Fantasio entre dans le bureau où le courrier du jour trône sur le bureau encombré de son subordonné. L'instable montagne d'enveloppes cache à demi le bureau et il s'étale en une élégante vague jusqu'au milieu de la pièce.
- Gaston ! Où êtes-vous donc ? s'inquiète Fantasio.
Un bruit se fait entendre et la masse de courrier se soulève.
- Haaa ! hurle le rédacteur en chef en faisant un bond en arrière.
Du tas de lettres, un Gaston endormi a surgi sans crier gare. Il baille avant de parler :
- M'enfin, tu m'as fait peur à la fin ! Je faisais une petite sieste pour me mettre en train. Tu sais qu'au Japon, la sieste au travail améliore les performances des salariés, de multiples études l'ont prouvé.
La main sur son cœur affolé, Fantasio tente de se remettre de ses émotions.
- Gaston, vous m'avez fait peur ! Quelle idée d'aller vous cacher là-dedans... Et je me demande bien pourquoi. Je ne veux rien savoir ! Bon, je vous confie un stagiaire, il arrive dans dix minutes. dit-il en regardant sa montre. Il va vous aider à trier le courrier en retard dans un premier temps ensuite nous verrons quelle tâche pourra vous être confiée. Il reste parmi nous durant une semaine, je veux que le courrier soit classé d'ici la fin de son stage. Et je veux que vous y mettiez du nerf ! A tout à l'heure ! Et pas de sieste, je vous ai à l'oeil, attention Gaston !
- Ne t'inquiète pas, je vais m'en occuper, moi, de ton stagiaire. Mais prends plutôt soin de toi, tu es tout pâle. Tu dois couver quelque chose.
La porte du bureau se referme sur Fantasio qui a préféré ne pas répondre à Gaston. Resté seul, le préposé au courrier, se gratte la tête, perplexe.
- Un stagiaire ? Mais pour quoi faire ? demande Gaston les poings sur les hanches. Pff, Fantasio avec ses idées parfois... Je n'ai besoin de personne, je me débrouille parfaitement sans l'aide de qui que ce soit. Et j'ai beaucoup de travail, moi !
Il allume une cigarette et il se met à la fenêtre en attendant l'arrivée de son fameux stagiaire. Quelques minutes plus tard, un adolescent entre dans la pièce.
- Bonjour. C'est vous, Gaston ?
Les mains dans les poches, l'individu toise l'employé au courrier qui lui sourit.
- Bonjour, oui, c'est donc toi mon stagiaire ?
- Evidemment ! glousse l'adolescent aux courts cheveux noirs en bataille en rajustant le col de sa chemise blanche impeccable puis en lissant son costume gris anthracite.
- Tu fais quoi comme travail ? s'enquiert le garçon.
- Je suis l'employé au courrier.
- Passionnant ! Je suis déjà au courant. Mais sinon, tu fais quoi comme tâches ?
- Je m'occupe du courrier qui arrive à la rédaction.
- Et c'est tout ? Genre tu n'envoies pas de courrier ou de colis. On ne te confie pas de plis ultra-importants à poster en urgence ?
- Pfff... Non mais je n'ai pas le temps pour ça. dit Gaston en allumant une cigarette. Je trie le courrier qui arrive, notre secrétaire s'occupe d'envoyer les courriers ou les personnes postent eux-même leurs lettres. Il ne faut pas exagérer, je ne travaille que quarante heures par semaine, moi ! Bon, nous allons devoir nous mettre au travail.
- Comme c'est passionnant et ensuite, qu'est-ce que je vais devoir faire ? demande le stagiaire d'un ton plein d'ironie. Parce que tu ne fais pas que du classement, j'espère ? Nous allons vite nous ennuyer. Et trier le courrier de la semaine ne doit pas prendre autant de temps...
- On ne s'ennuie jamais ici. Tu verras, c'est animé.
L'adolescent hausse les épaules et il regarde autour de lui.
- Mais, mais, c'est ça, le courrier en retard ? dit-il en pointant du doigt la montagne d'enveloppes qui envahit les trois quart de la pièce.
- Oui, Fantasio a dit que tout doit être trié d'ici la fin de ton stage.
Le jeune garçon pâlit légèrement avant de se reprendre et de demander à Gaston comment traiter le courrier. L'employé de bureau le lui explique et le stagiaire se met au travail. Pendant ce temps, Gaston se remet au travail ; ses outils à la main, il bricole un nouveau moteur surpuissant qui fonctionne à l'huile de foie de morue. Absorbé par sa tâche, il oublie rapidement son stagiaire qui se met au travail en silence.
Un cri déchire le silence et fait sursauter Gaston.
- Aïe, elle m'a mordu !
Le stagiaire inspecte la pièce d'un regard noir.
- Mais non, ce n'est que Cheese ma souris qui a pris peur. tente de le rassurer Gaston. Elle ne te connaît pas, c'est normal. Elle voulait juste faire connaissance avec toi.
- Une souris qui vit dans le tas de courrier ? s'étonne le stagiaire. C'est normal pour vous ?
- Oui, pourquoi ? Elle y est au chaud et personne ne risque de l'écraser.
Perplexe, le stagiaire reprend sa tâche sans rien dire. De temps en temps, il jette des coups d'oeil à son maître de stage qui travaille sur tout autre chose qu'un travail de bureau. Un peu inquiet, il soulève les paquets de courrier avec précaution avant de les trier.
Durant la pause déjeuner, Prunelle et Lebrac s'intéressent au stagiaire de Gaston. Il leur apprend qu'il est au lycée et que ce stage de découverte du monde professionnel est pour lui une opportunité de découvrir le monde du travail avant d'entrer en école de commerce. Son oncle travaille dans l'édition et est un modèle de réussite à ses yeux dont il a bien l'intention de suivre les traces. Puis l'étudiant refuse d'en dire plus et il replonge son nez dans sa soupe.
Chaque jour, Anatole trie le courrier pendant que son maître de stage vaque à ses occupations favorites qui consistent à bricoler des engins ou des mixtures qui n'ont rien de professionnel dans son bureau. A maintes reprises, le stagiaire manque de vomir sur le courrier et il doit se précipiter pour ouvrir la fenêtre, écoeuré par les odeurs nauséabondes qui se dégagent des éprouvettes de son maître de stage. Sous le feu roulant de ses questions, Gaston tente de lui expliquer ce qu'il fait mais devant le manque d'intérêt teinté de mépris de son subordonné, il renonce. En aparté, il se désole en caressant son chat :
- Ces jeunes ne s'intéressent plus à rien, décidemment. Pas comme toi, hein, mon chat ? Alors, cette soupe de potiron au vinaigre balsamique te plaît ?
Au bout de la semaine, excédé, l'adolescent prend Gaston entre quatre yeux.
- Je suis le neveu de monsieur Dupuis et croyez-moi quand il saura comment vous travaillez, vous pouvez dire adieu à votre poste. Il ne m'a fallu qu'une semaine de travail acharné pour classer le courrier en retard ! Courrier qui si j'en crois vos collègues à qui j'ai pris soin de poser la question, est en retard depuis des années ! Enfin, depuis votre arrivée en ces lieux de désordre et de désolation. J'ai été jusqu'à faire des heures supplémentaires pour vous prouver que c'est possible et vous voyez, j'ai réussi.
Enervé, le stagiaire quitte la pièce à reculons sans quitter des yeux Gaston qui ouvrait une boîte de sardines à l'huile. Absorbé par Cheese la souris qui apprend à nager dans le bocal de Bubulle son poisson rouge, Gaston n'a écouté que d'une oreille le discours de son bras droit du moment.
- Atten...
- Je n'attendrais pas pour lui faire part de mes observations ! Certainement pas ! Je vais d'ailleurs aller lui téléphoner de ce pas. hurle Anatole en faisant un pas en arrière.
Il bute contre l'armoire, la boule de bowling de Gaston lui tombe sur la tête et il s'effondre, assommé.
- Mais ce n'est pas vrai ! A la fin, je l'ai prévenu de faire attention !
Gaston va chercher de l'eau pour ranimer le jeune garçon qui reprend connaissance. Par chance, il n'a qu'une bosse sur la tête et il ne semble pas avoir le crâne fracturé par son accident.
- Bonjour, je suis le nouveau stagiaire.
- Mais ton stage est terminé, tu sais, je suis Gaston, ton maître de stage.
- Bonjour, Gaston, mon maître de stage. Alors, comment s'est passé mon stage ?
- Mais très bien, tu as mené à bien les tâches qui t'ont été confiées comme classer le courrier et répondre aux courriers des lecteurs.
- Et j'ai aimé mon stage ?
- Je crois bien, oui, tu m'as posé des tas de questions pour savoir comment je m'y prenais et tu as bien rattrapé le retard.
- Parfait, mon oncle Dupuis sera ravi de l'apprendre. Au revoir et à bientôt ! Je lui ferai des éloges à votre sujet.
- Au revoir ! lui répond Gaston en agitant la main.
Son chat dans les bras, satisfait, Gaston lui dit combien il est fier d'avoir montré à un jeune combien le travail bien fait est important.
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