Le vent balayait la plaine avec force, chantant une douce mélodie aux oreilles de Kye. La jeune fille aux longs cheveux aussi noirs que la nuit se reposait, adossée au mur de l’immense grange. Elle mâchonnait une brindille, ses grands yeux bleus marine perdus dans le vague. Elle avait la peau cuivrée de ceux qui vivent toute l’année dehors, et sa maigreur faisait ressortir l’ossature de sa mâchoire. Ses mains croisées reposaient mollement sur sa tenue de cuir usée par le temps, et deux fois trop grande pour elle. Il s’agissait de tout sauf de l’élégante tenue réservées aux femmes du village. On aurait dit un assemblage de morceaux de peaux trouvés au hasard et cousus à la va-vite avec un fil grossier, mais ce vilain uniforme était indispensable pour le travail de Kye.
Une ombre voila le soleil couchant au-dessus de la jeune fille, qui leva les yeux. Une imposante masse de quatre mètres de long se laissait porter par les vents forts qui soulevaient les cheveux de Kye. Un sourire se dessina sur ses lèvres minces et elle se releva.
– Allez, Spark, tu peux descendre, maintenant. On rentre.
L’énorme bête ailée décrivit de grands cercles en descendant vers l’herbe moelleuse. Il se posa en douceur et replia ses grandes ailes le long de son corps couleur de feu. Spark avait beau mesurer près de deux mètres de haut, il était considéré comme un nain par ses semblables, qui toisaient en général les cinq mètres au garrot. Il était plutôt maigrichon, avec une queue démesurément longue et des ailes qui trainaient mollement au sol quand il était posé. L’animal baissa sa tête triangulaire vers sa maîtresse et la crête molle qui démarrait sur le sommet de sa tête et courrait le long de son dos, jusqu’à sa queue, crépita légèrement. Ses yeux d’ambre jetèrent des éclairs à sa maîtresse, qui l’ignora tout à fait. Kye savait que son dragon n’était jamais aussi à l’aise que dans les airs, et qu’il détestait se déplacer en marchant. La jeune fille se détourna de l’animal et rentra dans la grange. Spark la suivit, agitant ses pattes courtaudes en essayant de ne pas marcher sur ses ailes pendantes.
L’édifice était d’une taille impressionnante, tout en bois, se détachant très nettement dans la plaine rase. A l’intérieur, il faisait une chaleur étouffante, malgré l’heure tardive et l’atmosphère fraiche du dehors. La plupart des immenses stalles étaient vides et l’ambiance était beaucoup plus calme qu’à l’accoutumée. Au centre du large couloir, un jeune garçon, un peu plus âgé de Kye, passait mollement le balai. Il avait des cheveux blonds qui retombaient continuellement dans ses yeux aussi bleus que ceux de le jeune fille. Il était grand et maigre, et son visage n’était pas vraiment gracieux. Des poils filasses lui tenaient lieu de barbe, et son sourire tordu, ainsi que ses grandes oreilles faisaient rire les enfants. Kye s’approcha à grands pas de lui, et il releva lentement la tête, alerté par le bruit. Il s’arrêta et adressa un sourire à sa sœur.
– J’ai presque fini, Kye, dit-il avec lenteur.
Il donna encore quelques coups de balai sur le sol puis posa son outil contre le mur et regarda sa sœur avec de grands yeux inexpressifs. Saar avait toujours été moqué par les enfants du village à cause de son handicap. Les gens disaient de lui qu’il était simplet, et cela s’arrêtait là. On ne le considérait pas vraiment comme un humain, mais plutôt comme un chiot galeux que l’on tolère par habitude. Kye avait appris à ne plus écouter les ragots et les messes basses derrière son dos. Son frère était tel qu’il était, et elle vivait avec. D’autant qu’il était doué avec les dragons de la ferme et qu’il mettait tout son cœur dans son travail. Cela suffisait amplement à la jeune fille. Il s’occupait de ranger la grange, de donner à manger aux bêtes et préparait les pansements quand ils avaient besoin d’être soignés, tandis qu’elle avait pour rôle d’entraîner les jeunes pour qu’ils soient de bonnes montures pour les guerriers, et de prodiguer les soins aux bêtes malades.
La jeune fille fit le tour des stalles occupées, – cinq seulement – apporta un énorme quartier de viande à chacune des bêtes, avant de s’éloigner. Elle referma la porte derrière elle et la verrouilla.
De retour chez elle, elle laissa Spark vaquer à ses occupations et rentra, accompagnée de Saar. Dans l’unique pièce du rez-de-chaussée, leur père réparait une vieille selle miteuse.
– Bonsoir, père, saluèrent les deux jeunes en s’asseyant chacun d’un côté de la table.
Meren répondit par un grognement, concentré sur son travail. Le vieil homme avait de longs cheveux gris qui retombaient en une tresse dans son dos. Ses mains osseuses et calleuses étaient aussi rêches que le vieux cuir qu’il travaillait. Ses yeux bleus, comme ceux de ses enfants, avaient perdu leur éclat vif d’autrefois, et il ne voyait plus grand-chose. Pourtant, malgré cela, et malgré la jambe qu’il avait perdue au front, il continuait à exercer son métier. Bien sûr, il n’avait plus la force de s’occuper des dragons, mais il avait une confiance absolue en sa fille pour qu’elle s’en charge à sa place. D’autant plus qu’en ce moment, elle ne croulait pas sous le travail. Presque tous les dragons avaient été réquisitionnés pour le front, y compris les dragonnes pondeuses et les jeunes à peine dressés. Seuls les blessés et les malades restaient.
Et Frens. Sa dragonne. Celle qui avait quasiment élevé Kye, quand sa mère était morte en couche. L’animal était tellement vieux qu’il ne pouvait plus être monté par qui que ce soit, et de toute façon, elle n’aurait obéi à personne d’autre qu’à un membre de la famille. Meren finit par lever les yeux de sa selle et adressa un sourire à ses enfants.
– Vous devez avoir faim, dit-il en se levant avec difficulté. Je crois qu’il nous reste de la viande. Mangez un bout et allez vous coucher. Des soldats viennent demain, ils nous amènent des dragons blessés. Vous allez avoir une dure journée.
Les deux jeunes prirent chacun un bout de viande et du pain dur, engloutirent le tout et montèrent se coucher dans la chambre qu’ils partageaient. Il y avait un trou dans le plafond, par lequel on pouvait voir le ciel qui s’assombrissait. Kye s’installa dans son lit, remonta les couvertures jusqu’à son cou et regarda par le trou. Un vacarme retentit soudain, et le toit craqua. Un mufle rouge orangé apparut alors, soufflant de l’air chaud.
– Bonne nuit, mon Spark, dit Kye avec un sourire. Fait de beaux rêves. Toi aussi Saar.
Mais son frère ne répondit pas, déjà endormi. Spark retira son nez du trou et s’allongea. La peau écailleuse de son ventre cacha le ciel, mais diffusa une douce chaleur dans la chambre des deux jeunes. Kye se tourna dans son lit et s’endormit aussitôt.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2778 histoires publiées 1267 membres inscrits Notre membre le plus récent est JeanAlbert |