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tome 1, Chapitre 10 « Raphaël, le faune » tome 1, Chapitre 10

– Pitié ! Pitié ! Me la tranche pas ! couine le faune pathétique.

C’est toujours la même rengaine avec ces créatures ; il suffit de menacer leur point le plus sensible pour qu’il se mette à table.

– Donne-moi une seule raison de ne pas poursuivre, grogné-je en approchant un peu plus la lame spectrale de son membre distendu.

– Tu me connais et tu sais que je ne te vends jamais d’herbes frelatées.

– Mauvaise réponse, répliqué-je comme je pose l’instrument sur sa peau durcie. Et tu sais quoi ?

Dans ses orbites, ses yeux roulent en tout sens comme s’ils s’apprêtaient à en jaillir.

– Le monsieur à côté de moi. Hé ben, il est jaloux. Alors je crois bien que je vais te la raccourcir pour de bon.

– Arrête, j’sais pas de quoi tu parles. Merde, j’étais pénard à embobiner un pigeon et tu te jettes sur moi comme une furie.

J’enfonce un peu plus la lame dans sa chair d’où perle un peu de sang.

– J’te jure ! beugle-t-il avant de s’évanouir.

Je m’attends à tout, sauf à un faune qui tombe dans les pommes à cause d’une illusion un peu trop réaliste.

– Tu crois pas que tu y es allé un peu fort quand même, grommelle Skätten dans mon dos.

– Même pas, je lui ai seulement lancé un petit sortilège de mon cru. Il a vu son pire cauchemar et visiblement il a eu peur que je la lui coupe avec une lame de patin à glace, lui rétorqué-je, hilare. À titre personnel, j’aurai préféré la lui écraser pouce par pouce avec le talon de ma botte. Si tu veux m’aider, on va le poser dans un coin à l’écart des passants. Il n’a pas menti et je n’ai pas envie que sa réputation en pâtisse.

Skätten passe aussitôt ses mains sous les aisselles du faune avant même que je ne l’avertisse.

– Trop tard, soupiré-je, tandis que je me saisis des sabots.

– Quoi ? me questionne-t-il, l’air soupçonneux.

– Rien, mais les faunes ne sont pas réputés pour leur hygiène corporelle.

Quelques instants plus tard, notre zélé serviteur reprend ses esprits, alléché par l’odeur d’un grog récupéré auprès d’un vendeur à la sauvette.

– Tiens mon gars, marmonne Skätten en lui tendant un gobelet brûlant. Avec les excuses de la dame.

Ahuri, ce dernier sursaute lorsque nos regards se croisent. Je dois avoir l’air encore plus effrayant que Lucifer en personne, car il se recule vivement.

– Oh ! t’enfuis pas. Je te présente toutes mes excuses, Raphaël. Je te connais depuis bien trop longtemps pour te soupçonner de me jouer ce genre d’entourloupes.

A-t-on idée de s’appeler ainsi. À mon avis, sa mère avait pris un coup de trop au moment de le baptiser ; j’entends l’autre ricaner doucement. Encore un sujet sur lequel nous tombons d’accord. Pendant ce temps, Raphaël semble se détendre un peu et j’en profite pour l’encourager à boire son verre.

– T’inquiète, y a rien dedans qui ne te mette en vrac.

– Si tu le dis, marmonne-t-il. Maintenant, explique-moi pourquoi tu m’as menacé avant de la couper.

Mais comme il prononce ces paroles, je vois ses yeux s’écarquiller, tandis que je lui sers mon plus beau sourire.

– Tu ne serais pas en train de t’emballer un peu mon gars. Regarde mieux ton entrejambe. J’ai autre chose à faire que de mettre à dos ton patron, Pan.

Muet, je me retourne et Skätten aussi, le temps qu’il s’examine.

– C’est bon ? lancé-je à la cantonade.

Mais personne ne me répond. Inquiète, je fais volte-face et découvre Raphaël, la tête en avant ; un peu de sang éclabousse ses poils drus. Skätten n’a pas le temps de réaliser que j’ai déjà posé ma main sur le crâne de mon fournisseur. Hélas, je la retire vivement, comme un éclair vient de jaillir du milieu de son front.

– Merde ! sourdé-je, ma main brûlée au dernier degré.

À côté de moi, le cadavre du faune s’effondre tandis qu’un peu de fumée argentée s’élève de son visage. Une balle magique ; manquait plus que ça, impossible de lire ses derniers instants. Du bout de ma main valide, je caresse sa figure mutilée. D’un geste, j’ordonne à Skätten de me prendre le bras, tandis que j’ouvre un portail vers l’Arcadie et sa forêt, où demeure le grand Pan. En d’autres circonstances, je n’aurai pas eu le pouvoir suffisant pour que nous entreprenions semblable voyage ; seule la présence de Raphaël me le permet.

– Prends garde, la secousse risque d’être rude.

– Pardon, où…

Mais mon ami n’a pas le temps d’achever sa phrase ; les sifflements du vent couvrent ses paroles. Soudain, nous sommes projetés avec violence contre le tronc d’un vieil olivier qui résiste malgré le choc. Alors que nous reprenons nos esprits, une voix tonitruante et caverneuse jaillit des buissons et nous sommes de déguerpir ; aucun doute n’est permis nous nous trouvons bel et bien sur le territoire du dieu de la folie et de l’imaginal. Terrorisé, Skätten me broie presque le bras, mais cette douleur n’est rien en regard à celle infligée par cette maudite balle magique.

– Seigneur Pan ! m’adressé-je à la divinité invisible. Je te ramène ton enfant, Raphaël.

Dans l’ombre, j’entends le dieu souffler. Aucune hostilité n’est perceptible.

– J’entends, enfant des loups et des dryades. Je n’apprécie guère les gens de ton espèce, mais puisque ta mère était une enfant de l’Arcadie, je tolérerai votre présence.

Voilà qui confirme mes soupçons à l’encontre de mon ami, car Pan n’est pas réputé pour son sens de l’hospitalité, surtout à l’égard des mortels.

– Amenez-le au temple au bout de la pointe haute, les dryades et les nymphes vous y attendront. Ensuite, nous parlerons.

– Il en sera fait selon vos volontés, seigneur Pan.

Mais la présence a déjà disparu, de même que l’odeur.


Texte publié par Diogene, 6 octobre 2017 à 17h42
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