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tome 1, Chapitre 21 « Le lien - partie II » tome 1, Chapitre 21

Chaque jour, mon amie m’enseigna les rudiments de l’occultisme. Nos leçons se transformèrent rapidement en discussions passionnées, où la sorcière m’enseigna, du mieux qu’elle le pouvait, l’histoire de ces trois mondes qui jalonnaient notre univers.

Mais un endroit me fascinait littéralement : le monde des morts.

— Lorsque ton âme quitte ton corps et accède à cette autre réalité, elle distingue la projection du monde des morts, expliqua-t-elle. Lorsqu’un être vivant s’éteint, son âme trouve normalement le repos en rejoignant ce monde. Mais il arrive, pour diverses raisons, que certaines d’entre elles soient condamnées à errer dans les méandres de nos trois mondes. Voilà pourquoi la projection t’a montré une facette de notre monde si différente.

Il me fallut plusieurs jours pour réussir à atténuer mes craintes. Au début, mon exploration se limitait au couloir près de ma chambre, puis peu à peu, je m’éloignais jusqu’à atteindre les limites du coven.

Catherine ne réapparut pas. Ma jumelle, tout comme mon fiancé, s’était visiblement évaporé dans la nature. Ce fait me détruisait. Ma présence dans ce Demi-Monde perdait chaque jour de son sens. Irène tenta de me rassurer, de me guider dans l’apprentissage de cette nouvelle vie, mais je peinais à trouver d’autres repères.

— La pratique demande du temps, m’avait assuré Raonaid. Tes pouvoirs ont été bridés si longtemps qu’un temps d’adaptation sera nécessaire.

Je croisais rarement la chef du coven. Elle multipliait les allers et venues entre Endwoods et le coven, puisque Géralt avait décidé de placer sa boutique sous bonne garde. Si elle ne laissait rien paraître, l’angoisse et la fatigue la rongeaient. J’avais le pressentiment qu’elle nous cachait quelque chose, même si elle se bornait à garder le silence.

— Cela fait plus d’un mois que mon fiancé a disparu ! m’étais-je emporté, le corps tremblant sous l’effet de l’épuisement. Je l’ai abandonné depuis le début, je…

— Bientôt, les réponses arriveront, mais tant que la Déesse et le Démon-Créateur ne t’estimeront pas prête, alors tes larmes seront vaines.

J’avais ravalé ma frustration. J’accompagnais chaque jour les sorcières au Temple afin de présenter mes offrandes et entretenir les lieux. Au fur et à mesure des journées qui s’écoulaient, j’avais le sentiment de mieux comprendre le Démon-Créateur.

Des millénaires plus tôt, alors que les villages bâtissaient seulement leurs premiers édifices, un groupe de jeunes femmes s’égara un jour dans la forêt. La terreur déformait les traits de leurs visages et peu leur importait de se perdre parmi ces bosquets réputés hantés : des villageois furieux les pourchassaient, torches en main.

Depuis plusieurs décennies, les hommes avaient cessé de vénérer la Déesse fondatrice de leur Monde et adoraient à la place un Dieu unique, symbolisé par une mystérieuse croix. Refusant de trahir la Déesse, les femmes décidèrent de quitter leur village natal afin d’éviter l’exécution.

Rapidement, elles furent retrouvées et encerclées par leurs assaillants. Ces derniers leur accordèrent une dernière chance : renoncer à leur foi hérétique ou périr. Elles crachèrent aux pieds de leurs ennemis et refusèrent. Alors que les flammes s’apprêtaient à les brûler vivantes, une mystérieuse ombre se matérialisa et se jeta avec violence sur les villageois. Ils poussèrent de déchirants cris de douleur et disparurent, engloutis par la terre de la forêt.

L’ombre s’arrêta ensuite au milieu du bosquet et révéla sa véritable apparence aux jeunes femmes : celle d’un Démon difforme, aux traits ravagés par la haine, l’avidité et la folie. Terrifiées et reconnaissantes, elles s’inclinèrent face à lui et le Démon leur offrit une récompense : des dons puissants, directement hérités de l’Antimonde d’où ils venaient.

Un étrange cataclysme venait de ravager l’Antimonde et la créature avait vu les membres de son espèce s’éteindre les uns après les autres. Comprenant que les jeunes femmes ne renieraient jamais leur amour pour la fondatrice de leur Monde, il leur céda son pouvoir afin que son héritage ne disparaisse pas avec lui.

— Ces dons ont rendus ces femmes plus puissantes que n’importe qui, précisa Irène. Le Démon leur expliqua ensuite qu’il se transmettrait de génération en génération et que chacune d’elles développeraient un pouvoir différent. En échange, il leur ordonna de ne jamais effacer son souvenir et de transmettre cette histoire à leurs descendants. Ainsi, la civilisation des sorcières se développa d’années en années, puis de siècles en siècles.

L’héritage du Démon-Créateur n’était ni un acte de bonté, ni un acte désespéré : la créature cherchait depuis de nombreuses années à transmettre son héritage, mais ne trouvait guère d’âmes dignes de le recevoir.

— L’occultisme est né de cette légende, il s’agit de la branche originelle de la sorcellerie, m’avait révélé Irène. Vénérer le Démon-Créateur signifie accepter la présence de l’Antimonde sur nos terres. De nombreuses choses nous sont permises, malgré le lourd prix à payer. Mais lorsque les humains commencèrent à nous persécuter, une grande partie des sorcières décidèrent d’orienter leurs pratiques vers la magie blanche. Elles espéraient que les hommes cesseraient de les traiter de démon.

— Ce stratagème a dû lamentablement échouer.

Irène avait ébauché un rictus chargé d’ironie.

— Le paganisme a perduré depuis, mais seul l’occultisme reste fidèle à notre véritable créateur. Les humains ne changeront jamais d’avis sur nous : ils nous exterminent de crainte de voir notre puissance grandir et les détruire.

L’occultisme faisait débat au sein du coven : beaucoup craignait le Démon-Créateur et estimait qu’utiliser les forces occultes pour semer la souffrance était indigne de la Déesse. Raonaid avait cependant tolérée cette croyance au sein du coven, ayant elle-même été formée par un occulte, avant de se tourner définitivement vers le paganisme.

***

— Je commence à perdre espoir, confessai-je. Plus mon apprentissage évolue, plus les réponses m’échappent.

— Tout ira bien, assura Raonaid en me serrant dans ses bras. Nous trouverons une solution, je te le promets.

Parlait-elle pour moi ou elle-même ? Sa voix restait évasive, comme si son esprit se trouvait ailleurs. Tout à coup, plusieurs membres de la communauté surgirent en trombe dans la salle commune où nous discutions. Raonaid et moi échangeâmes un regard inquiet et fonçâmes en direction du portail qui marquait la limite entre le coven et le reste de la forêt.

Les grilles s’ouvrirent doucement, sous le brouhaha surexcité des habitants réunis près de l’entrée. Les prisonniers envoyés auprès des Cachés étaient de retour. Leurs vêtements étaient élimés, leurs cheveux recouverts de saleté et la terreur déformait les traits de leurs visages. Mon cœur se serra lorsqu’ils se jetèrent aux pieds de leur cheffe, espérant sans nul doute son pardon.

Archibald se fraya un passage parmi la foule et ordonna aux curieux de reculer.

— N’avance pas ! ordonna brusquement Raonaid. Ils ont peut-être été contaminés.

— Contaminés ? répéta-t-il. Allons, ils sont certes pâlichons, mais de là à les confondre avec un cadavre…

Mais le regard acerbe de la chef l’empêcha d’achever sa phrase. À la place, il se concentra visuellement sur les captifs afin de déterminer la gravité de leur blessure.

— Parlez, cracha-t-elle aux prisonniers.

Ces derniers se resserrèrent les uns contre les autres et hochèrent lentement la tête. Les larmes inondaient leur visage mais le mépris de leur chef fut tel qu’ils les séchèrent aussitôt. Malgré la réussite de leur mission, leur trahison restait gravée dans les esprits. Le pardon de Raonaid – et de l’ensemble du coven – prendrait du temps.

— Il… il accepte de… de… de vous rencontrer, balbutia une jeune femme. Mais… mais… à une con… condition.

Les murmures s’évanouirent aussitôt et l’ensemble des habitants la toisèrent, suspendu à ses lèvres. La jeune fille releva ses yeux gris perle et me désigna du doigt.

— Il… il exige que la fille soit présente, révéla-t-elle.

Les murmures reprirent de plus belle. Les autres prisonniers hochèrent la tête à leur tour afin de confirmer les paroles de la jeune femme, tandis que lèvres de Raonaid se tordirent en un étrange rictus. Elle m’adressa un regard peu amène et gênée, je me rapprochai d’Archibald.

— Pourquoi ? risquai-je.

— Parce que vous êtes importante, répondit un second prisonnier, d’une voix sépulcrale.

Il n’ajouta rien et je compris, à l’expression de son regard, que l’exigence du chef des Cachés lui échappait autant que moi. Archibald tapota doucement mon épaule et reportai mon attention vers Raonaid. Cette dernière renvoya la foule de curieux d’un geste sec et me fit signe de rester près d’elle. Une fois les habitants éloignés, Archibald s’avança avec précaution vers les captifs et souleva la chevelure blonde de la jeune fille.

Des traces de morsure marquaient sa nuque.

— Ils n’ont pas été contaminés, déclara Archibald. Ils ont seulement… servis de repas.

Un murmure de dégoût se répandit parmi les membres du conseil. Si les morsures n’étaient guère profondes, elles semblaient néanmoins douloureuses.

— Allons bon… estimez-vous chanceux de ne pas avoir été déchiré en mille morceaux, persiffla Raonaid. Tu les examineras plus tard, Archibald. Quant à vous… où a-t-il fixé la rencontre ?

— À la prochaine pleine lune, au centre du bosquet « hanté ».

Il se tut, mais me toisait comme s’il craignait d’en dévoiler plus.

— Un charmant individu, plaisanta Irène.

Un silence pesant s’installa. J’arquai un sourcil, consciente que la situation m’échappait une fois de plus. Si Laurent connaissait mon identité grâce à Catherine, pourquoi requérait-il ma présence ? Quel secret ma jumelle dissimulait-elle pour qu’il contraigne la cheffe du coven à marcher à mes côtés pour une rencontre aussi importante ? Raonaid, ainsi qu’Archibald et les membres du conseil, semblaient également sceptiques.

La sorcière semblait partagée entre l’envie de jeter les traîtres en pâture aux bêtes sauvages et celle d’accomplir son devoir. Alors que ses lèvres s’entrouvrirent, Donovan, Pernelle et Archibald la toisèrent avec colère. Irène croisa les bras d’un air sardonique. Je reculai alors, gardant le silence. Inutile d’envenimer la situation en contestant l’autorité de la jeune femme.

— Ramenez-les en cellule, obtempéra-t-elle.

Les quatre prisonniers tentèrent de protester, mais aussitôt, quatre bras les tirèrent loin de nous. Raonaid inspira profondément, ses iris vertes se voilant d’une ombre, et nous fit face, bras croisés.

— Je m’attendais à tout, sauf à ça, confessa-t-elle.

— Connaissais-tu Catherine avant d’arriver ici ? interrogea Pernelle.

— Non ! protestai-je. Je… je le jure. La première fois que j’ai entendu son prénom, c’est lorsqu’Ian Hamilton m’a prise pour elle. Je ne connais rien de cette femme, et… et je ne comprends guère pourquoi les Cachés souhaitent que je vous accompagne !

— Du calme, Élia. Nous te croyons, assura la cheffe du coven. Élia a rencontré Laurent peu avant de nous rejoindre. Pour une raison qui m’échappe, il a réussi à braver les protections magiques et à s’introduire dans la demeure de Ian Hamilton, précisa-t-elle aux autres.

— Il connaissait déjà mon nom… et a reconnu ma nature grâce à mon odeur. C’était la première fois que je le rencontrais.

— Il attend donc quelque chose de nous, conclut Irène. Voilà qui est intéressant… ces Cachés ne commettent pas seulement de meurtres pour le plaisir.

— La prochaine lune se déroulera demain soir, déplora Raonaid. Impossible d’armer le coven en conséquence. Il faudra donc emmener une escorte réduite.

De faibles hochements de tête approuvèrent ses ordres.

— Je ne peux également emmener l’ensemble du conseil, ajouta-t-elle. Nos rares rencontres avec ces monstres ne m’incitent guère à la confiance : ils peuvent autant négocier que nous tendre un piège. S’ils décident de nous trahir, le coven ne devra pas se laisser gagner par la panique.

Elle marqua une pause et déclara :

— Mais avant de préparer notre offensive, je souhaite savoir si tu souhaites nous accompagner, Élia. Ton arrivée récente ne peut me contraindre à te faire venir, mais sache que si tu refusais, aucun mal ne te sera fait. Les Cachés ont commis nombres d’atrocités dans la région et rien n’indique que ce Laurent soit digne de confiance.

Pourtant, au fond de moi, une voix m’implorait de l’accompagner. Si la perspective de rencontrer à nouveau le Caché suffisait à dresser mes poils sur la peau, mon instinct me susurrait que ce dernier détenait nombre de réponses à mes interrogations. Laurent aurait très bien pu m’assassiner lors de notre première rencontre. Rien n’aurait pu s’interposer entre lui et moi. Pourtant, il m’avait épargné. Irène ne se trompait donc pas : il attendait quelque chose de nous.

— Je viendrai, Raonaid, assurai-je. Cette rencontre me concerne autant que vous.

Le soulagement se lut sur le visage de la sorcière, qui me serra dans ses bras.

— Merci infiniment, Élia. Dans ce cas, mes amis, il faudra veiller sur le coven et empêcher la panique de se répandre en cas de problème. Pour cette raison, Irène me remplacera durant mon absence.

Cette dernière écarquilla les yeux, stupéfaite, et entrouvrit les lèvres, visiblement offusquée. Raonaid l’interrompit d’un geste de la main.

— J’ai toléré tes croyances au sein de ce coven, déclara-t-elle, malgré nos différents points de vue. Je ne te laisserai pas mettre en péril nos négociations. Tu dirigeras le coven en mon absence et veillera au respect des ordres. Pernelle te secondera. J’emmènerai Élia et Donovan, ainsi que cinq de nos meilleurs hommes.

Sans nous laisser le temps de protester, elle tourna les talons et nous laissa seuls, en plein désarroi. Irène poussa un soupir agacé et la rejoignit hâtivement.

— Je prierai la Déesse et le Démon-Créateur à ta place, me conseilla Donovan. Car lorsque nous serons encerclés de ces bêtes, seule leur bonté nous empêchera de finir déchiré en morceaux.

Il tapota mon épaule avec gravité et s’éloigna à son tour.


Texte publié par Elia, 4 janvier 2018 à 22h03
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