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La Croisière de l’Homme aux Yeux de Jack
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Que t’ai-je dit, petit papillon de nuit ? Souviens-toi de mes paroles lorsque tu as pris sur ce bateau qui, désormais, t’emporte au fil de l’eau. N’est-ce pas ce que tu as souhaité de tout cœur déchu : croisé ce démon qui dit on frappe toujours quand l’horloge se fige à minuit.

Oh, tu m’en vois fort marri, car ce n’est pas ainsi que tu échapperas à mes griffes. Contemple donc tes semblables qui, comme toi, ont désiré me voir. J’ai volé leur regard, j’ai ravi leurs pouvoirs. Toutes ont cru qu’elles pourraient s’échapper dans le soir, à la faveur du noir. À présent que tu es là, pourquoi ne profiterais-tu pas des derniers instants, avant que tu ne passes de vie à trépas, pour m’accompagner dans ma tournée des bars, à moins que tu ne préfères achever ta vie au fil de cette eau chargée de désespoir ?

Comment ! Tu n’oses pas. Je ne te comprends pas. Prends-moi donc la main, que je m’attache à toi. Je serai ton guide et bourreau pour ce soir, puisque cette croisière sera la dernière.

Pensais-tu qu’il serait si simple de me surprendre ? Donne-moi cette courte lame que tu dissimules dans ta manche et accorde-moi cette danse. Je t’emmènerai ainsi jusqu’à mes compagnons de minuit, démons et autres ombres cachés dans les murs. N’entends-tu point leurs murmures ? Ce sont eux qui susurrent à l’oreille des morts, eux chuchotent à l’oreille des vivants. Qu’ils vous tourmentent, qu’ils vous hantent, ils ne sont que les refoulements de vos consciences. Que suis-je alors, sinon le fruit vénéneux de vos enchantements ?

Enfin pourquoi porter ce regard sur ma personne ? Quelque chose vous étonne ? Sont-ce mes lorgnons de verre et d’argent qui vous dérobe un regard que vous pensez tendre ? Désirez-vous à ce point que je vous mette à mort, alors même que notre croisière commence ? Vous n’êtes pas comme tous ces spectres qui hantent cette cité qui n’est belle que la nuit, lorsque vos usines de mort dorment. N’avez-vous point pris le temps de vous promener sur les hauteurs, lorsque toute la populace dort ? Vous n’imaginez pas quels trésors se nichent dans cette ville enlaidie par les vices et les cupides. Hélas, que je suis triste, car toutes ces filles qui le matin se découvrent en fleur de lys ignorent sous les coups de quel bourreau elles auront péri ! Elles sont mes petites chéries et je révèle au monde la beauté de leur chair à vif, lorsque je les cueille dans leur âge le plus tendre. Et pourtant lorsque je te contemple ma main hésite.

Ah ! Détourne de moi ce regard et contemplons à la place les étoiles, il est si rare qu’elles soient si belles dans ce noir. Non ? Pourquoi non ? Es-tu à ce point folle ou téméraire pour désirer à ce point découvrir ce que d’aucuns nomment les yeux du Diable, les yeux de Jack ? Enfin, n’entends-tu point que c’est la mort qui t’attend au bout de ce chemin qui s’achèvera lorsque nous aurons franchi ce dernier pont que tu aperçois à l’horizon ? Pourquoi à ce point vouloir forcer ton destin ? Pourquoi être monté sur ce navire maudit qui abrite en son sein le fruit pourri que je suis ?

Ôte, femelle, les mains de mon visage ou il t’en cuira ! Jamais je n’ai entendu chanter autant ma lame. Elle hurle ta mise à mort et moi je la retiens, alors même qu’il me tarde de faire de toi l’une de ses nouvelles fleurs, que je sème la nuit dans la ville endormie. Viens plutôt avec moi admirer les couleurs de la nuit et cesse de vouloir t’approprier ce que jamais tu n’auras à ta portée. Il n’est plus que peu de temps avant minuit.

As-tu des regrets, car je vois perler à ton visage des larmes d’argent ? Ou est-ce ta manière de me signifier ta colère de ne pas vouloir exaucer ton souhait ? Ma lame hurle et moi je refuse, car je ne tue que ceux qui me résistent, non ceux qui subissent. Tu te soumets ? Mais c’est moi qui soumets ! Ah, pourquoi ai-je accepté de te prendre sur ce navire dont je suis seul capitaine et maître, après moi-même, à bord ? Va-t’en ! Fuis ma présence pendant qu’il est encore temps ! Avant, que je ne chante et que je ne me régale de ton tourment ! Avant que je ne te dévore de mes yeux d’argent !

Tu ne me quittes pas ! Tu ne me supplies pas ! Es-tu sotte ou inconsciente ? Quelle folie t’emplit au point de tendre encore une fois les mains vers ces verres qui te dissimulent mon secret le plus cher ? Et pourtant tu t’entêtes et moi j’accepte ! À ta guise, mon petit papillon de nuit. Mais je t’aurai mise en garde. Mes doigts me démangent de fourailler dans tes entrailles et ma lame réclame son tribu sanglant.

À présent que je les ouvre, contemple-les donc, mes yeux d’argent dont la vue comble tous les manants. Ainsi as-tu choisi le chemin qui conduira à ta mort ? Hélas, je ne le puis, petit oiseau de nuit. Je ne puis répondre à ton appel de cette manière. Cependant, il en est une autre, si tu acceptes, car je suis maître et capitaine, après moi-même. La voie que je t’offre sera semée de visions et de tentations, de passions et de déraisons où la vie et la mort se mélangeront.


Texte publié par Diogene, 30 septembre 2017 à 19h36
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