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tome 1, Chapitre 3 « Tarel » tome 1, Chapitre 3

Les pas du prince Tarel résonnaient dans le couloir désert de la forteresse, rompant le silence de mort qui y régnait. Derrière lui, le petit page qui l'avait tiré du lit à une heure si tardive trottinait en haletant bruyamment. Malgré cela, le prince ne semblait pas l'entendre, perdu dans ses pensées. Son père s'obstinait à le réveiller de plus en plus souvent au beau milieu de la nuit, taraudé par un plan de bataille ou une livraison d'armes qui n'arrivait pas.

Tarel bifurqua à l'angle d'un couloir et se retrouve bientôt devant une porte gardée par deux hommes en armure. Sans un mot, les deux soldats s'inclinèrent respectueusement devant leur prince et le laissèrent entrer dans l'antichambre du roi. Une autre personne attendait déjà, confortablement installé sur un imposant fauteuil recouvert de velours.

– Bonsoir, Tarel. Tu as une tête déplorable.

Le prince serra les dents face à la remarque de son frère ainé.

– Veyn, dit-il simplement en inclinant imperceptiblement la tête.

Tarel s'adossa au mur sans quitter son frère des yeux. Le prince héritier avait croisé les jambes et sa main reposait nonchalamment sur l'accoudoir du siège, un somptueux anneau orné d'une pierre rouge bien en évidence. Veyn aimait montrer que c'était lui le frère ainé, et par conséquent, qu'il était l'héritier légitime du trône. Pendant bien des années, il avait été le seul à être formé aux arcanes du pouvoir, ce dont il avait toujours aimé se vanter devant Tarel. Mais la guerre avait changé bien des choses, et la probabilité que le fils ainé du roi meure prématurément avait très nettement augmenté. Tarel s'était donc retrouvé propulsé au même niveau que son frère, mais il avait des années d'apprentissage à rattraper. Cela avait ulcéré Veyn, mais il n'avait pas eu son mot à dire.

Les deux frères étaient aussi dissemblables que s'il s'était agi de deux inconnu. Veyn avait pris de leur père son imposante stature, avec ses épaules larges et ses bras musclés, ainsi que son épaisse chevelure brune qui retombait en une épaisse tresse dans son dos. Son imposante mâchoire carrée rendait son visage dur, et ses yeux noirs aussi profond qu'un abîme rendaient son regard insondable. Tarel, quant à lui, était un garçon sec, tout en os et d'une taille avoisinant les deux mètres. Ses longs cheveux blonds étaient tressés simplement, et retenus par un anneau d'argent. La seule ressemblance qu'il partageait avec son père était ses magnifiques yeux d'un bleu incroyablement pur.

La porte s'ouvrit soudain sur un jeune serviteur aux cheveux de jais, qui s'écarta précipitamment pour laisser passer les deux princes. Aux yeux de Tarel, le désordre semblait encore plus cataclysmique de d'accoutumée. Au milieu de ce capharnaüm de cartes, de plantes et de fourrures, le roi Lerric était assis sur un imposant fauteuil, penché sur une lettre tachée d'encre et de ce qui semblait être du sang.

Le roi leva un regard fatigué vers ses deux fils et poussa un profond soupir.

– Mes enfants, j'ai reçu une bien triste nouvelle. Nous avons perdu deux garnisons à la frontière Sud et les armées de Fjorn se sont avancées plus loin dans nos terres.

Tarel ne fut pas surpris de cette nouvelle. Malgré le recrutement massif d'hommes dans les campagnes, les armées royales étaient toujours inférieures à celles de l'ennemi, que ce soit en nombre ou en puissance. Il y avait quelques mois de cela, les premières vouivres étaient apparues. Ces monstres avaient plus ou moins l'aspect de dragons décharnés et éviscérés, et étaient montées par des guerriers noirs maniant des lances si énormes qu'elles pouvaient transpercer un dragon de part. Aucun homme normalement constitué n'aurait été capable de manier des armes pareilles. Les vouivres comme leurs cavaliers n'étaient pas des êtres nés de la nature, mais plutôt d'immondes créations issues des esprits torturés des magiciens de l'ennemi. Ces choses n'étaient pas nombreuses, mais elles étaient terriblement puissantes et une seule vouivre pouvait raser toute une division d'un battement d'ailes.

Dans ces circonstances, les nouvelles de pertes et de défaites arrivaient bien plus nombreuses à la forteresse que les plis rapportant une victoire des armées royales. Et à chaque lettre reçue, le roi semblait de plus en plus affaibli, comme si la perte de ses armées l'affectait directement, lui. Mais cette fois, Tarel trouva son père encore plus abattu que d'habitude.

Le monarque regarda tour à tour ses deux fils, et un sourire abattu se peignit sur son visage.

– J'ai perdu un général et plusieurs capitaines. Nos armées sont en déroute, elles n'ont plus personnes pour les guider. Et personne n'a les compétences pour les remplacer.

Tarel savait ce que son père allait dire avant même que les mots franchissent ses lèvres. Depuis toujours, le jeune prince savait qu'il pourrait être sacrifié à tout moment pour le bien du royaume. Il était juste surpris que cet appel au front ne soit pas survenu plus tôt. Visiblement, Veyn aussi avait deviné ce qu'allait dire le roi, car son regard triomphant se posa sur son frère.

– C'est pourquoi je n'ai pas d'autre choix que de vous envoyer au front. Tous les deux, acheva le roi, toute la tristesse du monde pesant dans ses yeux pâlis par le temps.

Tarel sursauta et jeta un regard à Veyn, qui faillit s'étouffer. Il répéta, incrédule :

– Tous les deux ?

Le roi ne put que hocher la tête.

– Mais c'est une folie ! s'écria Veyn, les joues empourprées de colère mêlée de désespoir. Si vous nous envoyez là-bas tous les deux, et que nous mourrons tous les deux, qui va veiller sur le royaume à votre mort ? Vous n'aurez plus d'héritier !

Le roi s'enfonça dans son fauteuil.

– Ta sœur sera encore là. Je vais lui trouver un mari en qui je puisse avoir confiance, dans le cas où vous ne reviendriez pas de la guerre.

Veyn allait protester, quand le roi leva une main.

– Je sais ce que tu vas dire, mon fils. Mais j'ai étudié toutes les possibilités. Si vous ne vous rendez pas au front, nous perdrons la guerre à coup sûr. Et dans les deux cas, Veyn, tu n'auras aucun royaume sur lequel régner. Vous êtes notre seul espoir. Peut-être parviendrez-vous à remotiver les troupes, et peut-être pourriez-vous à renverser la tendance. Peut-être.

– Et comment deux hommes, tout princes fussent-ils, pourraient renverser le cours d'une guerre ? demanda Veyn, acide.

– Je n'en ai aucune idée, mes enfants. Vraiment aucune.

Et tout le désespoir du monde se lisait dans les yeux du roi, qui envoyait ses deux fils à une mort certaine. Car, il le savait, il n'y avait aucun espoir.


Texte publié par AnnaStone, 20 novembre 2017 à 08h24
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