Les yeux de Terry brillaient d’excitation et un immense sourire illuminait ses traits. Elle déboula dans le salon à toute vitesse...
— Neil !
... mais sa joie retomba dès qu’elle les vit, Neil et Jules.
— Jules ? Neil ?
— Terry...
La voix de Neil se brisa. Elle se racla la gorge et elle dut faire un effort surhumain pour terminer sa phrase sans éclater en sanglots.
— Terry... Je... J’ai réussi. Le concours. Les Veilleurs. J’ai été admise.
D’abord sa sœur n’eut aucune réaction. Elle la regarda sans comprendre.
— Terry, je vais devoir partir. Dans trois jours. Je vais quitter le Cyan, je vais aller vivre dans l’Indigo.
L’autre revint enfin à elle. Elle déglutit et demanda d’une voix faible :
— Pour combien de temps ?
— Pour toujours. Je crois.
— Tu ne reviendras jamais ?
— Je ne sais pas. Peut-être de temps en temps, pour quelques jours. Je ne sais pas, je n’ai jamais vu aucun Veilleur rentrer chez lui et...
— TU M’ABANDONNES !?
Neil sursauta. Terry pleurait à présent, elle-même sentit les larmes lui monter aux yeux.
— D’abord Papa, et ensuite toi ? Vous m’abandonnez, vous me quittez...
Jules tenta d’intervenir mais aucune des deux jeunes femmes ne semblait se souvenir de sa présence.
— Terry, je serai là, je...
— Papa et toi me laissez seule, comme vous l’avez toujours fait.
— Toujours ?
— Oui, toujours ! Dans cette maison, il y avait Papa et toi, et puis il y avait moi. Vous ne m’avez peut être jamais vue mais j’étais là, juste à l’entrée de votre monde...
— Tu as choisi de ne pas dépasser l’entrée !
— Non ! Vous n’avez jamais voulu me prêter la moindre attention. Vous n’avez jamais prêté la moindre attention à qui que ce soit. Je ne suis même pas certaine que vous aviez conscience de votre présence l’un et l’autre, chacun de vous ne pensait qu’à soi-même, Papa à son travail et toi à... Je ne sais quoi. Moi, je n’existais pas !
— Pardon !? Tu as toujours été le centre de l’attention, partout où nous allions, quoi que nous fassions, tout le monde ne regardait et n’écoutait que toi !
— Sauf Papa et toi...
— Non, non, c’est faux, nous...
— Et maintenant alors ? Vous me voyez ? Me laisser seule ne semble pas beaucoup vous déranger !
— Terry... Je... S’il te plait... Je suis...
Neil ne savait plus ce qu’elle devait dire. Tout devenait trop compliqué : pourquoi Terry ne la laissait-elle pas partir ? Après tout, elle n’avait pas paru très attachée ces dernières années...
— Oh ! Terry ! Je dois partir ! Je ne peux pas rester dans le Cyan, je ne peux pas rester ici, c’est trop dur ! J’ai besoin de m’en aller et dans trois jours, je partirai... Et puis au moins, tu comprendras ce que ça fait.
— Quoi ?
— D’être abandonnée.
— Je ne comprends pas...
— Ce que tu nous as fait, à moi, à Papa, à Jules aussi.
— Neil, je ne crois pas que...
— Jules, tais-toi s’il te plait ! Qu’est-ce que tu dis, Neil ? De quoi parles-tu ?
Terry avait retrouvé son calme à présent et Neil regretta d’avoir parlé.
— Non, rien. Je ne dis rien. Terry, je vais partir, peu importe ce que tu diras.
Cette fois-ci, sa sœur ne répondit rien. La colère et la tristesse semblaient l’avoir quittée brusquement et elle avait l’air étrangement vide. Neil se demanda si elle ne l’avait pas brisée puis se rappela que son aînée était incassable.
Il y eut un long moment de silence pendant lequel Jules tenta une sortie discrète. À peine avait-il atteint le pas de la porte que Terry reprit la parole.
— Je suis allée voir Catherine aujourd’hui. J’ai repris le travail de Papa.
Jules s’interrompit, il se tourna lentement vers Terry. La jeune femme ne le vit pas, mais Neil constata que ses yeux brillaient d’une lueur nouvelle. Il s’écria brusquement :
— C’est merveilleux Terry ! Tu vas faire des choses merveilleuses, tu vas voir des gens merveilleux, tout va être merveilleux, tout est merveilleux !
Il ressemblait à un enfant le jour de son anniversaire. Son attitude contrastait tellement avec la précédente discussion que l’atmosphère se détendit d’un seul coup. Neil se sentit exploser et partit d’un grand éclat de rire. Terry ne tint que quelques secondes de plus et s’esclaffa à son tour. Jules sembla ne pas comprendre immédiatement ce qu’il se passait et l’amusement des deux sœurs augmenta encore. Enfin, il prit conscience qu’il n’avait rien à craindre, que la crise était passée et se mit, lui aussi, à rire.
Pour la première fois depuis des années, les trois jeunes passèrent le reste de la journée ensemble. Neil eut la sensation que, pour une soirée, on lui avait permis de retourner en enfance. Cela faisait une éternité qu’elle ne s’était plus sentie aussi heureuse et pendant un bref instant, elle craignit de ne plus souhaiter quitter le Cyan. Elle s’efforça de chasser cette pensée et tourna son attention vers sa sœur, son ami et leurs rires. Elle penserait aux Veilleurs plus tard.
— Tu es certaine que nous ne pouvons pas te suivre à l’intérieur ? Tu m’as dit que le funiculaire ne partirait qu’à onze heures : tu ne vas pas attendre trois heures toute seule !
Depuis quand Terry se souciait du temps qu’elle passait à attendre seule ? Décidemment, Neil ne comprenait pas sa sœur : ces trois derniers jours, elle avait été étrangement présente et attentionnée. Elle s’était même montrée plutôt compréhensive et encourageante. Son discours n’était plus du tout le même que celui qu’elle avait tenu un peu plus tôt : elle réconfortait Neil, l’aidait à se préparer pour son voyage, lui donnait des conseils... Ça n’avait pas de sens !
— Je pense qu’ils souhaitent nous donner quelques consignes... Et puis, je ne serai pas tout à fait toute seule, Thomas et Em seront là.
— Thomas et Em ?
— Nos anciens voisins ?
— Oui, Jules, ceux-là même.
— Je ne vois pas du tout qui ils sont...
— Ça ne m’étonne même pas Terry. Ils sont un peu plus jeunes que nous, je ne crois pas que tu leur aies parlé un jour.
— En parlant du loup...
Em et Thomas avançaient vers eux, un grand sourire aux lèvres.
— Neil ! Comment vas-tu ?
— Salut Neil ! Je suis vraiment content que ce soit toi qui nous accompagnes.
Neil ne répondit pas : elle s’efforça de sourire poliment et pria pour que Jules ou Terry intervienne... Ses vœux furent rapidement exaucés.
— Bonjour ! Em et Thomas, c’est ça ? Je suis Jules, un ami.
— Jules, oui je me rappelle de toi. Et tu es Terry ? Ça fait des années que je ne t’ai plus vue !
— Enchantée ! Je dois bien vous avouer que je ne me souviens d’aucun d’entre vous. Mais ça me fait plaisir de vous voir !
— Les portes s’ouvrent, nous devrions peut être y aller.
— Nous allons saluer nos parents, on se retrouve à l’intérieur, Neil ? Terry, Jules, à bientôt !
Les deux garçons s’éloignèrent. Neil se tourna vers sa sœur et Jules et son cœur se serra.
— Je... Je vais y aller maintenant. J’espère... J’aimerais revenir. Un jour. J’aimerais vous revoir...
— Nous aussi, Neil...
Terry et Neil pleuraient, Jules déglutit.
— Neil, je suis sûr que tu feras un excellent Veilleur. Tu... Je sais que ce n’est pas facile, mais c’est ce que tu voulais, c’est déjà bien non ? Tu n’es pas faite pour rester ici, Neil. Tu as autre chose à faire. Et tu dois le faire ailleurs.
Jules avait parlé d’une voix calme et assurée. Neil ne l’avait vu que rarement aussi sûr de lui et elle fut trop émue pour trouver une réponse. Elle se contenta de le serrer dans ses bras, bientôt rejointe par Terry.
Ils restèrent de longues secondes ainsi. Thomas et Em avaient déjà disparu à l’intérieur du bâtiment, leurs proches quittaient les lieux. Neil voulait faire durer ce dernier moment avec Terry et Jules – ses héros –, aussi longtemps qu’elle le pouvait. Elle se détacha finalement, les embrassa une dernière fois et tandis qu’elle s’avançait vers la gare, elle pensa qu’elle enterrait définitivement son enfance aujourd’hui. Plus violemment et plus tard qu’elle ne l’aurait dû, mais c’était ainsi qu’elle l’avait voulu. Dans quelques heures, tous ceux qui l’avaient accompagnée ces dernières années auraient disparu. À tout jamais peut être...
Le voyage dura trois heures. Trois heures pendant lesquelles Neil fut enfermée dans un petit habitacle avec Em et Thomas. Dans les premières minutes, les deux garçons essayèrent de lui faire la conversation. Comme beaucoup d’autres avant eux, ils abandonnèrent rapidement et se contentèrent de discuter entre eux, en lançant de temps en temps un regard vers la jeune femme pour faire semblant de l’inclure dans le groupe. Elle craignait que l’un d’eux finisse par évoquer Marin, mais ce ne fut pas le cas. Elle pensa d’abord qu’ils avaient volontairement évité le sujet – par tact ou par politesse. Elle réalisa cependant un peu plus tard qu’ils n’avaient posé sur elle aucun regard compatissant ou triste – et c’était plutôt étonnant de la part de si gentilles personnes : elle comprit alors qu’en disparaissant du Système, son père avait petit à petit été effacé des pensées des habitants. Cela ne l’étonnait pas : si il n’y avait plus de trace de vous dans les fichiers, pourquoi y en aurait-il dans les pensées ? Allait-elle l’oublier elle aussi ? Elle ne le souhaitait pas, mais finalement, ne serait-ce pas la meilleure solution ? Elle devait dès à présent se débarrasser de tout ce qu’elle avait connu, pourquoi ne pas commencer par là ?
Plongée dans ses pensées, elle ne fit pas attention au paysage et lorsqu’ils arrivèrent enfin à destination, elle ne comprit pas tout de suite où elle se trouvait. L’Indigo était très différent de la couleur où elle avait grandi. L’île reposait, elle aussi, sur une large plaque de fonte, mais la ressemblance avec le Cyan s’arrêtait là. En réalité, l’Indigo n’était pas une ville, mais un bâtiment. Un bâtiment de la taille d’une ville, certes, un bâtiment avec de larges parties à ciel ouvert, certes, mais un bâtiment tout de même. Il s’agissait d’une – très – haute structure métallique composée de nombreux étages, balcons et couloirs. Des rails le parcouraient de part et d’autre et un jeu de lampadaires et guirlandes électriques décoraient le tout. Lorsque le funiculaire arriva en gare, il faisait encore jour, les lumières étaient éteintes, mais Neil devina que les nuits devaient être merveilleuses ici.
Les trois jeunes furent conduits au centre de formation. Certains de leurs camarades étaient déjà là – ceux de l’Indigo et du Bleu, évidemment –, les autres arrivèrent peu de temps après eux. Ils étaient dix-sept en tout à suivre la formation de Veilleurs, toutes les couleurs – excepté le Violet – étaient représentées. On les laissa s’installer dans leur logement – Em et Thomas emménagèrent ensemble mais Neil parvint à trouver une chambre seule – puis, au soir, un repas de bienvenue leur fut servi. La jeune femme constata que ses camarades avaient tous très rapidement fait connaissance et fut impressionnée par leur capacité d’adaptation à tous. Elle, resta en retrait, préférant prendre le temps d’analyser la situation avant de créer des liens. Elle pensa que peut être elle devrait rejoindre ses deux ex-voisins, mais se dit que s’ils souhaitaient vraiment lui parler, ils sauraient où la trouver. Elle se contenta donc d’observer et d’attendre. Demain, la formation commencerait.
Une nouvelle vie débutait.
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