Il était une fois, vivant dans un village des plus modestes perdu au fond des bois, un chasseur du nom de Tolën dont l'épouse était très malade. A son plus grand désarroi, l'homme n'avait aucunement les moyens de s'offrir les services d'un guérisseur pour sauver sa femme du mal qui la rongeait. Les temps étaient durs pour tout le monde dans le hameau, pourtant, jusque là, les talents de Tolën lui avaient toujours permis de mettre un peu de viande sur la table, accompagnés de racines et tubercules obtenus en échange d'une part de ses proies. Au moins sa femme pouvait-elle trouver dans ces repas la force de lutter contre sa maladie. Du moins les choses se passaient-elles ainsi jusque là.

C'était aujourd'hui le troisième jour où Tolën rentrait bredouille et cela l'inquiétait. Si même le gibier avait fui la région, comment pourraient-ils espérer survivre, lui et les siens ? Pour ne point inquiéter sa bien-aimée, il prétendrait avoir rendu un quelconque service à l'un ou l'autre des anciens du village et il retournerait chasser à la faveur de la nuit. Ainsi rentrerait-il chez lui le temps d'un maigre repas et de quelques soins à sa chère Elya avant de s'enfoncer dans la nuit.

Sous la toile bleu-marine piquetée d'argenté, Tolën se laissait guider par le chant si coutumier de la forêt. Repérait-il le bruit d'une potentielle proie qu'aussitôt il se lançait sur ses traces. Bien décidé à ramener du gibier coûte que coûte, le jeune homme s'enfonça bien plus profondément dans le bois qu'il ne l'avait jamais fait. Finalement, ce ne fut pas un bruit mais une lueur dansante qui l'attira plus loin encore. Eclats chatoyants de bleus, verts et argents dansaient le long des troncs, couraient sur les mousses et feuillages. C'était un lac qui émettait ces étranges reflets et le chasseur aurait sans aucun doute été charmé par ce spectacle si une autre vision n'avait ravi son attention. Non loin de là, sur la rive, un cerf majestueux s'abreuvait. Tolën n'en douta pas un instant : la providence l'avait guidé jusque là. Avec une telle proie, il aurait à manger pour de nombreux jours, pour sa femme et lui, mais aussi de quoi échanger avec les autres villageois. Sans compter qu'il pourrait vendre peau et bois au prochain marchant ambulant qu'il croiserait et payer ainsi le guérisseur tant attendu. La première flèche transperça la gorge de la bête et, avant qu'elle ne puisse fuir pour agoniser plus loin, une seconde se ficha dans son jarret. L'animal s'écroula et le jeune homme le rejoignit prestement pour l'achever à l'aide de son long couteau. Lorsque la proie rendit son dernier soupir, Tolën admira son travail avec un sourire satisfait. Un dur labeur l'attendait encore pour ramener pareil gibier en son foyer mais au moins rentrait-il avec leur salut !

Les mois passèrent, l'hiver s'installa, et la manne offerte par le cerf providentiel vint finalement à manquer. Nul vendeur ambulant n'était passé par chez eux et, quelle que fût l'ardeur dont fit preuve le chasseur, aucune autre proie ne croisa sa route. Et avec le froid et la faim, les forces d'Elya déclinaient chaque jour un peu plus, ne laissant aucun doute sur l'avenir qui l'attendait si rien n'était fait. Tolën était ainsi déchiré entre l'envie d'aller à la ville chercher du travail afin de rentrer avec nourriture et remède, et son refus d'abandonner ainsi sa bien-aimée à un tiers. S'ouvrant de son dilemme à une ancienne du village, celle-ci lui offrit une troisième voie.

- Il y a une vieille légende qui dit qu'un lac magique existe dans ces bois. Une sorcière le garde mais, si elle estime que son eau t'est nécessaire, alors elle t'offrira quelques gorgées de l'onde pure. On raconte que ce lac peut guérir tous les maux, malheureusement personne ne sait où le trouver. Tu connais cette forêt comme ta poche, Tolën. Si quelqu'un peut le dénicher, c'est bien toi !

Le jeune homme rentra chez lui l'esprit toujours plus agité. Pouvait-il réellement perdre du temps à courir après une chimère quand sa douce Elya allait si mal ? Mais quand il poussa la porte de son foyer, il sut qu'il n'avait, en réalité, pas de meilleur choix. Cela faisait bien longtemps que l'odeur du pain grillant près de l'âtre n'avait plus empli la maisonnée, mais depuis combien de temps en était-il de même pour le plus maigre des repas ? Tous, au village, vivaient la même situation. Tolën ne pouvait décemment pas confier sa femme à un autre. Et quand bien même, combien de temps devrait-il s'absenter avant de pouvoir rentrer avec un remède ? Elya serait-elle toujours là pour le recevoir ? Le jeune homme n'avait pas vraiment le choix, il devait trouver ce fameux lac et sa sorcière. Ce n'était pas les points d'eau qui manquaient dans ces bois, aussi passa-t-il un long moment à se remémorer chacun de ceux qu'il connaissait. Alors lui revint en mémoire cette chasse nocturne où la chance lui avait souri. C'était la lueur étrange du lac qui l'avait d'abord attiré là. Il n'avait pas vu de sorcière à ce moment-là mais il était venu au cœur de la nuit. Peut-être dormait-elle ? Oui, c'était décidé : Tolën commencerait ses recherches par ce lac !

S'habillant chaudement pour affronter le froid hivernal, le jeune homme quitta sa demeure aux premières lueurs de l'aube. Arpentant les bois couverts de neige, le bruit de ses bottes s'enfonçant profondément dans le manteau blanc pour seule compagnie, il parvint, après une laborieuse recherche, à retrouver le chemin menant aux eaux miroitantes. Il dut en faire le tour avant de finalement apercevoir une chaumière entre les arbres. Il n'eut toutefois pas le temps de l'atteindre qu'une voix s'éleva, tout près.

- Puis-je vous aider ?

Une sorcière se tenait devant lui, il n'en douta pas un instant, mais était-ce la bonne ?

- On m'a parlé d'un lac dont les eaux peuvent guérir tous les maux et d'une sorcière à qui s'adresser pour en obtenir quelques gorgées. Est-ce vous ?

La vieille posa sur le jeune homme un regard indéchiffrable avant de hocher la tête.

- Vous êtes bien au bon endroit, mon garçon, et je suis effectivement celle dont vous parlez.

Le soulagement et l'espoir emplirent le cœur de Tolën qui s'empressa de raconter sa situation et l'état dans lequel se trouvait sa femme. A la fin de son histoire, la sorcière affichait une mine sombre et triste.

- Ces eaux la sauveraient, c'est un fait, toutefois je ne suis pas le gardien de ce lac, seulement l'interprète entre les Hommes et lui. Seul le gardien peut prélever son pouvoir pour l'offrir à ceux qui le demandent. Malheureusement, le gardien n'est plus depuis plusieurs mois.

Le désespoir envahit soudain le pauvre chasseur à l'idée de ne pouvoir rapporter le remède à sa chère Elya. Pourtant, la vieille poursuivit.

- Le gardien était un être majestueux un magnifique cerf qu'un jeune chasseur un peu trop habile a abattu sans que je ne puisse rien faire...

Le sang de Tolën se glaça alors que la réalité lui sautait à la gorge. C'était lui... C'était de sa faute... Mais il refusait d'y croire. Pourquoi un simple animal pourrait-il faire ce que lui ne pouvait ? Il puiserait lui-même l'eau du lac et rapporterait le remède à sa bien-aimée ! Tolën rejoignit en quelques enjambées l'onde colorée et approcha sa gourde de la surface. Pourtant, quelle que fut la force qu'il y mit, celle-ci demeura suspendue à quelques centimètres au dessus des flots convoités. Le jeune homme essaya encore et encore mais rien n'y fit. Incapable d'accepter l'idée d'avoir lui-même condamné celle qu'il voulait tant sauver, Tolën revint chaque jour pour tenter sa chance, élaborant tous les stratagèmes possibles, expérimentant la moindre idée qui lui venait. Cependant, l'eau du lac lui demeurait strictement interdite et il en fut toujours ainsi, jusqu'au jour où il fut trop tard pour sauver la douce Elya...

Il était une fois, pleurant au bord d'un lac perdu au fond des bois, un chasseur du nom de Tolën qui, pensant ramener son salut, avait en vérité provoqué sa propre perte...