Adalind entre dans son jardin favori. La journée ne saurait être plus belle depuis que l’échographe lui a annoncé que l’enfant qu’elle porte est une fille. Bien sûr, elle aurait aimé un garçon aussi bien mais une fille c’est particulier. Elle se dit qu’elle aura plus de facilité à la comprendre surtout qu’elle est seule pour l’élever. Elle ne veut pas s'appesantir sur cette question épineuse. Elle pourrait aisément faire basculer son moral. C’est son plus gros problème à Adalind, elle est sujette à des émotions bien trop disproportionnées !

La futur mère vagabonde dans le vaste jardin allant de la roseraie aux imposantes fontaines. Elle aime ce parc plus que tous les autres car elle y a vécu beaucoup de rencontres importantes : comme le père de sa fille. Leur histoire était belle et digne des contes de fées. Pourtant les émotions d’Adalind l’ont fait fuir. Encore une pensée dangereuse, la jeune femme ne doit pas laisser ses pensées s’aventurer ainsi. Pour couper court aux souvenirs néfastes, elle s’assoit devant la volière. Elle s’imagine dans quelques années avec sa fille, toutes deux admirant le plumage coloré des oiseaux ! Elle a tellement hâte. Elles seront heureuse toutes les deux. Le reste du monde n’importera plus, ni les médecins, ni les remarques dures de “ses” amis. Eux qui sont tellement convaincu que avoir cette enfant est hors de sa portée. Elle leur prouvera le contraire. Le débordement n’est pas loin. Regarder les oiseaux, respirer profondément et marcher encore sans s’arrêter !

Les passants jettent un regard curieux à cette jeune femme fébrile. Elle est déjà à son cinquième tours du jardin. Plusieurs personnes sont tentées de lui demander si elle va bien, mais son regard farouche les en dissuade. Alors, ils reprennent leur promenade dans le jardin.

Adalind voit bien les yeux scrutateurs des gens sur sa personne, elle ne comprend pas ce qu’ils pourraient lui vouloir. Surtout ceux qui s’approchent et finalement s’en vont avant d’avoir prononcé un mot ! Les gens sont étranges. Peu importe, elle continue de marcher, sans ça ses pensées vont reprendre le dessus. Les médecins lui ont interdit de trop réfléchir. D’ailleurs, tous les jours, elle doit prendre des petites pilules roses qui font se sentir bien et qui stoppent ou ralentissent le flux d’idées produites par son cerveau. Mais aujourd’hui, elle avait rendez-vous pour le bébé, elle voulait être en état d’entendre et de comprendre l’échographe donc elle a seulement fait croire avoir pris ses pilules. C’est pour ça que son esprit est de plus en plus entrain de tournoyer et de lui rappeler des choses. Plus les tours de jardin s’accumulent, plus elle se rapproche de cette partie de sa mémoire totalement interdite. Depuis le temps, elle veut savoir ce qu’elle se cache à elle-même.

Adalind consulte sa montre, le jardin va bientôt fermer. Sauf qu’elle n’a pas envie de partir. Elle veut le voir de nuit ! La jeune femme décide alors de se cacher dans un endroit prohibé : la grotte du jardin, dans laquelle enfant, elle avait le droit de jouer. Rapidement, elle s’y rend et escalade malgré son ventre arrondi la grille défendant l’entrée. Elle pouffe de rire en parlant à son ventre : “ tu as vu, on s’amuse déjà comme des folles toutes les deux”. Maintenant, il faut attendre ! Le temps passe au ralenti lorsque Adalind se remémore les jeux dans cette grotte. Elle adorait la cascade dans le fond et l’eau qui courait entre chaque grosse pierre pavant le sol. C’était bien de pouvoir patauger en écoutant la cascade. La fillette, qu’elle était à l’époque, se rappelle le chagrin éprouvé en découvrant son aire de jeux favorie fermée.

L’heure de fermeture est passée de plus d’une demi-heure, Adalind s’aventure hors de sa cachette. Le soleil descend doucement derrière les arbres. C’est très joli, mais aussi inquiétant. La température commence à baisser, les odeurs ressortent toujours à ce moment là ! L’intruse se dirige vers la roseraie, elle voudrait sentir le parfum des roses, le soir venu. Elle s’arrête sur le trajet, il y a quelqu’un d’autre dans le parc ? Son regard scrute les ombres sans rien y voir de particulier. Une fois à la roseraie, elle prend le temps de sentir toutes les fleurs une par une. Tant qu’elle est concentrée sur cette tâche, elle ne prend pas conscience de ce qui se passe dans sa tête. Puis une odeur plus forte qu’une autre fait tomber toutes les barrières même celles que les hommes avaient dressé pour elle. Elle se souvient de la terrible vérité: le père de son enfant n’était pas un homme normal mais un monstre. Le pouls d’Adalind s’accélère, la panique la submerge tel un tsunami . Il possédait une forme humaine pour cacher sa nature monstrueuse. Elle sent les remparts qui cèdent. Elle commence à hurler. Plus les images affluent plus ses cordes vocales se brisent ! Personne ne l’avait cru lorsqu’elle avait raconté, terrifiée l’apparition d’une tête reptilienne avec une bouche remplie de grandes dents effilées d’où une langue fourchue avait jailli. Adalind s’époumone et répète encore et encore : “ Ne me tue pas ! Penses à notre fille !”

Des cris viennent du jardin de l’église St M., un passant appelle la police pour signaler l’intrusion. Quelques minutes, les policiers font irruptions dans le jardin. Guidés les cris, ils accourent auprès de la jeune femme qui pousse des cris stridents. Ils s’avancent vers elle.

Adalind, terrorisée, voit les hommes à la tête de serpent s’approcher. Elle ne rêve pas, ils sont là et l’empoignent. Nul ne parvient à la calmer ! Les psychiatres sont appelés en renfort et la jeune femme dont la crise d’hystérie diminue petit à petit, est emmenée. Elle restera enfermée tout ça va malgré les doutes de son médecin. Il jure avoir vu une tête de serpent lui aussi, il a aussi entendu un policier dire à son coéquipier :

T’inquiètes, elle a déjà un dossier à l’asile !! Personne ne la croira jamais. Notre identité d’Aswang est sauve ! Cela dit son ventre m’a ouvert l’appétit !