Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 5 « Le Deux Caméristes » tome 1, Chapitre 5

Le lendemain matin, un jeune garçon d’écurie se portait auprès de lui. Aux gardes qui gardaient la chapelle, il exprima le désir de conférer avec son souverain, sourd et aveugle. Méfiants, ils le laissèrent pénétrer à l’intérieur, alors qu’un râle leur parvenait. Nul ne sut comment ils s’entretinrent, mais, il exigea qu’on lui offrît la vieille jument que montait sa fille, ainsi qu’un sac de provisions. Puis, dès qu’il eut quitté les lieux, le roi ordonna qu’il conduisît à ses appartements.

– Au nom du ciel! Qu’avez-vous fait, votre majesté ? s’exclama son médecin, comme il découvrait l’homme au visage ravagé.

– Silence ! gronda ce dernier. Ce garçon m’a fait le serment de ramener ma fille. En échange de quoi lui ai-je promis sa main et ma couronne. Cependant, je n’ai aucune crainte, car c’est aux enfers qu’il devra se rendre et, quand bien même il réaliserait cet exploit, je vous donne l’ordre de le faire exécuter sur-le-champ ! Un garçon d’écurie, fils de meunier, ne saurait se voir échoir ma couronne !

Amer, son visage fermé exprimait une fureur mêlée de chagrin. Sourd et aveugle ! Voilà ce qu’il avait été toutes ces années passées à guerroyer. Un monstre aveugle et sourd, il était devenu. Que ne l’avait-on mis en garde et voici qu’il en payait le prix ? Prisonnier de ce monde désormais obscur et silencieux, il fut raccompagné dans sa chambre, d’où il ne sortit bientôt plus.

Pendant ce temps, sur sa monture, le jeune homme s’en retournait chez lui. Il n’avait jamais osé questionner son père au sujet des origines de sa sœur adoptive. Or voici que la vérité éclatait et il avait besoin de réponses. Accaparés par leur travail, ses parents ignoraient tout de la tragédie survenue et ce fut la figure baignée de larmes qu’ils reçurent leur fils, ce soir-là. Le père le prit alors avec lui et l’amena jusqu’au cœur de la forêt, là où, dix années plus tôt, il avait recueilli cette petite fille au regard meurtri. Jamais elle n’avait évoqué ses souvenirs, le chagrin et l’incompréhension l’avaient plongé dans le mutisme. Elle se rappelait seulement des visages de ses parents aimants aux prises avec leurs tourments, puis celui de cet homme taciturne au regard dur qui l’avait chassé, déchiré entre sa loyauté et sa pitié. Elle conservait ses rares images, comme l’on garderait sa première pièce d’argent au fond d’un coffre. Aujourd’hui, elle était morte et un démon s’en était venu. D’elle, il ne demeurait qu’une broche en argent qu’elle avait portée autrefois, piquée à hauteur du cœur. Elle l’avait, par la suite, rangée dans une boîte que son père lui avait confectionnée.

– Prends ceci, mon fils, murmura-t-il tandis qu’il lui glissait entre les mains le dernier souvenir de la jeune princesse.

– Qu’est-ce que c’est ? l’interrogea-t-il.

– Ce coffret renferme le seul objet ayant appartenu à ta sœur. Lorsque je l’ai recueilli, il était l'unique valeur en sa possession. Je lui ai donc confectionné cette boîte, afin que personne ne soupçonnât son secret.

– Hélas, en quoi me sera-t-il utile ? Ma sœur demeure prisonnière des enfers. Comment pourrai-je en pénétrer les cercles ? Ma chair est vivante et seules les âmes libérées peuvent gagner les Champs Élysées, sanglota-t-il, le poing refermé sur la caissette.

Ce dernier sourit et lui reprit le coffret, puis l’ouvrit. Au fond reposait une broche d’argent orné d’un diamant rouge sang.

– J’espère que tu me pardonneras, car si je t’ai menti à son propos, ce fut de sa volonté et non de la mienne. J’ai tenu parole et je n’ai jamais trahi le secret de ses origines. Cependant, pour te répondre, je pense que cette broche sera ton guide pour la retrouver. En effet, la première fois que j’ai aperçu le diamant, il était le plus pur qu’il m’ait jamais été donné de contempler. Or cette nuit, alors que je m’apprêtais à me lever pour libérer les meules, un éclair a jailli de sa chambre. Je me suis précipité et j’ai découvert la teinte écarlate du solitaire. Aussitôt, je compris qu’un malheur venait de survenir. Mon fils, écoute les sentiments de ton cœur et défie-toi des heurs et des rancœurs.

Ainsi pourvu, il fit ses adieux, puis s’en retourna sur le chemin de la forêt. Bien des rumeurs avaient bruissé à son propos. N’était-ce point en ces lieux que, sous les traits d’un moine sans visage, le diable était apparu ? Plus encore, il se souvenait à présent des conversations avec ces vieillards séniles et cacochymes qui lui narraient des histoires de diables déguisés et de princesses. Néanmoins, il en était d’autres et il nourrissait des soupçons à l’égard de son père. En effet, il avait senti une fêlure dans le son de sa voix alors qu’il lui confiait les secrets de la naissance de sa sœur. Se pouvait-il que lui aussi eût la même ascendance ? Cependant, il rejeta cette pensée et se tourna vers sa destinée. Désormais certain de l’identité de sa sœur de lait, il n’avait plus aucun doute sur le lieu où ils demeuraient ; dans les enfers. Le poing refermé sur le coffret, il rappelait à sa mémoire tous ces instants, toutes ces heures passées en sa compagnie ; sœur, amie, mie. Il n’avait jamais osé lui avouer les sentiments qui l’avaient saisi lorsque ses yeux avaient croisé les siens. Comme la jument s’abreuvait à la rivière, il sortit le bijou et l’épingla sur sa poitrine, ainsi ne le quitterait-elle jamais. À peine l’eut-il lâché qu’une silhouette éthérée surgit de l’eau cristalline. C’était une femme voûtée au regard triste et pétillant. Curieux, le jeune descendit de sa monture qui ne paraissait nullement importunée par la présence. De l’index, elle pointa un disque lumineux à la surface tumultueuse : des figures dansaient sur une singulière chorégraphie. Il reconnut la reine, sa fille, son époux et ce fantôme qui n’était autre que la camériste, dont le corps avait été découvert aux pieds des murailles. Les scènes se déroulaient, belles, muettes, jusqu’à ce qu’une aura de noirceur vienne les obscurcir. Combien de temps demeura-t-il ainsi ? Il n’aurait su le dire. Soudain, celle-ci l’invita à boire de l’eau de la rivière. Cependant, il se méfiait. Son père ne l’avait-il pas mis en garde contre les tours et détours du démon ?

– Amaël ! N’aie aucune crainte ! Anaïs a toujours été une mère pour moi. Elle t’aidera et te guidera jusqu’à moi. Elle connaît bien des secrets et saura te mettre en garde contre les pièges que ne manquera point de tendre mon père.

Cette voix, il ne la reconnaissait que trop.

– Judicaëlle ? appela-t-il.

Mais seul l’écho venu de la forêt profonde lui répondit.

– N’épuise point en vain tes forces. Je te parle par l’intermédiaire de la larme de sang. Il me faut partir à présent.

La voix s’était tue ; chandelle dans un écrin de ténèbres. Le jeune homme s’agenouilla alors et prit au creux de ses mains un peu de l’eau merveilleuse. Mais au lieu de son reflet, il découvrit le regard doux-amer de la vieille camériste. Il hésita un instant, puis avala d’un trait l’eau et son fantôme. Aussitôt, une voix résonna dans sa tête.

– Merci de m’avoir offert cette délivrance. Le diable avait pris mon âme avant de l’enchaîner à cette rivière, comme un douloureux rappel du sort de ma chère petite princesse. Comme elle te l’a expliqué, j’ai pu surprendre bien des secrets et je t’apporterai toute l’aide qu’il me sera possible de te donner. Maintenant, pour trouver la porte des Enfers, marche avec le feu jusqu’au cercle des douze sorciers. La peur est une clé, l’amour en est une autre. Prends garde, car elle ne s’ouvrira que pendant les Tri nox Samoni, au cours du mois de Samonios lorsque s’affronte tigres et dragons.

– Que je marche avec le feu ! Qu’entends-tu par là, petite mère ? le questionna-t-il.

– Hélas, je ne puis t’en dire plus, car ainsi par ma voix s’exprime le chemin qui t’emmènera jusqu’à ta promise. Encore une chose, lorsque tu auras rejoint Judicaëlle et que tu l’auras arraché au monde souterrain, retrouve ma dépouille afin qu’enfin je connaisse la véritable paix.

– J’accepte à une condition. Prouve-moi que tu es celle que tu prétends être et non un émissaire du diable.

En lui, la présence frémit comme si quelqu’un l’avait plongé dans de l’eau bouillante ; une lutte entre deux esprits.

– Hélas, je ne le puis, gémit la vieille femme. Le diable n’a emprisonné que la moitié de mon âme dans cette rivière, l’autre…

– L’autre sera ma voix et te perdra ! Sauras-tu nous distinguer le moment venu ?

Elles s’étaient tues.


Texte publié par Diogene, 22 septembre 2017 à 11h34
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 5 « Le Deux Caméristes » tome 1, Chapitre 5
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2780 histoires publiées
1267 membres inscrits
Notre membre le plus récent est JeanAlbert
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés