«

À l’horizon, le soleil étirait ses derniers rayons.

– Dis-moi Amaël. Comment t’y es-tu pris pour tromper le Diable ?

Ce dernier esquissa un sourire un peu triste et sortit de son sac la pipe en bois qui aussitôt se métamorphosa en renard.

– Je suis fier de toi, Amaël. Ce fut une ruse dangereuse, mais elle a réussi à merveille.

– En effet, murmura ce dernier. Maintenant, j’ai une promesse à honorer.

– Anaïs, chuchota Judicaëlle d’une voix émue.

Amaël acquiesça et glissa sa main dans la sienne.

– Oui… Nous aideras-tu, maître en toutes ruses ?

– Bien sûr ! s’exclama-t-il. Je ne me suis jamais autant amusé, alors je peux bien vous accompagner.

Dans la forêt, Amaël et Judicaëlle marchaient, main dans la main. Enfin, ils arrivèrent devant une clairière où coulait une rivière et y dressèrent un bûcher funéraire. Dessus reposait la dépouille de la vieille camériste qu’ils avaient retrouvée au pied d’un chêne à demi enseveli.

– C’est à toi qu’il revient de le faire, murmura le jeune homme en tendant le flambeau à sa belle.

– Me confieras-tu enfin ? lui glissa-t-elle tandis que le feu se propageait.

Au milieu des flammes, une sphère de cristal s’éleva soudain, puis explosa en un millier d’éclats. Ils ne remarquèrent pas derrière eux les ombres qui s’approchaient.

– Je ne puis croire que vous ne vous soyez douté de rien, murmura soudain l’une d’entre elles.

– « Un jour, le diable a apposé sur sa marque sur le front de deux enfants. L’un était enfant d’un roi, l’autre était enfant de paysan, rétorqua la seconde.

– À l’un, il s’était montré à ses parents, à l’autre il s’était dissimulé. Que désirait-il ? Rien de plus que de les voir grandir et ce qu’il allait en advenir, » compléta l’autre. Oui, vous m’aviez confié ces quelques mots et j’en ai fait une histoire. Ils sont devenus ce qu’ils ont toujours voulu être et moi je n’ai fait que les guider quand ils s’égaraient.

– En effet…

– Cependant, vous ne m’avez pas répondu.

Un sourire se dessine sur le visage éthéré qui se tourne vers la voûte céleste.

– J’ai perdu mon pari, mais ils sont libres et heureux, n’est-ce pas le plus important ?

– Auriez-vous désiré une autre issue ?

– Non ! Je ne suis pas Dieu ! Je n’emprisonne ni les mots ni les âmes. Je les libère de leurs entraves.

Dans le ciel, une étoile mourut et une autre s’alluma dans le creux d’une main.

– Qu’allez-vous en faire ? La libérer ?

Pour toute réponse, l’ombre ouvre sa paume et le fragment d’âme s’en va rejoindre les flammes au-dessus desquelles s’éleva le visage radieux de la vieille camériste, enfin délivrer de ses tourments.

– Judicaëlle, j’avais recueilli la moitié de son âme en m’abreuvant dans le lit de cette rivière. Hélas, c’était un piège de Lucifer pour me perdre dans les ténèbres. Cependant, grâce à mon ami que voici, nous avons joué de son avarice pour le tromper. À l’aide d’une plume de l’Oiseau de feu, nous avions maquillé cette pauvre âme, afin de la rendre aussi pure et brillante que celle d’un archange. Ensuite, je n’ai plus eu qu’à procéder à l’échange, après t’avoir retrouvé parmi les danseurs de bal démasqué.

Judicaëlle l’embrassa, puis se détacha de son corps ; une question lui brûlait les lèvres.

– Penses-tu qu’il avait deviné que tu te jouais de lui ?

– Oui, mais il a trop d’orgueil pour l’avouer.

Judicaëlle hocha la tête.

– Je crois que tu te trompes, Amaël. Nous sommes ses enfants, spirituels, mais ces enfants tout de même, et il n’est rien de plus dur pour un parent que de les voir, un jour, quitter le nid. Il ne l’ignorait pas et il désirait ta réussite. Ainsi, en le trompant, tu lui as prouvé que tu saurais surmonter ta destinée et ton ascendance.

– Et en échange, il nous aura protégés. Ce sont les monstres qui naissent de l’étrange et non l’inverse. Peut-être est-ce cela qu’il souhaitait que nous découvrions.

Main dans la main, Amaël et Judicaëlle regardaient le feu mourir ; ils étaient heureux.