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25/10/2435

« Roan ! Mais qu'est-ce que tu fiches encore ?

- Ferme-la, Weng, j'ai la gueule de bois... Si tu continues à hurler dans mes écouteurs, je vais gerber dans mon casque !

- S'il n'y avait pas un pauvre type en danger, je te laisserais t'étouffer dedans...

- Ha, ha, très drôle... »

Le sauveteur passa un bras sur son front avant de se souvenir qu'il ne sentait rien à travers la combinaison complète. Le boulot était pénible, mais pas trop mal payé. Il le resterait tant que des abrutis aux commandes des « jumpers » ou modules transpaciaux prendraient une « fausse route ». Dans le meilleur des cas, le trou de ver les avait projetés dans un coin opposé à leur destination, complètement désorientés... parfois avec un décalage temporel de quelques jours, voire de quelques mois. Mais c'était toujours mieux que de se perdre à jamais.

Son binôme Weng pilotait la « dépanneuse » ; Roan en manipulait les mécanismes de récupération. Ils recueillaient les jumpers déroutés avant qu'ils ne perturbent le trafic régulier. Le reste du temps, ils attendaient dans cette boîte de conserve les alertes d'intervention.

Le sauveteur ne pouvait pas être trop regardant... Il devait s'acquitter de la pension de son fils, dont son ex-compagne avait la garde. Il le voyait approximativement deux fois par an, juste pour constater qu'il devenait un marmot insupportable et pourri-gâté... Il fallait dire que Roan ne lui avait pas donné le bon exemple... Il était douloureusement conscient de son inconstance, son côté noceur, son immaturité chronique...

« Roan, qu'est-ce que tu fous ? »

Maudissant Weng, il actionna les commandes des bras mécaniques géants, pour qu'ils saisissent la module sphérique comme une balle d'enfant. Il pourrait opérer une récupération de ce type les yeux fermés. Dans son sommeil même.

« Dis, Roan... Tu ne trouves pas ce module... bizarre ? J'en ai jamais vu ce modèle... »

Il observa pensivement les images retransmises par les écrans vidéo de la dépanneuse, il n'avait pas tort. Il n'avait jamais vu de capsule transpatiale avec un revêtement aussi lisse ; elle portait d'étranges excroissances sur les côtés.

« Ouaip... Bizarre... Enfin, c'est pas comme si on nous tenait au courant de toutes les nouveautés, hein. On fait juste le sale boulot...

- T'as raison. Allez, on abrège. »

Les deux hommes entamèrent les procédures ; quand le module fut bien arrimé, ils téléchargèrent les données d'identification pour les transmettre à la base, puis prirent le chemin des entrepôts de désincarcération.

Ils n'eurent pas d'autres interventions durant cette phase diurne ; Roan put somnoler dans le vaisseau en attendant la fin de leur permanence. Une fois libéré, il refusa l'offre de Weng d'aller boire un verre ; il retourna directement à son petit appartement de quatre mètres sur trois avec la ferme intention de s'injecter un somnifère pour passer les huit prochaines heures dans un état proche du coma. Après tout, c'était plus efficace que l'alcool, le jeu et les bras d'une femme, réelle ou artificielle... et moins douloureux pour ce qui lui restait de santé... et d'argent. Avant de sombrer, il vérifia les alertes sur l'holoécran de son ordinateur. Une boule rouge qui pivotait lentement sur elle-même lui annonça un message urgent.

« Et merde... »

Il l'ouvrit à contrecœur, en espérant que ce n'était pas une nouvelle assignation due à un comportement inapproprié. In constata avec soulagement qu'il s'agissait d'un rapport d'erreur concernant les données du mystérieux module :

Modèle SpaceJumper XW26-7890 – [non enregistré dans la base – confirmer]

Date de départ- 14/06/2454 – [Date aberrante – confirmer]

Nom du pilote – Harry Roan – [Non homologué – confirmer]

« Quoi ? »

Il fixa les données d'un œil torve. Un modèle inconnu... cela passait. Mais une date de dix-neuf ans dans l'avenir ? N'importe quoi... Et pourquoi le pilote portait-il son nom ? Encore un coup de Weng, sans doute ! Ça ne serait pas la première fois... Il envoya un message incendiaire à son partenaire et partit se coucher.

Le lendemain, Roan se réveilla un peu vaseux. L'alarme sonnait depuis un bon quart d'heure et se mêlait à des rêves tarabiscotés qui ne lui laissèrent qu'un sentiment de confusion. Alors qu'il se tirait avec peine de son étroite couchette, l'étrange rapport de la veille lui revint en mémoire. Il alla vérifier son écran, qui lui annonça deux nouvelles communications : l'une de Weng, qui lui répondait par une volée d'insultes ; l'autre était une convocation du centre médical d'observation post-transpatiale. En se grattant la tête, il se demanda pourquoi sa présence était désirée ; peut-être était-ce une simple formalité, liée à l'aspect inhabituel du dernier module. Il s'habilla en vitesse, attrapa une barre énergétique et du café de synthèse et courut vers la navette tubulaire la plus proche.

Le centre se trouvait dans les étages supérieurs de la base ; tout y était blanc et aseptisé. De l'avis de Roan, l'endroit risquait de rendre les malades dépressifs. Un guichet électronique vérifia son identité et le dirigea vers le couloir 12, section F, salle 456. Il s'attendait à tomber sur un bureau quelconque... mais contre toute attente, il s'agissait d'une chambre... ou plutôt, d'une petite suite, plus spacieuse que ses propres quartiers, égayée par des vues holographiques colorées au mur. Il fut accueilli par un homme en costume sur mesure, aux cheveux soigneusement lissés en arrière et aux traits d'une régularité suspecte.

« Monsieur Harry Roan ? Arn Berden, avocat de la base de Border123. Nous avons reçu une requête de la part de monsieur... Roan, ici présent. Il souhaite vous parler en toute intimité. Je reviendrai acter de vos décisions... »

Monsieur Roan... ?

Décisions ?

C'était quoi, ce délire ? Il ne se souvenait pas avoir bu de façon excessive dans les dernières quarante-huit heures, ni même consommé de substances stupéfiantes.

« Excusez-moi, mais c'est qui, ce Roan ? Je n'ai plus de famille en vie, à ma connaissance, à part mon fils qui est encore enfant. Même si c'est un vague cousin, je ne pense pas...

- Monsieur Roan, répondit Berden d'un ton lénifiant, vous êtes concerné au premier chef. Nos banques génétiques nous ont confirmé de façon formelle... que monsieur Harry Roan, pilote du SpaceJumper XW26-7890, est bel et bien... vous-même. »

La mâchoire d'Harry faillit se décrocher.

Lui-même ?

Un pilote de jumper ?

C'était une arnaque... Il tenta de protester, mais Berden lui adressa un sourire de façade avant de s'éclipser. Roan se retourna vers l'homme assis dans un fauteuil, juste derrière lui.

Les années l'avaient plutôt bien traité : les cheveux grisonnants, assez peu ridé, Harry Roan version senior avait gardé une silhouette svelte – et la vigueur physique nécessaire pour emprunter un jumper.

« Bienvenue, Harry ! »

Roan se laissa tomber dans la chaise devant lui-même, se regardant, bouche bée.

« Tu dois te demander... comment ? »

Roan « senior » sourit largement :

« Je suis venu te proposer un marché, pour te sortir de ce marasme dans lequel tu te traînes et te détruis. Sois attentif et écoute-moi bien... »

14/06/2439

Harry ouvrit subitement les yeux. Il se trouvait dans une couche confortable, dans une salle médicalisée luxueuse. Après un instant de confusion, tout lui, revint en mémoire.

« Ce bon de dix-neuf ans dans le passé n'a rien d'un hasard, Harry. La technologie a progressé. Je suis pilote d'essai indépendant, je suis participe à la conception de jumper dont on peut paramétrer le trajet temporel. Et j'ai emprunté ce prototype... pour aller voir notre fils. Je ne pensais pas que je surgirais juste à l'endroit où tu étais basé... »

Il se redressa sur un coude, cherchant autour de lui une présence humaine.

« Mon fils... Notre fils file un mauvais coton : consommation de substances illicites, mauvaises fréquentations... Sans être convenablement guidé, il tournera aussi mal que toi. J'ai bien essayé de le reprendre, mais un fossé s'est creusé entre nous. Mon moi du passé... c'est à dire toi était incapable d'être un père potable. Alors je vais m'occuper de lui tant qu'il est encore temps, et tu prendras ma place dans le futur... Si je me souvins bien, je n'avais pas grand-chose à perdre, à cette époque... »

Il se frotta le visage dans les deux mains ; quand Harry « senior » lui avait fait cette proposition,, il avait cru que son cerveau allait exploser.

« Pourquoi je ne pourrais pas rester ici ?

- Cela poserait des problèmes juridiques compliqués. Et puis je n'ai aucune envie ni de te laisser vivre comme la loque que tu es actuellement. Tu ne pourrais pas t'empêcher de vivre à mes crochets... Et tu ne deviendrais jamais l'homme que je suis actuellement... »

Il se redressa légèrement ; un jeune homme se tenait à ses côtés, souriant, les bras croisés.

« Mais si je pars, je ne serai jamais cet homme non plus...

- Disons que ce ne sera pas définitif. Quelques années suffiront. Tu pourras profiter de tous les avantages dont je bénéficie en 2454. Ensuite, tu regagneras ta trame temporelle. Et je regagnerai la mienne. Juste un échange de bons procédés... »

Le jeune homme se pencha vers lui, l'examinant avec attention :

« Ça va ? »

Roan esquissa un sourire :

« Ça va aller. J'aurais cru que ce saut serait serrait plus terrible.

- Je suis surpris de voir à ,quel point tu t'es remis vite. Malgré tous tes écarts passés, tu tiens une forme du tonnerre.

- Je vois ça ! Tu veux encore un peu te reposer avant que l'on fasse les contrôles médicaux ?

- Oui, s'il te plaît. »

Le jeune homme hocha la tête avec un petit sourire et se dirigea vers la porte, tandis que Roan se laissait retomber sur son oreiller.

Albrecht était un assistant exceptionnel. Il ne regrettait pas de l'avoir engagé. Il replongea dans ses souvenirs.

« Non.

- Comment cela, non ?

- Retourne dans ton temps, profiter de ton fric. Si je suis devenu un homme tel que toi, c'est que j'en avais la possibilité, merci de me l'avoir montré. À un de ces jours... »

Quatre ans déjà... Il avait cessé de brûler la chandelle par les deux bouts et entrepris une formation de pilote de jumper. Aujourd'hui, il venait de réussir son premier « vol » de test solo. Il s'était rapproché de son ex-compagne et de son fils. Il ignorait de quelles épreuves serait jalonné son parcours, mais il serait là pour les vivre, les unes après les autres, sans qu'on lui mâche le travail.

Son moi du futur avait-il le souvenir de cette réaction ? S'attendait-il à recevoir cette réponse ? Avait-il fait le voyage uniquement pour cela ? L'intervention de son moi à venir avait-il modifié l'avenir de son moi présent ? Au point de ne plus avoir besoin, dans quinze ans, de retourner dans le passé ? Mais dans ce cas, sa destinée changerait-elle ? Après tout, il avait involontairement fait de lui-même un homme qui n'abuserait pas du module de contrôle temporel d'un jumper pour régler ses affaires personnelles... et ferait tout pour que d'autres ne s'y risquent pas...

Et peut-être était-ce cette toute petite contribution qui changerait l'avenir à jamais.


Texte publié par Beatrix, 1er septembre 2017 à 23h15
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