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Chapitre 5 : Jill

Jill ne put retenir un cri d’effroi. Elle braqua le faisceau de sa lampe sur le malheureux, qui n’eut aucune réaction. Il était suspendu par les poignets, bras tendus au-dessus de la tête, les genoux fléchis, tous les muscles relâchés. Sa tête reposait mollement sur sa poitrine, et une masse de cheveux poisseux de sang dissimulait ses traits.

Reprends-toi ! Fais quelque chose !

« - Monsieur ? M’entendez-vous ? »

De nouveau aucune réaction.

Traversée de frissons, Jill s’approcha à pas mesurés. Le sol était couvert de sang séché.

Oh mais quelle horreur !

L’homme avait été torturé. Il avait été battu, brûlé, lacéré, poignardé, aucune parcelle de son corps n’avait été épargnée. Il était forcément mort. Il valait sans doute mieux qu’il le soit. Personne ne pouvait survivre à ça.

La gorge serrée, Jill avala douloureusement sa salive. Mais ses réflexes prirent le dessus, et elle avança une main tremblante pour palper le pouls à sa gorge.

Il portait autour du cou une sorte de collier de métal noirci, un simple cercle qui lui serrait le cou, comme un chien. Sa peau était glacée et moite comme celle d’un cadavre. Pourtant, lorsque les doigts mal assurés de Jill s’enfoncèrent dans le creux tendre sous l’angle de la mâchoire, en quête de la carotide, il y eut comme un frémissement.

Une pulsation, puis une autre. Il vivait ! Comment était-ce possible ? Mais l’heure n’était pas aux questions, mais aux actes. Il fallait le détacher et l’emmener à l’hôpital au plus vite, ou ce miracle risquait de ne pas durer.

Les chaînes qui le maintenaient étaient accrochées à un anneau fixé au plafond, et le tout était verrouillé par un cadenas d’aspect ancien. Il devait y avoir une clé quelque part. Jill balaya la petite pièce du faisceau de sa lampe. Il n’y avait aucun meuble, et seuls quelques outils de métal rouillé jonchaient le sol. A les voir couverts de sang, on devinait aisément leur fonction. Les murs étaient nus et une couche épaisse de sang coagulé les recouvrait comme une atroce tapisserie. L’ensemble faisait penser au ventre d’un monstre de chair et de métal. L’air était épais et vicié, il râpait les poumons comme un gaz toxique.

Et cela devait être encore pire quand la porte était fermée. Il ne semblait y avoir aucune autre ouverture.

Là ! Près de l’entrée, simplement suspendue à un crochet, se trouvait une clef. De là où il se trouvait, le prisonnier aurait presque pu tendre la main pour l’attraper. Ce presque avait dû le torturer tout autant que les fers à ses pieds.

Il n’y avait pas de temps à perdre, et aucune aide à attendre. Les pompiers mettraient des heures à arriver dans ce trou perdu, et d’ici là cet homme serait probablement mort.

Jill décrocha la clef et la fit tourner dans le cadenas, entourant le corps de ses bras pour tenter d’amortir sa chute lorsque les chaînes ne le soutiendraient plus. Il y eut un crissement lorsque la chaîne coulissa, mais rien ne se passa comme elle l’attendait. Soudain l’inconnu ouvrit les yeux et se redressa sans effort. Sans un mot, il la repoussa brusquement en arrière. Elle perdit l’équilibre et son crâne heurta la paroi de métal qui résonna comme un gong.

Étourdie, elle lâcha la lampe tandis que l’homme se ruait à l’extérieur. Mais il avait à peine posé un pied à l’extérieur qu’une vive lumière l’entoura. Son corps était parcouru d’éclairs bleutés et il semblait comme figé. Il hurla comme un dément et se courba en deux. Fascinée, Jill vit les éclairs s’épaissir, prendre forme, pour finir par ressembler à des serpents dont les anneaux entravaient l’homme, qui semblait au supplice. Puis les créatures ouvrirent des gueules garnies de crocs acérés, les faisant plus ressembler des murènes, qu’ils plantèrent dans sa chair. L’homme hurla à nouveau, se débattant comme un diable, mais c’était sans espoir. Son sang jaillit de multiples blessures, et il s’effondra. Les serpents se redressèrent en sifflant et disparurent aussi soudainement qu’ils étaient apparus.

Jill était hébétée. Rien de ce qu’elle avait vu n’avait de sens. N’était-ce l’inconnu immobile baignant dans son sang sur le seuil, l’explication la plus plausible aurait été une hallucination.

En était-ce une ? Malgré tout, cela demeurait l’explication la plus plausible. Peut-être que si elle fermait les yeux suffisamment fort, elle finirait par se réveiller dans un lit, et tant pis si c’était dans un service de psychiatrie.

Elle se palpa l’occiput, qui était sensible mais indemne, et se releva prudemment. L’homme était toujours immobile, les yeux clos, respirant à peine. Il gisait face contre terre.

A la lumière des néons, Jill put enfin l’observer plus en détail. Sa peau ravagée de plaies et de cicatrices était cireuse et parcheminée. Il était grand et très maigre. Depuis combien de temps était-il enfermé là ? Des jours, des mois ?

« - Monsieur ? M’entendez-vous ? Je… Je ne vous veux aucun mal, mais vous êtes blessé, alors évitez de vous agiter, vous allez aggraver les choses, d’accord ?

Aucune réponse.

- Est-ce que vous me comprenez ? Je vais vous toucher la main, gardez votre calme. Serrez-moi la main si vous m’entendez.

Elle prit sa main qui était inerte. S’enhardissant, elle glissa jusqu’au bras, puis jusqu’à l’épaule, s’arrêtant juste en dessous de l’une des terribles morsures qui continuait de saigner. Toujours rien.

Avec précautions, elle entreprit de le retourner sur le dos pour l’examiner. Des larmes lui piquèrent les yeux lorsqu’elle découvrit pour la première fois le visage de son inconnu. D’innombrables blessures déformaient ses traits, sans parvenir à masquer le fait qu’il ne devait pas avoir plus d’une vingtaine d’années. Ses paupières avaient été grossièrement cousues avec du fil épais, elles étaient gonflées et suintaient de pus.

Jill réprima un sanglot. Pleurer ne résoudrait rien. Elle mit ses émotions de côté et se glissa avec reconnaissance dans son rôle de chirurgien, laissant ses réflexes prendre le contrôle. L’examen des pupilles attendrait. Il fallait mettre le patient à l’abri et stopper les hémorragies au plus vite.

Elle piocha son téléphone au fond de son sac. Pas de réseau. Elle tenta tout de même de joindre les secours, mais il n’y avait même pas de tonalité. Elle ne se rappelait pas avoir vu de téléphone fixe où que ce soit au cours de son exploration des lieux. Pas même dans la chambre du grand-père.

La chambre ! Tout le matériel dont elle avait besoin se trouvait dans la chambre du vieux. Un frisson de dégoût la parcourut à l’idée d’y retourner, mais la part rationnelle de son esprit le balaya d’une pensée. Elle saisit les poignets du blessé et les croisa devant sa poitrine, les calant sous les coudes. Puis se plaçant derrière lui, elle souleva le haut de son corps, laissant traîner les jambes au sol.

Malgré sa taille, il n’était pas très lourd. Elle le tira ainsi à travers le grenier. L’escalier fut plus difficile à négocier. Elle dut faire plusieurs pauses pour reprendre son souffle et raffermir sa prise sur les poignets de l’homme que le sang et sa propre sueur rendaient glissants.

Elle était exténuée en atteignant la chambre. Reposant son précieux fardeau à même le sol, elle regarda par la fenêtre qui donnait sur la façade. Elle s’y était attendue, mais le coup porta néanmoins. Elle avait trop tardé, et la marée montante avait recouvert le passage. Son mystérieux patient et elle-même étaient bloqués sur l’île pour les dix heures à venir.


Texte publié par Aneyrinn, 19 août 2017 à 16h08
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