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tome 1, Chapitre 2 « Neil » tome 1, Chapitre 2

La porte s'ouvrit et Em apparut sur le pas, un masque de désespoir sur le visage. Thomas se leva, s'avança vers lui et le serra dans ses bras pour le réconforter.

— C'est fini, Em. Il ne nous reste qu'à attendre.

Em acquiesça et son ami l'entraîna vers la sortie, où – évidemment – Jane et les autres les attendaient. Ils quittèrent le hall tous ensemble, laissant Neil seule avec ses peurs. La jeune fille soupira : non, ce n'était pas fini, pas pour tout le monde, il restait encore une candidate à évaluer...

Le concours des Veilleurs avait lieu une fois tous les cinq ans et était ouvert à tous les jeunes de l'Arc-en-ciel pourvu qu'ils soient âgés de quinze à vingt-cinq ans. Neil avait participé – et échoué – à l'édition précédente. Elle avait terminé en dixième position alors que seules trois places étaient ouvertes. Elle avait passé les cinq dernières années de sa vie à se préparer pour cette seconde et dernière chance. Elle n'avait pas le choix : si elle ne voulait pas passer le restant de ses jours dans le Cyan, elle devait réussir. Et c'était d'autant plus important maintenant que son père l'avait laissée seule avec Terry.

— Candidat suivant, c'est à vous.

Un homme long et sec était apparu devant elle. Il l'invita à le suivre : elle s'exécuta et entra dans la salle d'examen. Le jury était composé de deux membres : le premier était celui qui venait de lui adresser la parole et l'autre, une femme aux joues rouges et rondes.

— Je vous en prie, approchez. Venez, ici, en face de nous, Madame ?

— Aldermant.

Neil n'avait pas eu le temps de répondre. Alors qu'elle ouvrait la bouche, une voix grave – profondément grave – l'avait interrompue pour donner son nom. Elle venait du fond de la salle et la jeune femme sentit son pou s'accélérer quand elle reconnut l'homme qui avait alors parlé. Elle le connaissait, elle le re-connaissait : ce regard gris, trop gris, la hantaient depuis des années...

Gabriel Hélios – car tel était son nom – avait fait la une des journaux sept ans auparavant alors qu'il venait d'être nommé, à seulement vingt-trois ans, Arc de la Sécurité. Il était bien évidemment le plus jeune Arc que le Système n'est jamais connu, mais également l'un des plus brillants. Fils d'un proche conseiller de l'Empereur, il avait grandi dans l'Indigo et y avait toujours vécu ; il avait brillamment passé le concours des Veilleurs à quinze ans tout juste et avait complété sa formation en dix-sept mois seulement. Deux ans plus tard, il s'était illustré en permettant le démantèlement des Sétlov, l'un des groupes rebelles les plus anciens de l'Arc-en-ciel et sans aucun doute, le plus dangereux. On racontait qu'aucune de ses missions n'avait jamais échoué et beaucoup lui attribué la baisse du nombre des attaques terroristes de ces dernières années.

Neil ne l'avait encore jamais rencontré en personne et elle ne se faisait pas d'illusion : Gabriel Hélios n'avait très certainement pas entendu parler d'elle et elle savait que d'ici une heure il aurait tout oublié de la candidate Aldermant. Pourtant, elle ne pouvait empêcher son cœur de cogner et ses mains de trembler : même en rêve, elle n'aurait jamais imaginé qu'un jour, le jeune Arc prononcerait son nom...

La femme au visage rond s'éclaircit la voix :

— Bon alors, Madame Aldermant, parlez-nous de vos travaux...

Le début de l'entretien se passa mieux que Neil ne l'avait espéré : elle présenta son dossier, elle détailla toutes les informations qu'elle avait pu collecter sur les groupes révolutionnaires les plus connus et elle délivra une analyse précise de leurs revendications et de leurs actions. Elle restait tournée dans la direction des membres du jury, n'osant détourner le regard de crainte de croiser celui d'Hélios. Mais alors que sa confiance augmentait et qu'elle avait permis aux battements de son cœur de retrouver leur rythme normal, les juges abordèrent la deuxième partie de son travail, qu'elle avait entièrement consacrée aux Oras.

— Madame Aldermant, quel était le but de votre rapport ?

— Je souhaitais montrer que les Oras peuvent, et doivent, être considérés comme un groupe révolutionnaire. Contrairement à ce que la majorité des membres du gouvernement semble penser, ils existent, leurs actions existent. Ce ne sont plus à présent des actes isolés : les Oras sont dangereux – ou au moins, ils vont le devenir. J'ai comparé leur philosophie et leurs activités à celles des Sétlov à leur début : elles sont très similaires. Le contexte et le climat sont les mêmes qu'à l'époque, on peut...

— Neil, nous avons lu votre dossier. Vos analyses sont extrêmement pertinentes et peut être très justes, mais elles ne sont pas ce que nous attendions. Vous rappelez vous ce que nous vous avions reproché il y a cinq ans ?

Comme si elle pouvait l'oublier...

— Votre travail est trop théorique, vous n'avez rien de concret. Vous donnez l'alias de deux des membres des Oras, mais aucune identité réelle. L'enquête jointe de deux de vos camarades va permettre l'arrestation d'un groupe de contrebandiers. Certes, ce ne sont pas des terroristes, ils n'ont tué ou blessé personne, mais c'est tout de même un résultat !

Neil sentit les larmes lui monter aux yeux. Non, non, non, ne pleure pas, ne pleure surtout pas, les Veilleurs ne pleurent pas, les Veilleurs qui pleurent n'intéressent personne...

— Avec vous, nous n'avons rien. Nous ne pouvons rien faire. Les Oras sont peut être dangereux, mais votre travail ne va permettre aucune intervention immédiate. Les recherches présentées au concours des Veilleurs ne doivent pas être une introduction, mais une fin. Même si vous vous qualifiez, vous n'aurez pas l'occasion de les poursuivre par la suite...

L'homme se tut. Sa collègue et lui avaient les yeux rivés sur la jeune femme, attendant une réaction qui ne venait pas. Elle devait leur répondre, il le fallait : elle devait leur montrer qu'elle avait raison, que son travail n'était pas inutile ; c'était ce qu'ils attendaient d'elle. Mais son esprit, comme son corps, étaient paralysés. Elle se sentait incapable d'émettre le moindre son sans éclater en sanglot. Un long et lourd silence s'installa, brisé seulement par les tic-tacs réguliers de l'horloge murale. Neil avait perdu le contrôle, la situation lui échappait, elle allait échouer...

— Pourquoi avoir choisi les Oras ?

C'était Hélios...

— Vous êtes consciente que si vous intégrez les Veilleurs, vous ne serez pas renvoyée dans le Cyan pour éviter d'y être reconnue. Vous n'aurez jamais l'occasion de terminer votre enquête.

Qu'attend-il de moi ?

— Le dossier que vous avez rendu il y a cinq ans et celui-ci sont les seuls documents officiels mentionnant l'existence de ce groupe. Le Général du Cyan a lui-même déclaré que les différentes actions que vous évoquez ici étaient des actes isolés. Votre théorie repose sur quelques inscriptions murales et une éventuelle interprétation de celles-ci. Pourtant, votre thèse est incroyablement convaincante. Pourquoi s'être donné tout ce mal et avoir fourni tout ce travail alors que vous saviez que vous n'obtiendriez aucun résultat concret ?

Réponds. Maintenant. C'est ta dernière chance.

Neil prit une profonde inspiration, elle se racla la gorge et prit la parole.

— Les différents attentats des Sétlov ont fait des centaines de morts dans tout l'Arc-en-ciel pendant plus de dix ans. Et comme je le montre dans le rapport écrit, leur démarche initiale présente de nombreuses ressemblances avec celle des Oras.

Regarde-le, lève la tête !

— Nous pouvons éviter que la situation ne dégénère une fois de plus. Si nous commençons à les étudier dès maintenant, que nous tentons de comprendre ce qu'ils veulent et ce qu'ils pensent, nous avons des chances de les arrêter avant qu'ils ne commettent le moindre meurtre.

Ce n'est pas fini, tu as encore quelque chose à dire...

— Et je ne crois pas qu'une intervention immédiate ne soit possible ou pertinente. Les quelques personnes que vous interpelleriez se feraient passer pour des individus un peu fous, sans aucune appartenance à un quelconque groupe ni aucune revendication. Vous les condamneriez puis vous vous empresseriez d'oublier l'affaire pour passer à autre chose, laissant le champ libre aux autres membres du groupe...

***

Neil avait tout gâché : elle ne serait jamais un Veilleur, elle resterait prisonnière du Cyan jusqu'à sa mort. Dans quel monde, un candidat à un concours dit aux membres du jury que leurs idées ne sont pas pertinentes ? Elle soupira et s'enfuit la tête dans les mains.

— Ça ne s'est pas passé comme espéré ?

La jeune femme sursauta : Em venait de s'asseoir sur le banc, à ses côtés. Ils étaient installés à la sortie du Hall Principal, où avait eu lieu l'examen.

— Moi non plus... Quand j'ai vu qu'Hélios était là, j'ai paniqué.

Neil fouilla dans sa mémoire : elle était à peu près sûre qu'il ne lui avait encore jamais adressé la parole – du moins pas directement.

— Si j'ai bien compris, il revenait d'une visite dans le Vert et n'était présent que la dernière heure... Faut croire qu'il est venu juste pour nous !

Il tentait visiblement de la consoler...

— Enfin bref, c'est fini à présent. Les réponses seront données demain soir, vingt heures. On verra bien !

...et il n'était pas très efficace...

— Je suis sûr que ça ne s'est pas si mal passé en fin de compte...

Était-elle vraiment celle qu'il cherchait à rassurer ?

— Et puis, on pourra toujours retenter notre chance dans cinq ans !

Pas tout le monde...

Ne trouvant plus rien à ajouter, Em se tut. Neil pensa que c'était à son tour de parler mais elle était plus ou moins – plutôt plus que moins – à court d'idées de conversation – quoiqu'elle se demanda comment elle avait pu se retrouver à court de quelque chose qu'elle n'avait jamais eu...

— Bon, euh... Je vois Thomas qui arrive...

Contre toute attente, ce n'était pas un mensonge : Thomas venait d'entrer dans le parc du Hall et marchait dans leur direction.

— À plus tard Neil ! Bonne soirée et bon courage pour l'attente !

Neil lui sourit poliment, salua silencieusement Thomas et les deux garçons s'effacèrent. Bien qu'ils n'aient jamais été vraiment amis, tous trois se connaissaient depuis des années : les deux autres avaient grandi dans le même quartier que la jeune femme et étaient allé dans la même école. Ils louaient, depuis quelques mois, un appartement ensemble, en périphérie du Cyan – au bord de la mer – et elle ne les croisait plus que très rarement. Elle compta qu'ils devaient avoir vingt ans à présent : ils faisaient donc parti des rares chanceux qui avaient la possibilité de se présenter trois fois au concours des Veilleurs. Em et Thomas étaient de cette exaspérante espèce d'humains qui n'avait aucun défaut : ils étaient intelligents et dynamiques, enthousiasmés par tout et n'importe quoi et incroyablement efficaces – Neil était persuadée qu'ils étaient ces deux camarades dont les résultats avaient été si concrets. Et le pire était surement qu'ils n'en tiraient aucune fierté : réussir était tellement naturel pour eux, qu'ils n'avaient même pas conscience de leur talent. Ils étaient admirés, aimés et entourés et ils occuperaient sans aucun doute deux des trois places ouvertes au concours...

Le soleil finissait de se coucher et Neil soupira – une fois de plus : il était temps de rentrer à présent. Elle tenta de rassembler son courage pour combattre sa lassitude, mais ce fut vain : elle n'avait aucune envie se lever de ce banc, elle n'avait aucune envie de retrouver Terry, mais surtout, elle n'avait aucune envie de constater que son père n'était toujours pas réapparu. Cinq ans plus tôt, il l'avait accompagnée et avait attendu ici, dans le parc, que son entretien se termine. Quand il l'avait vue s'avancer vers lui en pleurs, il n'avait fait aucun commentaire sur le concours. Il l'avait consolé, avait parlé de toutes sortes de choses inutiles et avait tenté par tous les moyens de faire revenir son sourire – car, oui, contrairement à ce que la majorité des habitants du Cyan semblait penser, elle savait sourire, et Papa le confirmerait... Elle se sentit incapable de retenir ses larmes plus longtemps et éclata en sanglots.

Pourtant, elle était prévenue, elle savait qu'il partirait un jour ou l'autre : il lui avait dit cent fois...

— Un jour je partirai. Trois hommes frapperont à notre porte, un grand, un petit et un moyen. Ils me proposeront de faire un tour et j'accepterai. Je partirai et je ne reviendrai jamais.

... mais elle avait cru avoir plus de temps. Elle n'avait pas imaginé qu'il les quitte si tôt, elle et sa sœur. Certes, elles étaient adultes et même si Terry menait une existence plutôt oisive, toutes les deux avaient de la ressource et étaient capables de vivre sans son aide. La plupart des jeunes de leur âge ne vivait plus chez leurs parents, ils avaient une maison, un travail et pour certain, une famille. Le problème était que Terry et elle étaient socialement dysfonctionnelles. Leur père l'était aussi mais on lui pardonnait car il était un inventeur de génie : on le regardait comme un savant un peu fou mais pas méchant. Terry avait tenté d'échapper à cette tare héréditaire en se convaincant qu'elle était tout à fait apte à vivre parmi les humains normaux, mais elle ne faisait que se bercer d'illusion. Elle rencontrait des gens, tissait des liens avec eux, mais aucune de ses relations ne duraient. Elle passait d'une amitié à l'autre sans se soucier des sentiments des autres et se félicitait pour sa grande sociabilité.

Marin avait conscience de cette dysfonctionnalité et des obstacles qu'elle pouvait engendrer. Il avait alors créé, pour ses filles, un monde dans lequel ce n'était pas un problème de ne pas se comporter de la bonne façon. Leur maison était devenue un refuge et même quand elle sortait, Neil sentait le bouclier de son père l'accompagner dans chacun de ses pas... Mais aujourd'hui, le bouclier était cassé. Personne ne l'attendait dans le parc et personne ne l'attendait chez elle. Il n'y avait plus aucun refuge.

— Neil !

La jeune fille sursauta. Apparaître à ses côtés alors qu'elle était perdue dans ses pensées semblait être devenu une habitude pour les gens de son entourage !

— Neil ! Comment vas-tu ? Tu as réussi ?

C'était Jules.

— Ça dépend, penses-tu que faire remarquer à ses examinateurs que leurs remarques ne sont pas pertinentes soit une bonne stratégie ?

— ... Tu n'as pas...

— Si ! J'ai fait ça ! Je suis tellement, tellement, tellement intelligente que je me suis permis de leur expliquer leur travail ! Neil Aldermant, vingt-deux ans et déjà la grosse tête !

— Neil, ce n'est... Ce n'est pas si grave... Ils ont peut être...

— Non ! Ils n'ont rien du tout ! J'ai échoué Jules, j'ai tout raté ! Je ne serai jamais un Veilleur...

Elle prit une profonde inspiration.

—... et Papa ne le saura jamais.

Son monde s'écroulait et ses larmes redoublèrent. Cela faisait une éternité qu'elle n'avait plus pleuré. Jules semblait paniqué : il était assis à côté d'elle et tenté de la réconforter tant bien que mal.

— Neil, non, ne pleure pas. Ça va s'arranger, ton père va revenir. Les choses vont s'arranger pour toi et pour Terry, vous allez... Ça va aller.

Jules se tut. Il resta silencieux pendant de longues secondes et prit un air mélancolique et absent. Neil parvint à retrouver son calme et attendit que son ami revienne à lui.

— Et puis, dis-toi que si tu n'es pas sélectionnée, tu n'auras pas à laisser Terry toute seule ici.

— Terry n'a pas besoin de moi.

Et elle serait la dernière raison pour laquelle je resterais.

— Je l'ai vue hier soir. Je suis passé chez toi.

— Oui j'ai entendu.

Tu es venu au milieu de la nuit, Jules.

— Je suis passé pour un idiot.

Comme d'habitude.

— Ces derniers temps, la seule façon de ne pas passer pour un idiot auprès de Terry serait de faire partie de l'entourage de Chloé.

— Qui est Chloé ?

— Son amie du moment, une pseudo-rebelle-anarchiste.

— Je devrais peut-être me faire preuso-rebelle-anarchiste, pour être prêt, le jour où tu quitteras le Cyan...

Neil dut reconnaître que la remarque la fit sourire. Jules sourit à son tour et bondit sur ses pieds.

— On y va ?

Elle attrapa la main qu'il lui tendait.

— Résultats, demain, vingt heures ?

— Demain, vingt heures.


Texte publié par JuniperHill, 18 décembre 2017 à 16h59
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