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tome 1, Chapitre 3 « L'Homme de Bois » tome 1, Chapitre 3

Le désert. Je sens les grains de sable qui roulent sur ma peau ; rêches, brûlants, brillants. J’en prends une poignée. Debout entre les dunes, un vent chaud chante ; je laisse s’échapper le filet jaune-orangé. Bientôt la source se tarit. Avec tristesse, je découvre ma paume et cette poussière ocre que le sirocco emporte. Je frissonne. Je frissonne, car je ne pensais pas que je reviendrais un jour ici.

Imbécile ! Qu’espérais-tu lorsque tu as aperçu plus tôt ce bout de terre calcinée par le soleil ?

Je regarde mes mains. Elles sont puissantes, meurtrières et si fragiles en même temps. Je referme le poing et le frappe.

Est-ce une hésitation ?

Il me sourit puis vole en éclat. Figé, son visage de sel retombe dans le sable avant de se désagréger, cependant que le vent se charge d’en disperser les cristaux. En cet instant, je me déteste, si j’en étais capable je m’arracherais le cœur. Nous sommes irréconciliables, à jamais, et cette figure brisée, qui gît à flanc de dune, est là pour me le rappeler.

Mais assez perdu de temps, je dois découvrir pourquoi je me retrouve en ce lieu. Les yeux tournés vers le levant, je la vois, majestueuse, point éternel dans un désert toujours en mouvement, la tour des Mille Vents. J’ignore si j’y trouverai ce que je suis venu chercher. Cependant, faute de mieux, je m’y rends. En chemin, je croise quelques ombres égarées ; échos inoffensifs d’obscurs voyageurs qui l’auront traversé des éons auparavant. Parfois, ils me saluent, alors j’en fais autant en retour. Personne ne sait si elles ont ou non une conscience, mais la politesse n’a jamais assassiné quiconque.

Je marche ainsi sans que jamais la tour ne paraisse grandir, quand soudain j’aperçois la silhouette noire d’un camp dressé au milieu duquel brûlerait un bûcher. Dans ma poitrine éthérée, je sens mon cœur se serrer ; trop de souvenirs sont ravivés. J’ai envie de pleurer, pourtant le moment est mal choisi. Alors je me mords le poing jusqu’au sang. Mais la douleur physique atténue à peine le spleen qui me terrasse.

Pourquoi en est-il semblablement ?

Je referme encore plus fort mes mâchoires, je peux presque entendre mes crocs heurter les os de mes phalanges. Je m’arrête. La douleur est insupportable ; je hurle. Le chagrin, qui m’envahissait reflue, et la sensation de cauchemar s’efface à la limite de ce que je peux endurer. Je profite aussitôt de ce répit pour me précipiter, autant que le sable traître du désert me le permet, vers ce campement dont j’aperçois la silhouette au loin. Le chemin me semble interminable, chacun de mes pas me paraît toujours plus lourd, comme si un démon s’amusait à poser, à chaque enjambée, un nouveau poids sur mes épaules. Cependant, je ne renonce pas, même lorsque je m’enfonce dans un trou et que les grains referment leurs terribles mâchoires à hauteur de mes genoux.

Ce sable, il envahit tout, je le sens qui s’incruste dans ma fourrure.

Le campement n’est plus qu’à quelques dizaines de mètres, vide, silencieux ; seul le feu donne un semblant de vie au lieu. Je m’approche. En arrière, je remarque l’oasis qui s’élève derrière la dune : quelques palmiers déchiquetés, des buissons rachitiques, une minuscule pièce d’eau. Sous les tentes, j’aperçois de maigres silhouettes ; en fait des ombres mouvantes projetées par un brasero suspendu. Aux aguets, je ne perçois aucun bruit, sinon le chant des dunes. Soudain, une très légère odeur de viande fumée vient me chatouiller le nez, alors même qu’il n’y a pas âme qui vive. Sur mes gardes, j’inspecte les alentours, mais je ne découvre que des lieux dépourvus de toute présence. Cette odeur n’est qu’un écho, une illusion, à l’image de tout ce décorum. Agacée, j’en profite pour chasser tout ce sable qui me colle à la peau, et tant pis si je ne ressemble plus à rien. Il n’y a personne pour admirer ma nudité, sauf peut-être mon reflet dans ce miroir qui traîne entre deux coffres. La patte posée dessus, je nous regarde, nous je regardons.

Qu’y vois-je, sinon un visage ?

Son visage. Sa bouche s’ouvre, mais aucun son ne me parvient. Intérieurement, je me morigène ; je n’ai que trop négligé de ne point avoir appris à lire sur les lèvres. Mais il doit deviner mes difficultés, car il pointe de l’index le coin d’une étagère dépareillée. La pysché entre les mains, je marche à reculons jusqu’au du-dit point. Dans le reflet, sa silhouette s’efface ; la dernière chose que j’aperçois de lui est son sourire.

— Adieu, soupiré-je, comme il disparaît.

Bris de verre, bris de bois, le miroir se fracasse. Je le vois qui glisse entre mes doigts et je ne fais rien pour l’en empêcher. Il est comme le sable qui file ; une volute de fumée s’échappe.

Son âme ? Possible. Pourquoi ?

Je me baisse et en rassemble les fragments ; avec le fol espoir de me souvenir encore une fois de son visage. Son visage ou mon visage ?

Mais non, il ne me renvoie que le noir.

Tu mérites mieux que ce sac de plastique noir.

J’avise un panier en osier puis y dépose un à un les morceaux. Ce ne sera pas grand-chose, seulement une tombe creusée dans le sable, près d’une oasis qui se meurt.

De retour sous la tente, les yeux tournés vers l’étagère j’examine l’amas hétéroclite d’objets cassés et poussiéreux, quand une vrille d’angoisse s’enfonce dans ma chair. Ce n’est pourtant qu’une simple montre gousset rouillée, fatiguée par le passage du temps. Hélas, je la reconnaîtrai entre mille. Tétanisée par la peur, je tends une main tremblante pour m’en emparer. Aucun doute n’est permis lorsque s’ouvre le couvercle : L’Homme de Bois.


Texte publié par Diogene, 13 septembre 2017 à 20h19
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