L’homme ajusta son veston militaire, contemplant, impassible, son reflet dans le miroir. Ses rangers étaient encore boueuses à cause des entraînements de la veille, et malgré le soin tout particulier qu’il accordait d’ordinaire à son apparence, il n’avait aujourd’hui pas l’énergie nécessaire à leurs entretiens. Un général se doit d’être impeccable. C’était pourtant sa devise, mais ce jour-là, il n’y trouvait pas vraiment d’intérêt. Ses cheveux grisonnant, presque rasés à blanc, lui donnait un air sévère et froid que bon nombre de ses subornés redoutés. Il n’était pas réputé pour sa gentillesse et sa bienveillance. Sa mâchoire carré, surmonté d’un nez aquilin et de deux pupilles d’un bleu profond, était rasée de prêt.

« Général Lambroise, le lieutenant colonel Leroy vient d’arriver. »

Lambroise tourna légèrement le visage en direction de l’intrus. Un jeune aspirant au regard innocent qui, bientôt, partirait en guerre et y laisserait certainement la vie, laissant derrière lui parent, femme et enfant. Le général hocha vaguement la tête et l’aspirant quitta à nouveau son bureau, le laissant ruminer seul ses macabres pensés. Ses dernières années n’avaient pas été des plus clémentes avec lui, ni même avec son pays. La France, la patrie pour laquelle il se battait corps et âme, était ravagé par la guerre et la famine.Cela faisait bientôt dix ans que la troisième guerre mondiale avait été déclaré et l’usure commençait à se sentir. Lambroise s’assit mollement sur la chaise de son bureau en chêne et observa avec dégoût les dossiers que l’état major lui avait envoyé. Le projet Adam était, selon lui, une pure idiotie. Des hommes se battaient au front, dans la sueur, le sang et les larmes, et il devait envoyer son meilleur tacticien au beau milieu d’un chambardement scientifique ? C’était stupide.

Lambroise soupira lourdement et passa une main fatiguée sur son visage. Leroy ne tarda pas à le sortir de sa mélancolie, son éternelle sourire aux lèvres. Malgré la mort de sa femme quelques années plus tôt, le lieutenant colonel était toujours aussi avenant. C’était un grand homme aux cheveux blonds et aux yeux d’aciers. Daniel inspirait un certain calme et une grande sagesse. Quel gâchis de devoir l’envoyer là-bas. Lambroise se leva avec toute la grâce qu’il lui restait et effectua un salut militaire que son suborné lui rendit. Il indiqua d’un geste leste la chaise en face de lui.

« Lieutenant Colonel, asseyez vous je vous pris. La voix grave du général fit froncer les fins sourcils de Daniel et il s’exécuta lentement. J’ai à vous parler. L’êtat major m’a envoyé un ordre de mission pour vous.

- Quel est-il ? s’enquit platement le colonel.

- Vous devez rejoindre le Projet Adam, vous partirez dans deux jours. C’est un ordre Colonel. »

La mâchoire de Daniel s’affaissa lentement, sous le regard vitreux de son supérieur. Cela faisait presque dix ans qu’ils travaillaient ensemble, et jamais Lambroise ne l’avait vu aussi fébrile. Mais le Colonel savait. Il savait ce qui l’attendait là-bas. Le projet Adam était un sujet actif au sein de l’armée, certain étant pour, d’autre non. Leroy, lui, en parlait toujours avec une grande noblesse. C’était un acte cruel mais nécessaire, disait-il. Seulement ce jour-là, devant le fait accomplit, il ne semblait plus aussi sûre de lui. Ses tests souvent macabres sur ses compatriotes le glaçait d’effroi. Destiné à créer des surhommes, le projet Adam avait été créé après la défaite cuisante qu’avait essuyé la France en Bosnie. L’état Major avait été très clair suite à la création du projet. Quiconque y étant assigné et refusant d’y aller serait accusé de haute trahison et exécuté sur le champs. Pour la première fois depuis longtemps, le calme qui emplissait Daniel se fissura, laissant apparaître une grande faiblesse derrière ce visage paisible. Il sanglota, dans le silence oppressant de ce bureau et malgré toute sa bonne volonté, Lambroise n’arriva pas à trouver les mots pour le rassurer.