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Les Noces de l'Homme aux Yeux de Jack
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Ô ma mie ! Vous qui, une nuit aux alentours de minuit, bravâtes le soir et montâtes à bord de ce navire aux voiles noires. Vous y prîtes pied et vous en eûtes bravé les dangers, car d’un geste j’eusse pu trancher le lien vital qui vous retenait. Pourtant la curiosité, mordante et dévorante, fut la plus forte.

Alors que je me tenais au bastingage, à quelques pas de ma cabine, je vous aperçus. Vous marchiez d’un pas ferme et décidé. Je vous vis remonter, braver les interdits et repousser les brutes avinées avec majesté. Oui, je contemplai tout cela et pourtant quelque chose m’échappa. Tout ce temps, vous dissimulâtes vos yeux et du haut de ma poupe j’enrageai de pouvoir y pourvoir. Incapable et ivre de rage, il eût fallu que vous je vous exécutasse, pour exorciser cette rage noire. Mes lames furent prêtes et je n’eus qu’à tendre la main pour m’en saisir et vous occire. Au lieu de cela, vous vous présentâtes devant moi. Encore à présent, j’ignore de quelle manière je puis vous décrire les flots d’émotions, de passions, de désir qui me consumèrent et me consument toujours. Comment vous décrire, ma mie, cet incendie que vous déclenchâtes en mon âme de votre simple regard, alors que du mien je fais chavirer les autres.

Un instant, vous volâtes mon âme. Un instant, vous me confiâtes la vôtre.

Je ne pus, je n’ai pu, je n’eus pu que succomber à vous voir ainsi mise à nu. Vous, moi, nous sur ce navire à la dérive, dans la nuit, sur la Tamise, nous n’eûmes pour témoins que les cieux illuminés.

Par ma foi, je voulus vous chasser, car je crus que je ne susse vous épargner. Mais vous volâtes à mon secours et par la même vous sauvâtes votre chair éternelle et belle.

Ce soir-là, je rangeai mon attrait. Ce soir-là, je tus mes lames. Je n’eus en fait plus qu’un seul désir, que vous m’embrassâtes et que nous scellâmes nos âmes.

Ah ! Ma Dame ! Que nous fêtâmes dignement nos fiançailles, dans l’écarlate et la tripaille, surtout lorsque vous tranchâtes cette gorge encore trop tendre pour son âge, après que vous l’eûtes empalé sur votre lame dans ce train, que d’aucuns appellent désormais le train du Diable !

Ah ! Ma mie ! Ce voyage au cours de la nuit, à bord de ce train fantomatique, qui traversa la ville puis le pays, laissant derrière lui un sillon sanglant. Il n’eût pu avoir plus grandes réjouissances pour nos noces. Vous et moi, liés par le crime, vous m’offrîtes ce cœur de vermeil, que je m’empressai de sertir afin de vous la voir revenir. Comme le souffle me manqua lorsque vous vous en emparâtes et que vous vous ceignîtes le front de ce diadème de carmin.

Ma mie ! Ce soir, la rumeur bruisse que les cloches sonneront à minuit, pour les messes du même nom. Il n’est pas plus belle heure pour les célébrations.

Courons ! Volons ! Marions-nous ! Célébrons en cette nuit nos noces !

Le prêtre officiera et s’il ne veut pas, alors ma lame l’y obligera.

Mado sera notre témoin. Elle qui se voit en vierge sainte, je l’élèverai, le temps d’une cérémonie, au rang de reine de minuit

À vous, ma Mie ! Je vous offre, en cette nuit de Noël, le plus beau des baptêmes. Rendons-nous de ce pas à Notre-Dame, que nous stupéfions ces braves gens, dont le cœur tremble à l’évocation du nom de Jack aux yeux d’argent. Transformons cette nuit de Noël, de paix et de joie, en un cauchemar écarlate et jetons-leur à la face, ce que tous prendront pour une farce.

Montrez-leur, à cette masse, aveugle, comme vous chantâtes ce soir-là sur mon trois-mâts et glacez leur cœur d’effroi. Ensemble, nous réchaufferons donc les âmes de ces bourgeois qui, dans le nid douillet, oublient comment le froid décime la populace.

Embrasons les esprits de ces ombres qui hantent les bas-fonds. Qu’elles déversent leur fiel et leur colère et noient de sang les eaux bouillonnantes ! Mes lames n’attendent que cela, de la chair tendre et attendrissante.

Nuit d’ivresse ! Nuit chasseresse !

Ce soir, nous boirons à la santé du diable !

Ce soir, nous célébrons les noces de Jack aux yeux d’argent et sa fiancée des ténèbres, Oblivia de Sade.


Texte publié par Diogene, 17 décembre 2017 à 17h34
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