Le démon me possède ; mon corps gisant n’est plus qu’une poupée de chair et de sons entre ses mains. Pourtant, je ne ressens rien, ni peur ni douleur. Je ne suis pas anxieuse ; tout est si calme, si paisible ; si silencieux. Parfois, le vent se lève et j’entends le doux murmure des dunes qui chantent l’avènement de la Tour des Mille Vents.
Pourquoi suis-je de nouveau ici ?
À côté de moi, une ombre qui me ressemble me fixe.
— Qui es-tu ?
Bien que plongée dans l’obscurité, je devine son sourire. Soudain, elle s’ébroue, puis pointe un doigt en direction de l’horizon, à l’opposée de la tour : là où naissent les démons chuchote-t-on. Elle ne parlera pas ; inutile que je l’interroge. Je la remercie et me mets en route. Je ne sais pas où me mèneront mes pas, de même que j’ignore tout des raisons, pour lesquelles mon esprit s’est retrouvé projeté dans cette dimension. Parfois, j’aperçois des guirlandes d’étranges silhouettes qui surgissent du néant pour s’évanouir ensuite : des voyageurs des temps, passé, présent ou à venir. Mes pieds s’enfoncent dans le sable chaud, pourtant ma marche n’est pas rendue pénible. De temps à autre, je m’arrête pour contempler l’infinité des dunes qui ne semblent connaître aucune frontière. Hélas, l’ombre est toujours là pour me rappeler et pointer la même direction. Alors je poursuis ma route, sans but, à la recherche d’une chose qui m’échappe. Dans le ciel, le soleil n’a pas bougé d’un pouce ; je m’interroge.
— Pourquoi est-il figé dans sa course ? m’enquiers-je à l’adresse de cette ombre dont j’ignore tout.
De nouveau, elle m’exhibe son énigmatique sourire, le bras tendu vers une tache lumineuse à l’horizon.
— Merci du renseignement, grogné-je.
En réponse, elle sourit de plus belle ; et en plus elle se moque de moi. Si elle n’était point essence, je lui aurai bien fait tâter de mon poing ; il paraît qu’il est à point. Cependant, je crains que l’heure ne soit pas à la bagatelle, bien qu’en ce lieu je n’ai aucune conscience de ce qui se passe en haut, si les choses sont bien ainsi. Au lieu de cela, je hausse les épaules et me hâte, car même si elle ne m’a averti de rien, je présume de la venue d’un vent mauvais, porteur de miasmes et de malheur. Déjà, je sens la brise forcir et soulever les grains les plus fins, qui sont comme autant de minuscules aiguillons qui se fichent dans ma chair. Comme je veux me retourner, l’ombre m’arrête ; dans mon esprit, l’image de statue de sel implorant le ciel surgit, tandis qu’un frisson de terreur glisse le long de mon échine.
— Alors Abélia, où cours-tu comme cela ? On a encore oublié son repas. Que va dire mère-grand, si tu ne lui apportes pas sa tourte au fromage ? ricane une voix que je ne reconnais que trop.
— N’oublie pas ton chaperon. Tu sais celui qui est tout marron depuis que tu es tombée dans la boue. Et gare au grand méchant loup ! Au grand méchant mou ! reprend-elle de plus belle.
Oh non, je n’ai pas oublié ! Comment l’aurai-je pu ?
À nouveau, je sens sa mâchoire se refermer sur mon cœur et je tombe à genoux. Mais l’ombre se tient, elle me soutient. Elle m’encourage à poursuivre ma route et pointe du doigt la silhouette d’une oasis. Je me précipite ; elle me retient et secoue la tête.
— Pourquoi ? m’écriai-je.
Elle secoue derechef la tête sans se départir de son sourire ; la vision s’est évanouie.
— Un mirage, soufflé-je.
L’ombre acquiesce.
— Comme cette voix dans ma tête, tu veux dire ?
Elle hésite. Hélas, privée de parole, comment la comprendre ? Cependant que je renonce à ses explications, je me relève pour avancer d’un pas ferme en direction de la tour noire que j’aperçois à l’horizon. Elle ressemble à la Tour des Mille Vents, à différence qu’elle tourne sur elle-même à une vitesse folle.
— Bonjour, petite Abélia ! reprend la voix. Moi je passerai par là et toi par là. Ainsi nous nous retrouverons devant la maison.
Il est là, il se dresse devant moi, dans toute sa noirceur, de toute sa hauteur. Dans ma tête s’impose la vision de l’oasis. Encore une fois, il s’est joué de moi. Furieuse, je déchire le mirage et progresse malgré les vents qui hurlent de rage. C’est à peine si je puis encore avancer ; le sable m’aveugle, me lacère ; folle de douleur, je pose un genou à terre. À côté de moi, l’ombre me sourit toujours tandis qu’elle tend une main, qu’elle veut réconfortante, vers mon visage. Devant nous se dresse un mur de vents, une muraille que nul ne pourrait franchir sans être déchiqueté par les grains acérés. Mais alors que je perds espoir, je découvre une bourse de cuir suspendue à ma ceinture.
Je ne comprends pas. Comment aura-t-elle pu me suivre jusque-là ?
À l’intérieur, repose une plume ivoire. À sa vue, mon cœur se serre ; Lucifer. Le courage retrouvé, je me redresse tandis que laisse s’échapper la plume, qui fend le rempart. Comme je me précipite dans la faille, déjà je l’aperçois qui se désagrège ; nous avons tout juste le temps de nous enfoncer dans la brèche qu’elle se referme derrière nos personnes. De l’autre côté, le calme et le silence règnent, alors que se dresse sous mes yeux la Tour des Mille Vents. L’ombre se tient à côté de la porte ; elle seule peut l’ouvrir, j’en ai la certitude.
— Qui es-tu ? murmuré-je encore une fois.
— Fer, souffle-t-elle avant de disparaître dans un éclair aveuglant.
Seule, face au hayon entrebâillé, je n’ose m’approcher plus.
— Là où naissent les ombres, songé-je, comme je pose un pied sur le seuil.
Cependant, je n’ai pas fait plus de quelques pas que, derrière moi, la porte se referme avec fracas, tandis qu’au fond de la salle s’allument deux billes lumineuses.
— Avance, mon enfant, ricane une voix caverneuse.
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