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tome 1, Chapitre 27 « Dernier Acte » tome 1, Chapitre 27

— Ben quoi ! C’est tout ! Tu emballes la princesse et ça s’arrête là ! Aucune explication ! On se tire et on laisse derrière nous un bazar sans nom ! s’écrie soudain Armand, comme Hiérominus fait mine de s’éloigner. Et nos lecteurs alors ! Ils vont dire quoi ?

— Tu permets ! Je m’en vais couler un bronze ! rétorque-t-il hilare, alors qu’il s’en va en direction des lieux d’aisance. Ce n’est pas moi l’artiste ; je ne suis qu’un guerrier déchu, je te rappelle !

Au milieu des gravats, je ramasse une coupe intacte, tandis que mon regard se glisse vers le centre de la pièce où se dresse désormais l’instrument du Diable : un orgue à la hauteur vertigineuse.

— J’ignorai qu’il fut mélomane, lancé-je à la cantonade, la coupe en verre entre les doigts.

— Mais il y a beaucoup de choses que tu ignores encore, roucoule une voix derrière moi.

Surprise, je me retourne et découvre, non pas Lucifer, mais Ophélia, tout sourire, accompagné d’Armand, habillé d’un costume d’une sobre élégance. Suspicieuse, je le fixe d’un œil critique, tout en m’interrogeant sur la provenance de son vêtement. Me revient en mémoire l’oracle, alors que nous enterrions ce pauvre Raphaël.

— Bien sûr. L’Accordeur. Le Créateur, soupiré-je. Comment ai-je pu l’oublier ?

Armand me sourit, avant de se fendre d’une profonde révérence. Silencieux, il s’approche de l’instrument, dont les tuyaux distordus et fondus menacent de s’écrouler.

— Vous voici bien mal en point mon ami, murmure-t-il, une main posée sur les touches désarticulées.

— Que m’avez-vous caché tous deux, marmonné-je à l’adresse d’Ophélia. À voir Armand, je devine que vous connaissiez depuis longtemps l’existence de cet instrument.

La princesse melnibonéenne ne répond rien ; à la place, son visage se ferme.

Il ne lui appartient pas de te répondre.

Je me retourne, mais je n’aperçois qu’Armand fort occupé à frapper les touches de l’orgue désaccordé.

Je leur dois des excuses, car j’ai mis leurs vies en danger.

— Lucifer ! Montre-toi ! rugis-je, presque hystérique.

En face de moi, Ophélia sursaute, tandis que je me rue en direction des toilettes.

— Bordel de nom de dieu ! Comment as-tu pu leur faire çà ? Me faire çà ! Tu le savais ! Tu le savais et… et…

Ma voix se brise et j’éclate en sanglot, incapable de retenir ma rage et mes émotions, à mesure que je découvre les choses : le mensonge, ainsi que toutes les trahisons qui en découlent.

Je ne pouvais m’éveiller tant que l’orgue demeurait cacher.

Cependant, je reste sourd à ses explications alors que la haine m’envahit. en mon for intérieur, une autre voix tente de me faire entendre raison ; je l’étouffe.

— Lucifer ! hurlé-je derechef.

Ophélia, Armand, l’orgue, les décombres, tout a disparu. Je suis seul dans une salle nue. Furieuse, je me précipite vers la porte et m’écrase sur une frontière invisible. De l’autre côté, Lucifer semble m’attendre ; au fond de ses yeux brûlent les flammes de l’enfer. Je tente encore une fois de brise le mur, en vain.

— Tu ne peux pas le briser, non plus que le franchir, Vassago, murmure-t-il d’une voix éteinte.

— Ainsi tu as deviné. Finalement, tu possèdes plus de ressources que je ne le pensais.

Lucifer esquisse un sourire.

— Pardon de te corriger, nous avons plus de ressources que tu ne le pensais.

— Comment ça nous ? gronde le démon, soudain inquiet.

— Nous, ronronné-je. Lui et moi. Je suis le Spectateur Vassago, tu ne peux me posséder.

Face à nous, le démon roule des yeux fous. Impuissant, je le regarde qui frappe sa prison ; une prison que nul être infernal ne pourra jamais briser, car forger dans les liens d’un amour total.

— Adieu Vassago ! Profite bien de l’éternité ! lui lance mon aimé. Quant à vous, ma dame, permettez que je vous ramène ! Je pense qu’Armand et Ophélia auront achevé leur tâche.

— Et laquelle est-ce ? lui glissé-je, curieuse.

Mais des lèvres se posent sur les miennes et je n’obtiens aucune réponse. Dans mon dos, j’entends vitupérer Vassago, dont les paroles se confondent entre supplications et malédictions.

— Alors, n’as-tu rien à m’avouer, mon amant bien-aimé, susurré-je à l’oreille de Lucifer

— Cela se pourrait bien. Mais avant, cesse de songer à Lucifer, je suis à présent un mortel et mon nom est Hiérominus Skätten.

Une ombre passe sur mon visage en même temps que j’affirme ma prise ; une main se glisse dans mes cheveux.

— De quoi t’inquiètes-tu, Abélia ? Que je meurs ? s’esclaffe-t-il.

Furieuse, je manque de peu de le gifler, désarmée que je suis par son sourire sincère et le carton qu’il me colle sous le nez.

— Que lis-tu ? m’adjoint-il.

Curieuse, je m’empare de la carte, puis remarque aussitôt le crâne barré d’une faux. Depuis quand possède-t-il la carte personnelle de la mort ?

— Un présent de la part d’une certaine fée… me souffle-t-il.

— Navrée, elle préfère garder l’anonymat, comme je l’interroge du regard.

Je hausse les épaules, chacun a droit à sa part de mystère, même si j’ai déjà ma petite idée à son sujet. Après tout, ne vient-il pas de sauver les mondes ? Un sourire désarmant dessiné sur les visages, il ferme mes yeux tandis qu’un vent violent nous aspire. Ballottée de tous côtés, je manque de peu de rendre les restes de mon avant-dernier repas. Il faut croire que jamais je ne me ferai aux voyages intraplanaires.

— Enfin ! s’exclame une voix. Vous arrivez juste à temps ! Si monsieur veut bien se donner la peine. Je crois pouvoir affirmer qu’il trouvera son nouvel instrument à son goût.

Les yeux à peine ouverts, je redécouvre la salle de bal et son salon, comme si rien ne s’était passé auparavant. Au centre, à la place de l’orgue, trône un magnifique piano en bois laqué. Armand se tient derrière le comptoir, tandis qu’Ophélia hache une herbe brune et odorante.

— Mais qu’est-ce que… murmuré-je comme je vois Hiérominus s’approcher du merveilleux instrument.

Ophélia me tend un verre dans lequel elle a plongé un minuscule brasero empli de l’herbe mystérieuse.


Texte publié par Diogene, 12 mai 2018 à 21h18
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