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tome 1, Chapitre 6 « Les Trois Bêtes » tome 1, Chapitre 6

Loin de se morfondre, Amaël reprit sa route sur le dos de sa vieille jument qui avançait d’un pas lent. Plusieurs jours passèrent jusqu’à ce qu’au détour d’une prairie, il découvre un mouton à la toison dorée. Hélas ayant voulu fuir un danger, il s’était empêtré dans un massif de ronciers. Lorsque la bête aperçut le jeune cavalier, elle le supplia. :

– Délivre-moi, je t’en prie avant que le loup ne s’en vienne m’achever.

– Et pourquoi t’obéirais-je ? Tu es gros et gras. Si je te dépèce, avec ta laine je me ferai des vêtements chauds et avec ta viande j’aurai de quoi manger pendant plusieurs semaines.

– Si tu me libères, je te ferai un présent et te montrerai comment marcher avec le feu. N’est-ce point ce que tu désires ?

Amaël sauta à terre et à l’aide de sa dague, il lacéra les ronces acérées, puis ôta une à une les branches de la toison de l’animal.

– Je te remercie Amaël. Tu as bon cœur. Prends ce pipeau, il est taillé dans l’ivoire de l’une de mes cornes. En cas de danger, souffle dedans, nous accouerons et nous t’aiderons. À présent, remonte sur ta jument et demande de mettre ses pas dans les miens et vous marcherez alors avec le feu.

Comme Amaël se hissait sur le dos de sa monture, il remarqua que de la fumée montait doucement du sol ; les sabots de la bête étaient chauffés à blanc et à leur contact les herbes sèches s’enflammaient. Mais à peine fut-il en selle, que le bélier avait filé ; il n’était plus qu’un minuscule point à l’horizon. Amer de s’être laissé attendrir par le sort de l’animal, le jeune homme pleura à chaudes larmes.

– Je suis bien trop rapide pour ta monture, résonna soudain une voix dans sa tête. Personne ne peut me suivre. Cependant, même si tu ne me vois plus, mes traces ne disparaîtront pas pour autant. Elles demeureront jusqu’à ce que tu trouves ce que tu es venu chercher.

En effet, le bélier n’avait point menti. Il avait depuis longtemps disparu, mais les feux follets demeuraient. De même lorsque la nuit s’en vint et que, vaincu par le sommeil, il s’endormait. Le lendemain, la piste était toujours présente. En revanche, derrière lui, il ne subsistait que des traces de sabots calcinées. Soulagé, le cœur léger, il reprit sa route à bonne allure jusqu’à ce que les empreintes disparaissent à une croisée des chemins. Ne sachant où aller, il descendit de sa monture pour explorer les environs, lorsqu’il fut surpris par des jappements.

– Délivre-moi ! geignit quelqu’un dans les fourrés. Je te servirai.

Curieux, Amaël s’approcha et découvrit un magnifique goupil à la queue fournie, prisonnier d’un piège.

– Et que puis-je à attendre d’un renard, maître en toutes ruses qui, une fois libéré, aura tôt fait de se jouer de moi et d’appeler sur moi le malheur ?

– Mon aide, jeune Amaël. Tu cherches les douze et le royaume profond. Or le diable est un maître de l’illusion et use de tours et de détours pour tromper son monde. Qui d’autre alors qu’un maître en la matière pourrait en tromper un autre ?

– Entendu ! fit le jeune homme, tandis qu’il ouvrait avec délicatesse l’ogre de métal.

Aussitôt, le renard se métamorphosa en une superbe pipe en bois.

– Ah ! Je le savais. Tu te joues de moi et tu m’abandonnes à mon sort, se lamenta Amaël.

– Que marmonnes-tu entre deux sanglots ? Ne t’ai-je point promis aide et fidélité ? Je suis un maître rusé et sous cette forme, personne ne me portera attention, même le plus curieux des démons.

Rassuré, Amaël ramassa le fuseau de bois et le rangea dans sa besace.

– N’aie crainte ! En cas de danger, allume-moi et je t’aiderai, chuchota le renard depuis le sac. Maintenant, avance au pas jusqu’au bout du chemin et tu découvriras la clairière des douze sorciers.

Aucun des deux animaux ne l’avait trompés, car le sentier débouchait sur une vaste clairière où était dressé un camp, installé autour d’un immense brasier. Il aperçut ensuite de gigantesques troncs sur lesquels étaient assises des silhouettes en grande conversation. Amaël en compta douze. Cependant, la chose était étrange, car si le feu crépitait et dispensait une chaleur bienvenue, aucun des hommes assemblés n’avait esquissé, en sa présence, le moindre geste. Il s’avança avec prudence en direction de ces gens figés dans le temps et découvrit dans le cœur du foyer un mystérieux animal pris dans les glaces qui, malgré les flammes, ne fondaient pas. Ainsi avait-il découvert les douze. Que signifiait alors l’oracle ? « Quand s’affronteront tigres et dragons au cours des Tri nox Samoni, s’ouvriront les portes du monde profond. La peur est une clé, l’amour en est une autre. »

Tandis qu’il s’enfermait dans ses réflexions, il ne remarqua pas que le feu était devenu plus vif, comme pour resserrer son emprise. Du foyer s’éleva un gémissement semblable à celui d’une bête apeurée. Puis il se changea en un hululement strident que seul Amaël perçut, car sa jument placide poursuivait ses gastronomiques investigations. Les mains sur les oreilles, le sifflement s’était mué en un hurlement dément, en même temps que montait au-dessus des flammes un point brillant.

– Délivre-moi ! s’époumonait une voix.

– Pourquoi ? cria en retour Amaël. Ton souffle me rend sourd et ta lumière m’aveugle. Pourquoi ferais-je une telle chose ?

– Tu as besoin de l’une des deux clés pour ouvrir les portes du sombre royaume. Moi seul suis en mesure de t’en révéler la teneur. Délivre-moi ! Je me meurs et il ne te reste que peu de temps avant que ne s’achèvent les Tri nox Samoni.

À ces mots, le jeune homme sursauta.

– Qui es-tu pour être si savant ?

– Il n’est point de temps pour te répondre. Cherche donc plutôt un moyen de faire fondre ce glaçon qui me retient prisonnier.

– Mais enfin ! C’est impossible, il est au milieu de flammes brûlantes et il ne fond point, s’exclama Amaël.

– En es-tu certain, mon garçon ? fit une voix dans sa tête. Le diable a plus d’un tour dans son sac et il est maître des illusions.

Amaël remercia le renard et se concentra. Qu’avait-il entrevu de la créature qui le suppliait de la délivrer ? Un Oiseau de feu ?

– Tu es un phœnix, n’est-ce pas ? chuchota-t-il à l’adresse de l’oiseau légendaire, retenu prisonnier.

L’animal coassa, sa voix était devenue presque imperceptible. Pris de remords, Amaël ferma les yeux et plongea ses bras dans le brasier. Surpris par l’absence de chaleur, il se saisit du bloc de glace brûlante et le lança au milieu de la clairière, il se mit rapidement à fondre. Au cœur reposait un oiseau au plumage terne et abîmé.

– Je te remercie, Amaël ! Tu as vaincu les illusions qui m’emprisonnaient. Dresse un feu et pose-moi en son centre. Ainsi régénéré, je créerai avec toi les clés qui t’ouvriront les portes du royaume où demeure ton aimée.

À ces mots, le jeune homme rougit violemment, car l’Oiseau de feu avait mis ses sentiments à nu. Néanmoins, il s’exécuta de bonne grâce et bientôt s’éleva un bûcher ; nid du renouveau d’un phœnix meurtri.

– Dors ! lui chuchota ce dernier tandis qu’il se consumait. Il ne sera point trop d’une nuit pour que je recouvre la vie.

Épuisé, le jeune Amaël s’assoupit presque aussitôt sous le regard attendri de la vieille jument. Pendant ce temps, des hommes s’éveillèrent et les silhouettes statufiées s’animèrent. Les yeux grands ouverts, ils scrutaient les ténèbres du ciel.

– Depuis combien de temps sommes-nous demeurés ainsi prisonniers en ces lieux ? murmura l’un d’eux, un homme à la carrure massive.

– Trop longtemps, mon ami, chuchota un second, un vase entre les bras.

– À qui devons notre libération, renchérit un troisième, dont la voix renvoyait un étrange écho.

– À ce garçon ! reprit le premier. Il a su se jouer des illusions.

– Impressionnant ! soufflèrent les deux autres.

– Mais qui est-il ? questionna l’un, un arc et un carquois dans le dos.

– Un jeune homme à l’âme trouble. Façonnera-t-il la clé d’ombre ? Et alors il rejoindrait son père à la droite de son trône. Ou bien fabriquera-t-il la clé de lumière qui lui permettrait de triompher de ce dernier ?

Ainsi avait parlé l’un, à la chevelure abondante et bouclée.

– Nous nous devons de l’aider. Quand bien même il confectionnerait la clé de lumière, les ténèbres sont traîtresses et il lui faudra être capable de les dissiper, chuchota l’un, un fléau entre les mains.

Alors, un à un, ils s’agenouillèrent et ramassèrent la vile matière avec laquelle ils façonnèrent la lanterne Ténèbres, seul objet en mesure de transpercer l’obscure clarté des enfers. Tour à tout, ils la firent fondre dans le creuset et y ajoutèrent un peu de leur lumière. Puis, ils l’enchâssèrent dans une cage de verre et la lui remirent. Cependant, au lieu de s’en retourner vers les cieux, ils tinrent conseil et le veillèrent jusqu’à ce que le soleil perçât le levant ; instant auquel ils s’en allèrent.

Lorsqu’Amaël s’éveilla, les douze avaient disparu, ils avaient rejoint la voûte céleste. Au centre du foyer refroidi, il découvrit une coquille brisée ; le phœnix s’était envolé. Amer, il se lamenta, car on s’était joué de lui cependant que les portes de l’enfer allaient apparaître ; la peur l’envahissait. Il savait qu’il devrait renoncer, car seul l’Oiseau de feu était capable de façonner les clés. Néanmoins, il s’interrogeait. Il avait chaque fois douté de la sincérité de ceux qui l’avaient aidé auparavant et ils avaient tenu parole. Pourquoi en serait-il autrement ?


Texte publié par Diogene, 24 septembre 2017 à 19h35
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