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tome 1, Chapitre 3 « La Princessse et le Chasseur » tome 1, Chapitre 3

Fumée, le diable s’était tapi dans un recoin. Arrivé au château, il s’était mêlé à la brume qui montait des douves. Guidé par les cris, il s’était élevé jusqu’au rebord d’une fenêtre et avait découvert la reine. Furie, elle hurlait des insanités et vociférait, à qui désirait l’entendre, que son enfant était la fille du démon.

– Ma dame ! Vous ne pouvez ! Elle est votre enfant et, quand bien même elle serait marquée du sceau de l’infâme, elle demeure innocente.

En face d’elle, la jeune mère bouillait de rage, tandis qu’une haine enfouie depuis trop longtemps la dévorait. Sa camériste dans la confidence, elle ne manquerait pas de rapporter ces paroles son époux. Assis sur le rebord en pierre, le diable savourait la scène : une vieille femme étendue sur le sol, les yeux grands ouverts, le crâne fendu d’un coup de tisonnier. Il lui serait délicat de masquer la vérité et déjà le diable s’en amusait. Cependant, elle n’en paraissait aucunement affectée. Elle contemplait le corps inerte puis, sans l’ombre d’une hésitation, le balança par la fenêtre. Soudain, ce dernier sembla flotter ; le diable avait disparu. En effet, la reine ne lui avait-elle pas promis l’âme de sa camériste en échange de sa réponse ? Satisfait, il s’était enfui avant de s’en retourner dans les bois, où il savait qu’elle ne manquerait pas de le retrouver.

Dans sa tête, les paroles de l’homme ne cessaient de résonner. Il avait lu dans ses yeux, nul doute qu’il posséda cette réponse, dont elle effleurait les mots. Aveuglée, elle quitta un château, désormais souillé par les ombres. Lancée au grand galop sur sa monture, le vent sifflait à ses oreilles comme autant de serpents. Déjà, elle apercevait la silhouette voûtée du moine, occupé à ramasser des baies dans un fourré. Affolée par la colère de sa maîtresse, la jument se cabra lorsqu’elle croisa le regard de l’homme, dont le visage était toujours dissimulé par l’épais capuchon de bure. Poupée de sons désarticulés, la reine hurla tandis que son corps allait se fracasser contre les rochers qui bordaient le chemin. Pourtant, elle ne ressentait aucune douleur et aucun éclat de pierre n’avait entamé sa chair ; devant elle, paisible, sa jument broutait une herbe tendre et grasse. Soudain, une main se plaqua sur son front en même temps qu’une odeur violente la prenait à la gorge.

– Buvez votre majesté ! Vous avez été victime d’une insolation.

La voix était grave et généreuse. Avec difficulté, elle tenta d’ouvrir les yeux et découvrit le visage noir et amène de l’homme de foi.

– Co…

Mais ce dernier l’arrêta d’un geste.

– Une question à la fois. Vous n’êtes pas venu pour m’interroger à ce propos, n’est-ce pas ?

Dans sa gorge desséchée coulait à présent une eau fraîche et désaltérante. Sa soif enfin étanchée, elle planta ses yeux dans celui de l’homme qui lui faisait face. Son regard, insondable et indéchiffrable, reflétait des mondes inconnus. Son visage était dépourvu de lèvres, de nez, d’oreille et sa peau était encore plus lisse que celle d’un nourrisson.

– Qui vous…

De nouveau, il la fit taire d’un geste.

– Pourquoi repoussez-vous l’évidence ? Auriez-vous à ce point peur de cette vérité qui vous effleure ? Sachez cependant que toute chose à son prix en ce monde, y compris mes réponses.

À ces mots, le sang de la reine se glaça tandis que le moine raffermissait son emprise sur son âme. À aucun instant, il ne doutait de son choix.

– Que… que désirez-vous en échange,

La terreur déformait ses traits.

–… une âme ?

– Que non ! se récria-t-il. Qu’aurai-je à faire d’un tel commerce, je ne suis pas un démon ? Non, je désire seulement un rêve. Ainsi pallié-je à la perte de mes yeux. De vous, je souhaite votre rêve le plus cher et le plus secret. Confiez-le-moi et vous pourrez de nouveau enfanter. Acceptez-vous ?

Au fond de son esprit, une voix minuscule la supplia de ne rien en faire, puis se tut aussi soudain qu’elle s’en était venue. La reine ne rêvait plus. Ces jours et ses nuits n’étaient plus que des plaies ouvertes et suintantes. L’homme de foi se pencha sur elle.

– Je m’en reviendrai chercher mon dû dès que vous serez certain que j’aurai tenu parole, lui chuchota-t-il au creux de l’oreille.

Sur ces mots, le moine raccompagna la reine et l’aida à monter sur sa jument, toujours tourmentée. Son époux guerroyait de plus en plus souvent et ne rentrait que plus rarement encore. Délaissée, elle n’en aurait que plus de temps pour accomplir sa vengeance. Seule, elle avait appris à tirer parti de la toile ombrageuse qui enceignait le royaume et bientôt elle sut tout des moindres faits et gestes de son époux. Ainsi, avait-elle eu connaissance que des troubles ne manqueraient pas d’éclater, sous peu, dans les contrées sud du royaume. Cette situation nécessiterait bientôt la présence de Sa Majesté. Ses journées ainsi occupées, elle en oubliait presque la présence de sa fille qu’elle confiait aux bons soins de ses valets et autres femmes de chambre. Insouciante, elle égarait son temps entre études et promenades.

Cependant, un jour le maître de chasse s’en vint la voir. C’était un homme rude et taciturne. Il possédait une voix forte et son visage était couturé, vestiges d’anciennes luttes.

– Mademoiselle. Votre mère m’a chargé de vous instruire les rudiments du tir à l’arc. Nous nous rendrons dans la forêt, j’ai aménagé là-bas un terrain d’entraînement. Votre monture vous attend aux écuries. Je serai sur le pont-levis.

Sur ces mots, l’homme disparut. Étonnée, la princesse chercha sa mère du regard et la découvrit penchée à la fenêtre ; un sourire radieux illuminait son visage. Il ne lui avait été guère difficile d’expliquer l’absence de sa camériste ; souffrante elle l’avait envoyée se reposer quelque temps, dans un couvent à flanc de montagne, où elle profiterait d’un air dépourvu de miasmes. Comme, elle ne lui prêtait aucune intention, la jeune fille se retira et s’en fut rejoindre sa jument. Quelques instants plus tard, elle trottait en compagnie du maître de chasse en direction de la forêt. Ses yeux étaient durs et son visage fermé. Pas un mot ne franchirait ses lèvres, même lorsqu’il l’exécuterait. Silencieux, ils pénétrèrent dans la clairière où coulait une rivière. Là, il lui confia un carquois et un arc en bois de noisetier, tandis que sa main se refermait sur son poignard. Devait-il les folles paroles de sa mère ? Cette enfant, d’apparence innocente, était-elle, comme elle l’affirmait, la fille du Diable ?

– Va-t’en ! hurla-t-il soudain à son adresse, les doigts refermés sur le manche de sa lame. Remonte la rivière par l’ouest ! Personne ne te suivra !

Calme, la princesse s’en alla, sans même jeter un regard en arrière. Même si elle était ignorante des secrets qui entouraient sa naissance, elle n’en avait pas moins senti peser sur ses frêles épaules le poids de la suspicion et de la haine que sa mère éprouvait à son égard. Ce que cet homme accomplirait ensuite, elle ne s’en inquiétait guère, car elle savait qu’il tiendrait parole ; elle aurait la vie sauve. Ce fut ainsi qu’elle s’en fut en direction du couchant. Par précaution, elle s’arrêta en chemin et déchira ses habits, puis se roula dans la boue. Métamorphosée en souillon, elle s’engagea sur le sentier qui longeait le cours d’eau.

Pendant ce temps, le mutique chasseur s’en était revenu au château. Comme preuve de son forfait, il avait arraché un morceau de l’étole de la princesse qu’il avait noué autour du cœur d’un jeune daim. Il l’avait alors remis à sa reine qui s’était empressée de le renvoyer. Sourde au doute, elle se réjouissait de la disparition de cette diablesse. Son époux, de retour le lendemain, ne manquerait pas de s’alarmer de son absence. Néanmoins, elle ne s’en inquiétait pas, car elle saurait trouver les mots justes. Rassérénée, elle rangea le cœur dans un coffre rempli de poudre de camphre, où il se momifierait avec le temps. Sa vieille camériste morte, il ne demeurait que son maître de chasse, que son serment tenait pieds et poings liés. Le lendemain, à l’aube, le roi était de retour et, bien qu’il fut surpris par l’absence de sa fille, il se satisfit des explications de son épouse. Cependant, ainsi qu’elle l’avait deviné, de funestes nouvelles s’en vinrent ternir son retour. Une fois de plus, il lui fit ses adieux et elle s’en désola. Néanmoins, toujours tapi dans les ombres, le diable veillait. Il devinait que la reine aurait honoré sa promesse et il s’en réjouissait. En effet, à mesure que les mois passaient, le ventre de la jeune femme s’arrondissait pour son plus grand bonheur. Hélas, pour son malheur, sans qu’elle n’en sût rien, son époux doutait de ses explications, d’autant que la disparition brutale de sa suivante lui paraissait une bien étrange coïncidence.

Or au jour de son retour, une funeste nouvelle envahit le château, un jeune palefrenier venait de découvrir, pendu dans une étable, le maître de chasse, un poignard fiché dans le poitrail. Elle n’eut point le temps de prendre la fuite, déjà la garde l’arrêtait sur ordre de son époux. Il ordonna aussitôt que fussent fouillés ses effets et l’on retrouva le cœur momifié, enveloppé d’un fragment d’étole, dans son coffret en bois de rose.

– Ne vous avais-je point dit que je reviendrais chercher mon dû ? ronronnait une voix à ses oreilles tandis qu’elle était enfermée dans ses quartiers.

Muette, elle vit se détacher du mur la silhouette ombrageuse du moine. D’un coup, ses mains rabattirent la capuche qui dissimulait son visage et révéla un masque cruel où étincelaient ses yeux de mille feux. Pendant ce temps, ses doigts velus et crochus, s’avançaient vers elle. Soudain, ils plongèrent dans ses entrailles et en arrachèrent cette vie qui lui était si chère ; son rêve.

– Adieu, ma reine ! Puissiez-vous savourer ces dernières heures au cœur des ténèbres.

Aucun cri ne jaillit de sa gorge, la douleur et la folie l’avaient précipitée dans le mutisme. Le lendemain, ce fut une femme échevelée et aux yeux exorbités que la garde conduit au gibet, sous le regard implacable de son époux. Soudain, alors que le bourreau enflammait son brandon, la reine redressa la tête. Sa figure n’était plus le masque caricatural d’une bacchante et un sourire mauvais déformait ses traits.

– Fou que tu es ! Le Diable s’en est venu et a arraché de mes entrailles le fruit de nos retrouvailles. Aveugle que tu es ! Ta fille fut marquée par cet être. Par cet acte, tu te condamnes. Puisses-tu me rejoindre en enfer, ô, mon époux bien-aimé !

Médusée, la foule assemblée demeura sans voix tandis que le roi se précipitait sur le bourreau et lui arrachait sa torche des mains. Il soutint quelques instants le regard dément de son épouse, puis balança le brandon au milieu des fagots qui prirent aussitôt feu. La reine ne hurla pas lorsque les premières flammes s’en vinrent lécher son corps. Au contraire, elle éclata d’un rire sinistre. Mais bientôt, on ne l’entendit plus et le corps de celle qui fut majesté et mère acheva de se consumer avec le reste du bûcher, comme la foule se retirait le cœur amer.


Texte publié par Diogene, 17 septembre 2017 à 16h04
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