La première fois que j'ai visité cette maison, elle m'a ensorcelée. Enfin, je crois... Quand j'y suis entré, j'ai ressenti quelque chose d'étrange. Bien sûr, cette maison est belle, elle a un certain âge et même si son bois est vermoulu par endroit, on devine encore les sculptures qui furent peintes autrefois. En certains endroits, de la peinture subsiste et elle me laisse entrevoir ce qu'elle fut autrefois. J'aime caresser le bois lissé par le temps, un peu luisant comme s'il était verni. Je cherchais depuis longtemps une maison pour y habiter et pour écrire les histoires que j'avais en tête, une maison qui m'inspirerait et avec un grand jardin dans lequel j'irais me promener chaque fois que l'envie m'en prendrait, un lieu au calme pour travailler comme j'en ai toujours rêvé, loin de l'agitation des grandes villes dans un anonymat bienvenu.
Puis j'ai découvert que des esprits hantent les lieux. Souvent le soir, ils sont agités mais ce soir, c'est pire que jamais. Je les sens jour et nuit errer dans la maison. Lorsque j'entre dans une pièce, un courant d'air ou la sensation d'être observé me rappelle que je ne suis pas seul dans cette grande demeure. Le voile entre les mondes s'amincit en cette nuit particulière et je crois que venues du néant, des forces obscures s'agitent.
Je suis arrivé il y a deux mois maintenant et si j'ai senti des regards invisibles peser sur moi à plusieurs reprises ou si j'ai entendu du bruit notamment en pleine nuit, je ne me suis pas senti menacé ou en danger jusqu'ici. Mais depuis quelques semaines, les phénomènes se sont amplifiés. De plus en plus souvent, des coups se font entendre dans les murs de jour comme de nuit sans que je parvienne à en déterminer la provenance. A de nombreuses reprises, des objets sont tombés alors que j'étais dans une autre pièce ; lorsque je rentrais dans la pièce auparavant rangée, je trouvais des livres, des vêtements, de la vaisselle et tout ce que l'on peut imaginer à terre que je rangeais sans rien dire. Au début, je me suis dit que j'avais mis les objets en équilibre instable et qu'ils avaient chuté par ma faute, je sais combien je peux être distrait lorsqu'une histoire emplit ma tête et que j'avais rêvé les coups. Mais au fil des jours, j'ai dû me rendre à l'évidence, je n'étais en rien responsable de ces désagréments.
Je commençais à voir arriver avec angoisse le jour des morts durant lequel le voile entre les mondes s'amincit jusqu'à leur permettre de se rencontrer et de fusionner par endroit. On m'a dit que les enfants du coin ont l'habitude de soigneusement évider un navet, d'y découper un visage diabolique avant d'y glisser une bougie allumée pour éloigner les esprits en la nuit de samhain. J'avoue que j'ai pris peur à l'idée de me retrouver seul dans cette grande maison avec les esprits que je sens agités à l'approche de cette nuit si particulière. J'ai acheté navets, grosses pommes de terre, petites courges que j'ai soigneusement évidées avant d'y placer des bougies. J'ai fait un stock suffisant pour tenir toute la nuit et avec l'intérieur des légumes, j'ai fait une soupe revigorante. Je suis volontiers superstitieux mais je me suis senti ridicule et j'ai failli renoncer à plusieurs reprises alors que mes doigts douloureux creusaient les légumes les uns après les autres en gardant un œil sur la course imperturbable de l'aiguille des heures sur le cadran de l'horloge de la vaste cuisine.
Alors que la nuit tombe, je me retrouve entouré de figures grimaçantes qui semblent inspecter les ombres alentour au travers des carreaux des fenêtres. Je regrette de ne pas avoir de lumière extérieure même si je sais que c'est inutile. J'ai de très nombreuses fenêtres extérieures et je fais de nombreuses tournées d'inspection pour m'assurer qu'aucune bougie ne s'est éteinte ou n'est épuisée. Mon stock de bougies n'est pas éternel, je dois tenir jusqu'à l'aube ; ensuite, je partirai loin d'ici en espérant que les choses qui m'assaillent ne me suivront pas. Bien sûr, cela peut sembler étrange de repousser les esprits de l'intérieur mais j'ai le sentiment qu'ils sont sortis, je ne les ai pas entendus de la journée ni même senti leur présence. Je crois que c'est la première fois que cela m'arrive depuis mon emménagement dans cette maison. Au fond de moi, je suis convaincu qu'ils sont partis en quête de renfort, il me paraît dangereux de sortir en pleine nuit de samhain mais je ne peux rester ici. Tant pis, j'affronterai la nuit, les voisins ne sont pas bien loin. J'espère qu'ils sont chez eux et que ma lanterne repoussera les ombres. J'ai mis trop de temps à réagir, j'ai cru que je rêvais puis que les ombres étaient inoffensives car j'ai voulu croire que les entités surnaturelles ne s'attaquent pas aux vivants mais ces derniers temps, je me suis réveillé les bras et les jambes avec des traces de griffures et de morsures faites avec de minuscules dents pointues. J'espère qu'en atteignant la grille de la propriété, le verrou ne sera pas récalcitrant et que les ombres ne franchiront pas les limites de la propriété. Je prendrai une neepy candle avec moi pour me protéger, j'espère qu'elle ne s'éteindra pas, que je ne glisserai pas dans la boue et dans l'herbe et que je sortirai vivant de toute cette histoire. Ensuite, je l'écrirai pour exorciser ces souvenirs et je publierai ces mémoires pour que le grand public sache que cette maison est maudite et ne s'en approche pas. Je ne la vendrai jamais et je ne m'y rendrai jamais plus. La maison pourrira lentement au fil des ans. J'ai bien songé à y mettre le feu mais j'ai peur que les ombres ne me tuent pour cela. L'endroit est humide, la maison ancienne, j'espère qu'elle pourrira rapidement dans ce lieu plein de marais et de verdure.
« L'écrivain à succès, Steve Ring vient de publier son dernier ouvrage : « Ombres nocturnes » qui comme l'indique la préface se base sur une expérience paranormale vécue la nuit d'halloween, l'an dernier. Il a raconté avoir dû affronter des ombres durant cette nuit où le voile entre les mondes s'amincit et n'avoir dû son salut qu'aux bougies qu'il avait allumé un peu partout dans la demeure. Il a fort heureusement pu fuir la maison protégé par la flamme de la dernière bougie n'emportant que son journal intime avec lui. Il raconte avoir utilisé tous les combustibles qu'il a pu trouver en chemin, feuilles mortes et bouts de bois pour maintenir la flamme jusqu'à l'aube. Puis le matin venu, il a marché une bonne partie de la journée jusqu'à trouver une maison habitée d'où il a appelé un de ses amis qui est venu le chercher. Malheureusement, la maison a brûlé le lendemain de la terrible nuit et l'auteur avoue y avoir mis le feu avant de faire venir un exorciste. Il vient d'achever la construction d'une nouvelle maison sur les lieux, il assure qu'il n'y a plus aucun danger et que ce lieu restera toujours pour lui une source d'inspiration majeure par sa beauté et son intemporalité».
L'écrivain pose le journal sur la table et il s'empare du ciseau avant de découper puis de coller soigneusement la coupure de journaux dans son cahier. Il le feuillette rêveusement, se remémorant sa carrière fulgurante avant de regarder le jardin et de laisser les souvenirs de cette terrible nuit l'envahir. Par la fenêtre de son bureau, il voit le carré noirci où l'herbe n'a jamais repoussé à l'emplacement de son ancienne maison, il sait tout au fond de lui que les ombres ne reviendront pas la prochaine nuit de samhain et c'est en chantonnant qu'il se lève pour aller se promener dans le vaste jardin, un carnet à la main.
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