Dans sa chambre richement éclairée par des lampes à huile, le roi Lerric II faisait les cent pas. De sa main noueuse, il caressait son épaisse barbe grisonnante. Un murmure incompréhensible s’échappait de ses lèvres asséchées, et ses yeux d’un bleu pâle se posaient sur le mobilier luxueux sans vraiment le voir. Il tenait un rapport envoyé par un de ses généraux du front. Les armées du Duc de Fjorn avaient encore gagné du terrain, semant mort et désolation parmi l’armée royale.
L’enfoiré !
Lerric serra le poing, froissant le papier, et s’approcha de la table, presque invisible sous la quantité impressionnante d’ouvrages qui la recouvrait. Le roi tira la chaise et s’y laissa tomber lourdement, la faisant grincer. Il posa négligemment son papier sur la montagne de rapports semblables.
La guerre durait depuis plus de deux ans déjà, et la défaite de l’armée royale semblait de plus en plus proche. Les volontaires n’étaient pas assez nombreux, et Lerric s’était toujours refusé à enrôler de force le petit peuple. Ce dont, pourtant, le Duc ne se privait pas. Cette enflure avait plus d’hommes, plus d’armes, et certains des meilleurs mages du royaume avaient décidé de se rallier à sa stupide rébellion. La seule raison pour laquelle il n’avait pas encore rasé la capitale et embroché la tête de Lerric sur une pique était qu’il ne disposait pas de l’arme la plus importante du royaume : les dragons. Mais le roi savait que cette situation ne durerait pas. Les mages du Duc travaillaient actuellement à créer une espèce capable de terrasser tous les dragons du roi.
Lerric frappa du poing sur la table. Cela ne pouvait pas se passer ainsi ! Le royaume avait prospéré pendant des années et des années dans la paix et l’opulence, et voilà que cette raclure, ce bâtard, montait une rébellion sur le poing de renverser le trône. C’était hors de question !
Un grognement s’échappa des lèvres de Lerric, et il s’affaissa contre le dossier de sa chaise. Le monde était au bord du gouffre, et il ne savait pas quoi faire pour l’empêcher de sombrer.
Ses yeux se posèrent alors sur le dernier tiroir de son bureau. Il hésita un instant avant de l’ouvrir, mais finit par tirer la poignée. Le compartiment glissa doucement, révélant un étui de cuir craquelé. Lerric s’en empara et l’ouvrit. A l’intérieur se trouvait un morceau de parchemin écrit il y avait des milliers d’années de cela. Il le déroula avec toute la délicatesse du monde et relut les quelques lignes qu’il avait déjà parcourues tant de fois.
« Quand le monde vacillera, un enfant naîtra parmi les flammes.
Cette naissance sauvera le monde,
Mais le sang sera versé, pour que l’humanité soit sauvée ».
Lerric se redressa. Bien des enfants du feu étaient nés, au cours de l’histoire, et ils avaient accompli de nombreux miracles. Il y avait toujours eu un prix à payer, et les rois l’avaient toujours accepté. Lerric aurait fait de même, si seulement un sauveur était né sous son règne. Mais ce n’avait pas été le cas.
Las, le roi attrapa un morceau de parchemin, et trempa une plume d’oie dans son encrier. Il n’avait plus le choix, à présent. Trop longtemps, il avait espéré que l’enfant des flammes vienne à lui. Mais c’était trop tard. Il manquait d’hommes, et il devait en trouver. Alors, il se mit à écrire, et chaque goutte d’encre versée lui transperçait le cœur. Son peuple allait souffrir, et peut être que cela ne servirait à rien. Mais il fallait essayer, puisque les dieux l’avaient abandonné.
Il finit par poser sa plume, et apposa son sceau sur le parchemin.
Dès le lendemain, les émissaires battirent la campagne et tirèrent tous les jeunes garçons de leur logis pour les pousser de force vers une guerre qu’ils n’avaient pas demandée.
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