membres originels des Sétlov vivaient sur l’île du Rouge, c’est l’affaire qui lui a permis de faire ses preuves, il doit surement...
— Non, le fondateur était originaire du Cyan.
Neil venait de parler pour la première fois depuis le début de la conversation. Les trois autres se tournèrent vers elle, sans comprendre.
— Hal Siodama, le chef des Sétlov, venait du Cyan.
— C’est exact, Neil, mais comment savez-vous cela ? Hélios avait interdit à la presse la diffusion de cette information...
— Siodama ? Un cyanais ?
— Non, les journaux et les livres l’ont toujours présentés comme un habitant du Rouge.
— Il vivait dans le Rouge quand il a créé les Sétlov, mais il a grandi dans le Cyan et le reste de sa famille y a toujours vécu.
— Mais comment connaissez-vous toute cette histoire ?
— Je me suis renseignée pour mon dossier... Pour établir un parallèle entre les Oras et les Sétlov.
— Mais vous n’en parlez pas dans votre rapport écrit ? Et comment avez-vous obtenu ces détails ?
— Je ne les avais pas au moment du concours. Je m’en doutais mais je n’avais aucune preuve. Je n’ai trouvé aucune trace d’habitant du Cyan qui se nommerait Siodama, mais si on regarde les représentations de l’époque, les photos de classe par exemple, on se rend compte qu’un élève n’a pas de nom, qu’il n’existe pas dans le Système...
Et il n’était pas le seul...
— En arrivant ici, j’ai pu avoir accès aux archives des autres îles. Il n’y a aucune trace de la famille Siodama sur l’île du Rouge non plus. Mais cela ne prouvait rien non plus. C’est vous qui venait de confirmer mes doutes : Gabriel Hélios est – j’imagine – l’habitant de l’Arc-en-ciel qui connaît le mieux Hal Siodama, et vous venez de dire qu’il est celui qui se méfie le plus du Cyan.
— Ça se tient.
— Ouais, je suis d’accord. Mais ça ne nous dit pas pourquoi Hélios ne s’en occupe plus à présent...
— Les enfants, avez-vous déjà rencontré Gabriel ?
— Non, jamais.
— Moi non plus.
Neil secoua la tête.
— Il est possible que ce soit stratégique. Mais je crois que son inquiétude concernant le Cyan augmente.
— Les Oras...
— Oui, les Oras. Et c’est pourquoi je voulais vous parler. Dans vos essais, vous évoquez tous les trois et de manière insistante, les Oras. Vous êtes vous concernés avant ?
— Pas à ce sujet, non.
— Bien, c’est ce que je pensais. Neil, je connaissais votre obsession pour ce groupe et honnêtement, je ne la considérais comme rien de plus qu’une obsession. J’ai discuté avec Gabriel et je commence à croire que j’avais tort. Vous êtes les Veilleurs – ou presque Veilleurs, mais vous le serez bientôt – qui connaissaient le mieux les Oras. Ils ont beaucoup évolué ces cinq dernières années et vous étiez là, témoins directs de leur avancée. Vos analyses sont pertinentes, vous êtes tous les trois très doués. Vous savez que la formation théorique dure normalement un an et que les deux années suivantes sont consacrées à l’apprentissage sur le terrain, mais il faut que vous vous attendiez à débuter la partie pratique plus rapidement. Il est possible que Gabriel ait besoin de vous dans quelques mois, voire quelques semaines – cela dépendra de comment les choses évoluent. Pour tout vous avouer, je commence à craindre le pire...
— Témoins directs de leur avancée ? Il n’y avait rien à voir, mis à part quelques tracts...
— Alors pourquoi tu en as parlé dans ta dissertation ?
— À cause de Neil...
Em et Thomas marchaient devant Neil, ils se tournèrent vers elle, attendant sa réaction.
— De moi ?
— Oui, tu m’as convaincu... Ton dossier, je l’ai lu. Tu as trouvé leurs messages, tu as même découvert l’un de leurs membres. Ça a l’air sérieux.
— C’est sérieux si Hélios s’en soucie.
— Tu penses vraiment qu’il va venir nous chercher ?
— Aucune idée. Je ne vois pas comment on pourrait lui être utile...
Ils atteignirent la salle à manger, Judy les accueillit avec enthousiasme.
— Thomas ! Em ! Où étiez-vous ? On a commencé sans vous.
— Paul voulait nous parler.
— Que voulait-il ?
— Hélios se méfie des Oras...
— Les Oras ?
— Mais tu sais, le groupe du Cyan.
— Ah oui ! Celui dont vous nous avez parlé la dernière fois !
— Ils sont si dangereux que ça ? Je ne les connaissais pas avant que vous ne m’en parliez...
— Je n’avais pas l’impression non plus, mais apparemment, ils prennent de l’importance.
Neil regardait ses amis discuter entre eux sans la remarquer. Elle pensait à Gabriel Hélios et à ses questions lors de son oral. Pourquoi avoir choisi les Oras ? Pourquoi les avait-elle choisis ? Les aurait-il choisi lui aussi ? Il se méfie du Cyan, de l’intelligence de ses habitants... Se méfiait-il d’elle également ? Savait-il seulement qui elle était ?
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