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tome 1, Chapitre 7 « Renard et Sortilèges » tome 1, Chapitre 7

Le phœnix n’avait-il point affirmé que lui seul lui révélerait les clés ; une clé d’amour ou une clé de peur ; une clé de lumière, une clé de ténèbres. Pensif, il ramassa les morceaux de la coquille qui gisait au milieu des cendres grises. Ils étaient lourds et froids au toucher. Cependant qu’il les caressait du bout des doigts, ils devinrent soudain aussi malléables que de la cire. Intrigué, il les reposa sur le sol, où ils durcirent presque aussitôt. Dans sa poitrine, son cœur bondit. Le phœnix ne lui avait point menti. Sans doute, n’apparaîtrait-il qu’à la nuit tombée. Oiseau de lumière, il était invisible au regard du soleil. Rassuré par sa découverte, Amaël se saisit des deux fragments. Il pressentait qu’il ne lui restait que peu de temps avant l’affrontement qui révélerait les portes. Ses mains tremblaient. Se tromper, façonner la mauvaise clé, et il demeurerait à jamais prisonnier des enfers ; cette certitude était ancrée en lui. Néanmoins, le phœnix avait parlé de deux clés. Aussi se résolut-il à les fabriquer toutes deux ; la première d’obscure clarté et la seconde de claire obscurité. Il travailla ainsi sans relâche jusqu’au soir. Il ne cessa que, lorsque les mains ensanglantées et contusionnées, incapable d’exercer ses doigts. À côté du foyer froid, reposaient désormais deux clés tandis que s’élevait dans les airs l’Oiseau de feu.

– Deux clés ! L’une ouvre la porte, l’autre la referme. Laquelle choisiras-tu, jeune Amaël ? murmura l’anima fabuleux.

Identiques en forme, comme en couleur, rien ne les différenciait ; elles étaient de parfaites jumelles. Il se souvint alors que la broche qu’il portait, piquée sur sa poitrine, renfermait un fragment de l’âme de Judicaëlle. Il la décrocha, puis l’approcha tour à tour de ses créations. L’une étouffa l’éclat écarlate, quand l’autre le raviva.

– Cette clé ouvre les portes du sombre royaume, déclama-t-il en désignant la seconde. L’autre enfermera le démon dans son palais d’ombres.

– Ainsi as-tu fait ton choix, Amaël. Fort bien ! Confie-moi cette clé d’ombre, en échange je te donnerai l’une de mes plumes, elle te sera utile en temps voulu.

Le jeune homme rangea la première dans son sac et tendit l’autre au phœnix en échange d’un fragment de son ramage. Sitôt qu’il l’eut, il l’avala et disparut dans une gerbe de feu. Dans le ciel, un sourd grondement s’élevait. Roulement lourd, il devint rugissement assourdissant tandis que la lune se colorait de sang. Dans le Très-Haut, tigres et dragons s’affrontaient et bientôt surgiraient les portes de l’enfer. En effet, alors même que la bataille faisait rage, montaient des entrailles de la Terre deux immenses colonnes de bronze encadrant deux énormes battants, d’où semblaient jaillir une foule de damnés. Fasciné, Amaël contemplait les visages hideux ou grotesques de toutes ces créatures. Rêveurs ou penseurs, assassins ou gredins, savants ou ignorants ils étaient tous présents. Il sortit de sa besace sa clé qui, entre ses doigts, palpitait d’une vie nouvelle. Plein d’appréhension, il s’approcha du monumental portail. Les figures étaient sculptées avec un tel raffinement, qu’il s’attendait presque à voir leurs yeux et leurs lèvres s’ouvrir. Du bout de l’index, il en effleura la surface, mais les retira aussitôt, terrifié. Ces corps n’étaient ni de pierre ni de fer, mais de chair et de rêves. Chacun était cousu ensemble et constituait la substance même de la porte. Dans sa paume, la clé vibrait de plus en plus fort, attirée par la puissance qui se cachait derrière les battants. Dans les cieux, l’issue de la bataille approchait, il ne lui restait que peu de temps avant que le portail ne disparut.

Cependant qu’il introduisit la clé dans la serrure, l’un des damnés tourna son visage vers lui.

– Es-tu certain de le vouloir ? ricana la face noire. Tu n’y découvriras que le désespoir, la face obscure de tout bonheur. Toi, qui du haut de ton courage, te proclames héros !

Mais Amaël ne l’écoutait pas et d’un geste décidé tourna le pêne.

– Jeune impétueux ! renchérit un second. Que comptes-tu rapporter, sinon l’âme pétrifiée d’une princesse mal aimée ?

Sourd aux injonctions, il poussa l’un des deux battants.

– Nous t’aurons prévenu, ricanèrent les damnés de concert, tandis qu’un souffle glacial s’échappait de l’ouverture.

Amaël se tenait sur le seuil, le visage fermé. Autour de lui, le chœur des voix s’était tu et il en était une autre qui lui parlait.

– Prends garde, Amaël, car en ces lieux, je serai tout à la fois celle qui te guidera et celle qui te perdra. Méfie-toi de mon verbe, car si je t’amène à mon maître sans m’interposer, il n’en sera plus de même à ton retour.

– Je te remercie de ce conseil avisé.

– N’en fait rien mon garçon. À aucune de mes paroles tu ne peux te fier, désormais.

Telles furent les derniers mots de la vieille camériste, tandis que se refermaient sur lui le portail et le plongeait dans une obscurité malsaine. À quelques pas devant lui se dressait une silhouette blafarde, le visage couvert d’une pièce de tissu. Muette, elle étendit un bras décharné vers un chemin abrupt, puis disparut. Amaël s’avança et découvrit une foule hagarde qui se mouvait un peu plus bas. Désincarnées, vêtues de loques, les ombres n’étaient plus que les pâles reflets des vivants qu’ils furent autrefois. Indifférents à sa présence, ils marchaient tous de cette même démarche mécanique propre aux créatures dépourvues d’âme.

– Le Noche ne te fera traverser le fleuve qu’à la condition que lui verse une obole. Cède-lui donc ta broche.

Évanescente, la voix de la camériste s’était déjà tue. Cependant, il poursuivit son chemin jusqu’au bord de la rivière aux eaux vives et brûlantes. Plus loin, il apercevait la noria des âmes en peine, avec leurs gestes tous si semblables et désespérés, et malheur à ceux qui venaient sans verser la moindre obole, car alors ils étaient précipités dans les flots tumultueux. Affligé, jamais il se refusait à le céder ; seul lien avec Judicaëlle, quand il se souvint des paroles du maître en toutes ruses. Il sortit alors la pipe de son sac et demeura un long moment à la contempler. Ainsi, personne ne soupçonnerait, si ce n’était quelques touffes de poils roux qui dépassaient, dans le fond du fourneau, que cet innocent instrument était en réalité un renard de chair et de sang. Par précaution, il s’éloigna l’assemblée mouvante, en direction d’un bosquet qu’il apercevait non loin de là. Adossé contre le tronc d’un arbre, qu’il aurait été bien en peine de nommer, il sortit de son sac une pierre à silex et un peu d’amadou. Bientôt une lourde fumée s’échappa du foyer écarlate et en jaillit le rusé animal à la queue en panache.

– Oh, mes aïeux ! Quel fumet délicat ! s’écria-t-il en posant une patte sur sa truffe. Vraiment ! C’est ainsi que l’on accueille les visiteurs ?

Et sans qu’Amaël puisse ajouter un mot, le renard se précipita vers la foule. Il en revint quelques instants plus tard, traînant derrière lui un ballot de haillons dégoûtants.

– À présent ! Déshabille-toi et enfile ces guenilles, jeune homme !

Gêné, Amaël marqua une hésitation, puis s’exécuta de bonne grâce. Aussitôt l’animal s’empara de ses affaires et les emporta.

– Bien, murmura-t-il comme il revenait sur ses pas, la gueule vide. Maintenant, ramasse un peu de cette glaise morte dans laquelle baignaient ces arbres. Je me charge de lui trouver de quoi lui donner un peu d’éclat.

Derechef, le goupil s’éclipsa sous les yeux médusés du garçon et réapparut quelques minutes plus tard, le bout de la queue roussie.

– Mais enfin ! M’expliqueras-tu à la fin ! se récria Amaël. Je suis vêtu de hardes d’où suintent des miasmes et humeurs. Puis je ramasse une boue aux relents de mort et de charognes ;

– Patience, mon jeune ami, susurra le renard tandis qu’il se saisissait de la matière molle. Fais-moi confiance ! Quand nous serons de l’autre côté du fleuve, je te dévoilerai mes secrets.

– C’est entendu, soupira Amaël, tandis qu’il regardait les pattes de l’animal virevolter.

Bientôt, surgit de la morne glaise une pièce de monnaie dorée et de toute beauté.

– Voilà qui devrait satisfaire le Noche. Une fois à terre, empresse-toi de prendre la fuite, car le sortilège sera levé et il sera furieux.

Ainsi grimé, Amaël se mêla à la foule des errants ; maître renard autour de son cou. Il s’efforçait de mimer, non sans peine, ce pas si peu naturel de marionnette désarticulée. Lorsque vint son tour d’embarquer, le Noche tendit une main osseuse dans laquelle il glissa la pièce dorée, puis pris place sur l’embarcation. Mutique, il respirait le moins possible l’haleine putride qui s’exhalait du fleuve. Une fois sur l’autre berge, il sauta et s’enfuit aussi vite que le lui permettait le terrain accidenté. Il n’avait pas fait plus de quelques foulées qu’un hurlement strident se fît entendre.

– Vous voilà bien attrapé, Maître Charon, gloussa le renard.

Amaël s’arrêta et fit volte-face. Il était hors de portée de la gaffe dont ce dernier le menaçait. Hélas, enchaîné à son devoir, il s’en retourna à sa tâche : conduire les âmes.


Texte publié par Diogene, 27 septembre 2017 à 14h46
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