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De planète en planète

© Rose P. Katell (tous droits réservés)

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Abel amena ses jambes contre lui, puis les entoura de ses bras. Son envie de rire s’était envolée. La minuscule planète sur laquelle il se situait s’était éloignée de son système ; il se retrouvait mis à l’écart de celles où il aimait jouer et, surtout, de celle où il habitait avec son papa et sa maman…

Il avait refusé de l’admettre, secoué la tête. Hélas, le constat était resté identique : la distance créée lors de sa dérive était trop grande, il se révélait incapable de la franchir – même s’il prenait tout son élan.

Oh, il avait tellement ri quand l’astéroïde avait frôlé son terrain de jeux ! Il s’était délecté du mouvement provoqué comme de sa vitesse… Un amusement passager qu’il regrettait désormais de façon amère.

Ses lèvres tremblotèrent. Il se sentait si idiot ! Ses parents lui avaient pourtant recommandé d’être prudent. Grâce à eux, il savait qu’il suffisait d’un rien pour qu’une planète s’affranchisse de ses sœurs. Mais il n’avait songé qu’à son plaisir !

Des larmes perlèrent aux coins de ses paupières. À cause de sa bêtise, il ne reverrait plus jamais sa famille… Il s’était condamné à passer le restant de ses jours sur un monde minuscule, sans personne pour veiller sur lui.

Un sanglot lui échappa. Il détestait sa situation. Il détestait les astéroïdes. Il détestait sauter de planète en planète. S’il n’avait pas pratiqué ce jeu stupide, il ne serait pas coincé à l’heure actuelle !

— Je… je veux rentrer chez moi…, larmoya-t-il.

Ses pleurs s’intensifièrent aussitôt. Il enfouit son front entre ses genoux et céda à son désespoir.

Les minutes s’écoulèrent, lentes et oppressantes. Puis soudain, une sensation de chatouillis dans ses cheveux le surprit. Il se redressa, et hoqueta devant l’être qui se tenait face à lui… Une souris cosmique !

La bouche d’Abel s’étira en un léger sourire, car il adorait ces rongeurs.

Petits, gris et très sociables, ils vivaient deux planètes à côté de la sienne et aimaient par-dessus tout se courir les uns après les autres dans l’océan de l’espace. Sous leur ventre, une étrange boule lumineuse leur permettait de léviter et de se mouvoir en apesanteur ; ils n’avaient qu’à la faire rouler avec leurs pattes afin de se déplacer – elle étincelait en outre à chaque pression, un spectacle dont l’enfant raffolait.

La venue de la créature apaisa ses angoisses et son chagrin. Il tendit la main, puis l’autorisa à la renifler et s’esclaffa quand ses moustaches frôlèrent sa paume. Son rire fut gratifié d’un couinement de joie et suivi d’une pirouette enthousiaste.

— Je te connais ! s’exclama alors Abel.

Un seul animal s’amusait en effet ainsi avec lui : celui qu’il avait nommé Vela. Malgré sa position désastreuse, il ne put s’empêcher de se réjouir de leurs rencontres.

— Je suis contente que tu m’aies repéré, mais je n’ai pas à manger pour toi, désolé… Je suis bloqué ici.

Son cœur se serra. Il concevait sans mal la peine de son amie privée d’en-cas. Il pria néanmoins afin qu’elle ne lui en tienne pas rigueur. S’il souhaitait affronter ses ennuis, il avait plus que besoin de son soutien.

Les étoiles demeurèrent sourdes à son vœu. Vela l’observa comme si elle cherchait à appréhender ses propos avant de s’écarter de lui. Elle patina sur sa boule luminescente, se dirigea hors de « son » territoire. Le garçon la regarda devenir un point lointain et tenta en vain de contenir ses nouvelles larmes.

— Toi au moins, tu as la possibilité de te rendre chez toi…

Il ferma les yeux, puis s’échina à se maîtriser. Se lamenter était inutile, et ça ne l’aiderait pas. Prostré, il laissa le temps s’égrener sans bouger. Il était l’unique responsable de son malheur.

Plusieurs sons aigus lui parvinrent tout à coup aux oreilles… Vela était-elle revenue ? Il n’osa y croire, cependant les bruits augmentèrent tant qu’il était impensable qu’ils soient le fruit de son imagination ou qu’elle les produise seule. Intrigué, il releva le menton.

La stupeur le rendit muet, sa bouche s’arrondit. Guidées par sa compagne de jeu, des dizaines de souris progressaient dans sa direction !

Abel se redressa d’un bond. Il se frotta les paupières et s’ébahit dès qu’il constata qu’elles ne disparaissaient pas. Émerveillé, il les contempla former une large ligne droite jusqu’à son point de dérive. C’était la première fois qu’il en avisait autant à un même endroit.

Vela s’approcha, puis émit un cri à son intention. Il la dévisagea, mais ne comprit pas. Elle attrapa donc la manche de son pull entre ses dents, tira dessus, et il accepta qu’elle l’entraîne à sa suite.

Tout en vérifiant qu’il ne se dérobait pas, elle l’amena jusqu’à ses consœurs en arrêt près de l’astre. Là, il remarqua avec consternation que la ligne qu’elles formaient était un pont… Un pont qui le reliait à son domicile !

L’émotion le saisit à la gorge. Vela ne l’avait pas abandonnée, elle était partie chercher de l’assistance !

— Oh, merci ! Merci, merci, merci, s’époumona-t-il.

Fou de joie, il la prit entre ses paumes et lui embrassa le crâne. Il posa ensuite un premier pied sur le passage vivant et s’étonna de sa solidité.

— Vous n’avez pas mal ? demanda-t-il à celles qui le constituaient.

Des sifflements amusés accueillirent sa question. Encouragé, Abel s’élança vers sa délivrance. Au comble du bonheur, il vit bientôt la distance entre lui et les différentes planètes de son système s’amoindrir.

— Papa ! Maman ! J’arrive !

Dérangé par la lumière du jour, Abel grimaça. Sa maman agrippait toujours la corde du volet entre ses mains.

— Réveillé, petite marmotte ?

— Mmmh.

— Debout, il y a école.

— D’accord, bâilla-t-il en s’étirant sous ses couvertures.

— Habille-toi pendant que je m’occupe du petit-déjeuner. C’est papa qui te conduit en classe, aujourd’hui.

Il opina. Puis, tandis qu’elle quittait sa chambre, il rejeta ses couettes. Des souvenirs de son rêve vinrent titiller sa mémoire et lui arrachèrent un rire : il était si bizarre !

L’enfant marcha jusqu’à la cage de sa souris grise et manqua renverser son précieux télescope en chemin. Il sourit ; le rongeur était encore en train d’essayer de tenir en équilibre sur la balle qu’il lui avait offerte.

Il ouvrit la porte à barreaux, puis lui accorda une caresse.

— J’ai rêvé de toi cette nuit, Vela, déclara-t-il. Tu étais une souris de l’espace !


Texte publié par Rose P. Katell, 20 novembre 2017 à 12h55
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