« Ton objectif est le chantier de la tour nord.

— C’est toujours à moi de m’y coller !

— On envoie les meilleurs sur les missions les plus difficiles. Les autres…

— Ouais, c’est ça… »

Carlotta avait la peau brune et le regard rieur que ses joues amples étiraient plus que de raison. Pourtant, ce jour-là, elle n’avait pas eu envie de plaisanter avec le spécimen qui se débattait dans la combinaison de plongée rigide. L’armure Exo-M* était un bijou de technologie de l’entreprise et elle trouvait que mettre cet énergumène dedans relevait de la pure connerie.

« Tu m’entends Jones ?

— J’ai le choix ?

— Contente-toi d’un oui, m’dame. »

Robert Jones de son nom complet était un sombre idiot que la vie portait de menus travaux en contrats précaires depuis des années. Mais s’il fallait lui reconnaître une qualité, c’était bien celle de toucher sa bille dans la soudure et son expérience dans la construction sous-marine était un atout que le constructeur avait su repérer chez lui.

Carlotta n’avait que faire de son Curriculum Vitae, elle préférait de loin se fier au travail qui était fait sous son commandement qu’elle voulait juste et revendiquait ferme.

« Contrôle du protocole, dit-elle sans amabilité.

— Tout est okay. »

Le plongeur empoté dans sa combinaison de métal et d’alliage était assis au bord de la piscine de plongée, les deux pieds dans l’eau.

« Régulation thermique en cours. Quand je te le dirais tu… »

Un plouf plus tard, la gardienne des lieux fit volte-face pour s’apercevoir que l’idiot du village avait déjà sauté dans l’eau douce du lac. Grommelant tout son soul, elle activa la communication par radio :

« Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi, Jones ?

— Rilaaaaaaax Carla. Je suis habitué !

— Et tu décides de sauter le protocole de contrôle parce que tu as sans doute été nommé responsable sans que j’en sois informé, c’est ça ? Laisse-moi rire. »

Elle soupira, à mi-chemin entre exaspération et crise de nerfs.

« Abruti. » vociféra-t-elle en gardant le canal de communication volontairement ouvert.

Dans l’eau, la noirceur s’était très largement emparée du fond du lac et seul l’amas rocheux monumental qui accueillait la base des trois tours du complexe semblait s’échapper d’un abysse insondable.

La construction était récente et aucune algue n’avait encore trouvé prise sur les parois d’acier et de verre qui semblaient s’élever des profondeurs de la terre.

Une fois à bonne distance du lagon (et de Carlotta), Robert déclencha la propulsion sonique de l’armure, une technologie remarquable qui était capable de faire naviguer le plongeur bien plus vite que tous les propulseurs individuels standards.

« J’y suis Carlotta.

— Trouve la colonne B-38 et ferme manuellement la valve.

— Très bien, chérie ! »

Robert avait pour ambition de faire sortir la responsable de l’équipe technique de ses gonds au moins une fois par semaine pour entretenir – ce qu’il appelait affectueusement, leur saine relation.

« Quand t’auras fini de jouer les marioles, termine ton boulot correctement cette fois. M’oblige pas à t’y renvoyer une troisième fois.

— Bien m’dame. »

Dans ses petits souliers pour le reste de la manœuvre, Robert fit comme si de rien n’était et se concentra sur son travail. Il n’aimait pas se trouver là en réalité. La noirceur l’effrayait, même s’il ne voulait pas l’admettre.

Sa besogne accomplie, il plia bagage dans le sens inverse et s’imagina déjà quel coup il pourrait faire à sa cheftaine préférée.

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* Armure Exo-M : armure de plongée élaborée par Marakov Military Props en 2010 ; elle possède un noyau d’alimentation individuel et une capacité d’oxygène de plusieurs heures. Sa capacité de résistance à la pression la rend presque indispensable dans les opérations nécessitées par la construction du complexe.