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La jeune fille se trouvait au centre de la salle de classe assombrie par la nuit tombée. Les quatre lanternes accrochées aux murs de bois usé et craquelé résistaient faiblement aux morsures nocturnes et mouraient lentement.

Les chuchotements des autres faisaient battre son cœur à tout rompre, déversant dans ses tempes une douleur insupportable. Bientôt, elle le savait, le petit garçon apparaitrait et recommencerait sa plainte qu’elle n’avait que trop entendue.

Elle était prisonnière, retenue dans ses rêves par la volonté d’un esprit torturé. Il lui était impossible de comprendre ses paroles et probablement ne le voulait-elle pas.

Les yeux clos dans un monde imaginaire qui la soumettait à une torture devenue la terreur de ses nuits, elle espérait tant bien que mal briser cette spirale infernale. N’avait-on jamais évoqué la possibilité de rêver dans un rêve ? Et si cela était possible, en serait-elle capable ?

Les semelles des baskets trainaient bruyamment sur les lames de parquet entamé par l’humidité, la tirant de force de sa position catatonique. Elle entrouvrit les paupières et comprit qu’il n’était pas aussi loin qu’elle l’espérait. Sournoisement, l’ombre sur le sol se glissa sur ses chaussures et s’immobilisa.

« Éliane, aide-moi… », souffla le gamin au visage meurtri.

La sensation qu’avait provoquée cette simple phrase était indescriptible, mais elle s’aventura à le regarder dans les yeux. L’aspect bleuté de sa peau rendue froide par la mort oscillait entre différentes teintes de cette couleur qu’elle ne pouvait plus supporter. Les larmes figées sur ses joues pâles traçaient ses sillons brillants qu’Éliane connaissait déjà.

« Tu sais où ils sont ? » tenta de nouveau le môme, immobile devant elle.

Elle réprima un haut-le-cœur et souffla de façon excessive afin de reprendre le contrôle de son corps et de ses pensées. Pour la première depuis que ses rêves s’étaient transformés en cauchemars, elle venait de trouver une issue possible.

Le visage du gamin était d’un bleu très pâle, presque livide et qui contrastait avec les sourcils noirs surmontant les perles blanchies et vitreuses de ses yeux éteints. Cette vision était morbide et Éliane n’avait jamais été confrontée à la mort d’aussi prêt avant cela.

« Qui… débuta-t-elle maladroitement, qui cherches-tu ? bredouilla la jeune fille.

— Papa, maman ? répondit innocemment le garçonnet.

— Comment s’appellent-ils ?

— Les autres ne sont plus loin, j’ai peur qu’ils me ramènent encore là-bas ! » pleurnicha-t-il.

L’espace d’un instant, il redevint ce petit bonhomme à la peau rose et au regard vert tenu de sa mère qu’il fut jadis. Éliane du haut de ses douze ans n’avait jamais eu de frère ou de sœur, mais sentait le besoin de protéger l’apparition fantomatique.

L’aspect repoussant qu’il avait pris tout d’abord à ses yeux s’estompa davantage pour laisser place à sa véritable apparence.

La jeune fille se leva et l’enserra de ses bras quand la porte de la salle s’ouvrit dans un grincement morbide. Paniquée, elle chercha un moyen d’échapper à ces autres, mais aucune issue ne semblait s’offrir à elle.

Les murmures se firent insistants et les dernières lueurs de la lune qui éclairaient la pièce disparurent lentement. La peur la gagnait de nouveau et elle se laissa aller à fermer les yeux sur ce monde qui n’était que ténèbres et peurs enfantines.

Les chuchotements s’effacèrent à mesure que le temps passait et la gamine se retrouva dans un endroit plus familier. L’odeur du linge de sa chambre parfumé à la fraise la ramena à la réalité alors qu’elle se trouvait debout à côté de son lit dont les draps avaient été tirés au sol pendant son sommeil.

Le petit garçon se tenait toujours à côté d’elle, le regard mouillé par des larmes dont il était incapable de se débarrasser, mais rassuré par une ambiance plus douce. La veilleuse branchée sur la prise à l’entrée de sa chambre imprimait sur le mur des ombres aux contours rassurants des peluches entassées sur la commode.

« Tout va bien se passer maintenant. » murmura-t-elle, apaisée par la proximité d’objets familiers.

Le môme sécha ses larmes et s’écarta lentement de son emprise. Son visage était passé par différentes expressions jusqu’à obtenir un faciès qu’elle ne semblait pas reconnaître ronger par une peur grandissante.

« Non, ils arrivent Éliane, ils vont venir te chercher… Ils avaient promis que si tu m’aidais, ils laisseraient mes parents s’en aller ! » déclara-t-il en comprenant l’enjeu de la supercherie.

Ses blessures avaient totalement disparu et si elle n’avait pas été certaine qu’il s’agissait d’un esprit errant, elle aurait pensé qu’un inconnu s’était introduit dans la demeure familiale.

« Tu es la clé, murmura une voix dans le noir. La porte a été ouverte, car c’est ainsi qu’il doit en être ! »

Le garçonnet disparut dans une lumière qu’il était le seul à apercevoir et Éliane se trouva de nouveau seule au milieu de sa chambre… Le silence s’imposa à nouveau.

Manipuler le destin d’êtres désincarnés était quelque chose d’essentiel d’après sa mère pour qui aucune âme égarée en chemin ne méritait de demeurer dans le néant pour l’éternité.

Lentement l’incertitude la gagna, persuadée que quelque chose d’affreux viendrait pendant la nuit pour se venger. Éliane se jeta sur son lit et remonta péniblement la couette jusqu’à ses genoux au creux desquels elle dissimula son visage. Les minutes défilèrent et, fatiguée par l’affrontement singulier dont elle venait de vivre sa première expérience, la jeune fille sombra dans un sommeil sans rêves…


Texte publié par Théâs, 29 octobre 2017 à 17h44
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