Il l'avait perdue. Cet ultime joyau, la pierre qui lui avait causé tant d'épreuves. Son commanditaire lui avait bien répété qu'elle était indispensable à la reconquête de... De quoi déjà ? Einar avait oublié les motivations de son employeur actuel. Elles l'intéressaient si peu... Il préférait se concentrer sur l'accomplissement de ses différentes missions et, surtout, leurs rétributions. Et en tant que chasseur de trésors, il s'était fait une obligation de réussir tous ses contrats.
Mais ne disait-on pas qu'il y avait un début à tout ? Y compris à l'échec ?
Einar soupira de colère et de désespoir. Au cours d'un combat à mains nues sur le navire qui devait les ramener, lui et l'objet de sa mission, à destination pour recevoir son paiement, il avait laissé passer la pierre bleu pâle par-dessus bord. Il s'en était immédiatement rendu compte, mais la gemme avait déjà eu le temps de couler. De rage, il avait laissé se déchainer la violence qui le caractérisait et qu'il contenait à chaque instant. Son adversaire, le visage si ravagé qu'il n'était même plus identifiable, avait rendu son dernier soupir dans un gargouillis dont le vainqueur s'était délecté, modeste compensation à la perte de la pierre.
Quand il eut reprit possession de ses sens et de son calme, il s'aperçut que le petit équipage le toisait avec méfiance. Certains marins s'étaient munis de courtes lames qu'ils tenaient prêtes à l'emploi et, de ce qu'Einar put observer, les postures étaient suffisamment assurées pour qu'ils sachent s'en servir. Il soupira : les matelots n'avaient, bien entendu, pas conscience du danger qui les menaçait.
Étonnamment, personne ne se décidait ; au cours d'une bagarre, il y en avait toujours un pour lancer l'assaut suivant. Mais pas cette fois... et la tension diminua. Les marins commencèrent à échanger des regards rapides et interrogateurs puis, quand l'un d'eux rangea son coutelas, les autres l'imitèrent. Plutôt promptement d'ailleurs, et non sans soulagement. Einar émit un reniflement plein de dédain, puis retrouva un calme tout relatif.
**
– C'est quoi ?
– Ch'ai pas...
– Moi j'sais ! C't'un diamant !
– Un diamant ? Pff ! Tu dis ben n'importe quoi ! Un diamant ça'a pas d'couleur !
– Ouais, comme les albinos...
Un silence suivit cette affirmation des plus décalées quant aux propos échangés par les deux premiers hommes.
– Un quoi ? fit l'un d'eux en grimaçant une expression méfiante.
– Un albinos. C't'un gars qu'a la peau sans couleur, mais moins transparente qu'un diamant, quand même.
– Du genre qu'on lui voit quand même les os et tout à travers ?
– Nan, quand même pas !
– Et comment qu'tu connais ça toi, le gars ? T'es un savant ?
– Ah non, ça risque pas, j'sais même pas lire ! C'est un d'mes garçons qu'était comme ça, avec des yeux jaunes comme d'la bière ! Et des ch'veux blancs comme ceux qu'un vieux ! On l'a gardé quequ'z'années ; puis un jour, on l'a vendu à un gars itinérant. Faut dire qu'il arrêtait pas d'nous attirer l'mauvais œil...
Les deux autres opinèrent silencieusement, puis reportèrent leur attention sur la pierre précieuse posée entre eux, sur une table de la taverne la moins chère du bourg.
– C'est pas un diamant, reprit le troisième poivrot.
– Ah bon ? Pourtant ça brille...
– Ouais, mais c'caillou-là, il est bleu. Bon, pas fort, c'est vrai, mais un peu quand même. Vous l'avez trouvé où ?
– Sur la plage, en rev'nant d'la pêche tout à l'heure. Ça vaut combien, à ton avis ?
Celui-ci s'était adressé à son comparse face à lui, mais ce fut l'autre qui répondit, prenant la question pour lui. Il s'assit donc à leur table et prit la pierre dans ses mains, jouant l'expert.
– Eh ! Pas touche ! feula le propriétaire de l'aigue-marine en la lui arrachant des mains. T'es pas joaillier, que j'sache !
– Non, répondit l'autre en haussant les épaules, mais sans se départir de son affabilité. C'tait juste pour aider...
– Ben on a pas b'soin d'toi.
Avec un dernier haussement d'épaules, le rabroué se leva et quitta la table.
Les deux compères déglutirent quelques gorgées de bière.
– Qui c'est qu'a bien pu la tailler, à ton avis ?
– Qu'est-ce qui t'fait penser ça ?
– Ben, j'la trouve bien tout comme il faut, en fait. Les facettes sont régulières et toutes bien polies.
Son comparse leva un sourcil, dans une expression coquasse mêlant intérêt et méfiance. Trois mots compliqués à la suite, c'était plus qu'il ne pouvait accepter sans perdre la face.
– Si tu l'dis... Ben ch'ai pas... Le dieu des océans, p'têt !
Il adressa un sourire moqueur à l'autre homme, qui effectuait une série de gestes sensés le protéger des conséquences de cette répartie qu'il jugeait blasphématoire.
– Tu d'vrais pas plaisanter avec ça, lui souffla-t-il craintivement. C'est grâce à lui si tu remplis tes filets tous les jours.
– Moi j'pense que c'est grâce à mon travail, répliqua le sermonné en s'accompagnant d'un mouvement d'épaules désinvolte. On pêche pas les gros poissons du large en restant dans son lit le matin.
Un voile de tristesse passa devant ses yeux et il porta sa chope à ses lèvres.
– Oui, tout comme on r'trouve pas sa fille sans quitter son chez-soi...
Un regard glacé l'interrompit.
– J'aurais bien envie d'penser que l'caillou t'a été offert par l'océan. Ça expliqu'rai qu'y soit si parfait...
Silence...
– L'est bizarre le type qui vient d'rentrer...
– Pourquoi ? Il a des algues à la place des ch'veux et des écailles au coin des yeux ?
– Non, mais une grosse hache dans le dos. Y m'dit quequ'chose...
Le pêcheur qui s'était un moment tu dissimula la petite pierre bleu pâle d'un geste vif. Le géant blond à l'entrée de la taverne, avec ses sourcils froncés, sa carrure d'ours et son arme massive n'inspirait pas à la sympathie.
– Dis, le tavernier, interpella-t-il sans formule de politesse superflue, t'aurais pas aperçu une jolie pierre bleu pâle, grosse comme ça ?
Il désigna l'ongle de son pouce pour l'estimation et le tenancier, qui en avait vu d'autres et à qui il fallait davantage d'une montagne de muscles et un air malcommode pour être intimidé, secoua la tête.
– Non, mais j'ai de quoi vous réchauffer si vous avez b'soin.
Le colosse opina et s'installa au comptoir, tournant le dos aux deux pêcheurs... qui soupirèrent. Il valait mieux écourter leur soirée...
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