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Chapitre 4 : Jill

Les autres pièces étaient heureusement plus banales. Toutes arboraient la même décoration chargée, quelque part entre les styles rococo et maison hantée. Une salle de bains rutilante, et plusieurs chambres manifestement inoccupées.

La bibliothèque retint quelques instants son intérêt. Elle renfermait de nombreux ouvrages ésotériques, dont certains semblaient très anciens. Il faudrait les empaqueter et les expédier à un expert pour les faire évaluer.

Ou un bon feu de cheminée…

Puis enfin elle s’engagea, non sans une certaine appréhension à nouveau, dans l’escalier qui menait aux combles. Comme souvent dans ce type de bâtiments, ils étaient conséquents et l'on pouvait s’y tenir debout tant qu’on ne s’éloignait pas trop de la poutre qui formait le faîte du toit.

La porte s’ouvrit sans protester, et la lumière fonctionnait. C’était inespéré. Mais une odeur nauséabonde lui emplit aussitôt les narines. Comment avait-elle pu ignorer une telle puanteur jusqu’à maintenant ? Il devait y avoir une infiltration d’eau.

Ou l’ancien propriétaire du sang de tout à l’heure…

Le grenier était immense. Il s’étendait sur toute la surface de l’étage, sans aucune cloison pour faire obstacle au regard.

Et il était empli d’un fouillis inimaginable, meubles et cartons débordants de toutes sortes de vieilleries posés à même le sol, le tout rendu indiscernable, emprisonné qu’il était dans une gangue de poussière et de toiles d’araignées.

C’étaient les décombres de plusieurs vies, qui sait combien de générations de Trenton avaient déversé là leurs affaires et celles de leurs défunts ?

Quelque part dans ce fatras devaient se trouver des objets ayant appartenu à sa mère, peut-être des photos ou un journal intime. C’était, il fallait bien l’avouer, le seul vrai but de sa venue. Retrouver une trace de cette femme dont elle se souvenait à peine, et dont elle n’avait pas même pu conserver une photographie.

Jill soupira en parcourant la vaste pièce du regard. Les fenêtres étaient condamnées par des planches épaisses et si précisément collées les unes aux autres qu’aucun rai de lumière ne filtrait.

Dans un coin tout au fond, des cartons avaient été posés sans ménagement et plus d’un s’était renversé sans qu’on se donne la peine de ramasser quoi que ce soit. Intriguée, elle s’approcha pour découvrir que quelqu’un avait dégagé tout un angle de la pièce, car une partie du parquet menaçait de s’effondrer. Les lattes du sol avaient partiellement cédé, et elle apercevait la lumière crue de la salle de bains.

Elle battit en retraite avec précautions en longeant le mur de la main. Le parquet émit un gémissement plaintif.

De ce côté, l’odeur était encore plus forte. Pourtant le plâtre sous ses doigts était sec.

Une minute.

Jill reconstitua mentalement le plan du manoir. Quelque chose clochait. Le mur n’était pas à sa place. Logiquement, c’est la chambre de son grand-père qu’elle aurait dû apercevoir à travers le plancher.

Elle s’écarta du mur pour mieux le détailler. Il était lisse et semblait aussi vieux que le reste. Sans grande conviction, elle le cogna du poing. Il était solide.

Je perds les pédales. Cet endroit taperait sur les nerfs de n’importe qui.

Et cependant, elle ne trouvait pas d’autre explication à ce mystère.

Non loin de l’endroit où le parquet était abîmé se trouvait un empilement de cartons plus haut qu’un homme. Assez large également pour dissimuler une porte. Sentant qu’elle devait en avoir le cœur net, Jill se dressa sur la pointe des pieds pour attraper le carton du dessus. Le sol lui répondit par un grincement de mauvais augure auquel elle ne prêta aucune attention.

Vide. Le carton était vide, de même que le suivant, qui laissa bientôt apparaître le haut d’une porte dont l’encadrement avait été doublé d’un joint d’étanchéité de qualité professionnelle. Le genre qu’on s’attendrait à trouver dans un centre de maladies infectieuses plutôt que dans les combles d’un manoir breton.

Jill resta pétrifiée un instant. Elle n’avait soudain plus aucune envie de ne résoudre aucun mystère que ce soit. Aucune infiltration d’eau ne pouvait dégager ce genre d’odeur.

Bon, il y a un rat crevé dans un grenier. Tu parles d’un scoop.

Pour que ça empeste autant malgré l’isolation, il faudrait qu’il y ait toute la famille.

Le souffle court, elle finit de dégager la porte et posa une main tremblante sur la poignée. De l’autre, elle braquait la lampe-torche, les doigts crispés à s’en faire pâlir les jointures.

S’attendant au pire, elle emplit ses poumons d’air avant de bloquer sa respiration, puis ouvrit lentement la porte.

Celle-ci résista un instant avant de céder dans un chuintement.

L’air vicié la frappa comme une gifle. Elle cilla et dut réprimer un haut-le-cœur. Le faisceau de la lampe balaya la pièce, et il lui fallut un moment avant d’enregistrer ce qu’elle voyait.

Un bureau métallique sur lequel trônait un vieil ordinateur éteint à moitié englouti dans une mer de feuilles volantes se tenait au centre. Tout autour contre les murs de pierre brute s’alignaient des dizaines de cages de tailles diverses.

Et dans chacune se trouvait un petit cadavre en décomposition. Il y avait de pauvres tas de plumes qui avaient dû être des oiseaux, mais également plusieurs animaux à fourrure, dont certains avaient encore la gueule ouverte sur leur dernier hurlement.

Jill se couvrit la bouche d’une main pour ne pas crier. Elle hoqueta et sentit sa peau se couvrir d’une sueur glacée.

Mais qu’est-ce qui se passe ici ?

On s’en tape. Barre-toi d’ici et appelle les flics.

Un bruit de chaînes brisa le silence. Jill sursauta si violemment qu’elle faillit en lâcher sa lampe. Son cœur cogna furieusement dans sa poitrine. Elle n’avait qu’une envie, prendre ses jambes à son cou.

Ressaisis-toi ! Pense avec ta tête !

Ces mots résonnèrent sous son crâne comme à la première fois que son professeur d’anatomie les avait prononcés, alors qu’elle hésitait devant sa première dissection. Ce qui sur le moment n’avait été qu’une boutade lui avait finalement servi de mantra toutes ces années, à chaque situation où la panique menaçait de l’emporter.

Respire, et analyse la situation. Il y a peut-être un animal encore vivant quelque part.

Elle pressa l’interrupteur d’une main peu assurée, et une rangée de néons déversèrent leur lumière blafarde, révélant immédiatement chaque détail avec une cruelle précision.

Contre le mur du fond se trouvait une sorte de conteneur en métal entièrement noir, dont la seule ouverture apparente ressemblait à un sas de sous-marin, avec son volant de serrage. L’ensemble lui évoquait le caisson hyperbare de l’hôpital.

Tu en as assez vu. Retourne en ville et préviens la police.

À nouveau un bruit de chaînes. Qui tintaient contre la paroi de métal. Jill déglutit avec peine, la bouche desséchée.

Il y a quelque chose — ou quelqu’un — de vivant là-dedans. Et probablement plus pour très longtemps.

Cette pensée affermit sa détermination et combla ce qui lui manquait de courage. Posant la lampe sur le bureau, elle agrippa le volant à deux mains. Bien huilé, il tourna docilement.

Il y eut un dégagement d’air. La pression était effectivement plus haute à l’intérieur. Elle ouvrit la porte lentement, laissant la lumière se frayer un chemin peu à peu dans les ténèbres opaques. Ça sentait le renfermé et le sang. Des chaînes pendaient d’un large crochet au plafond, et une silhouette indubitablement humaine y était suspendue.

C’était un homme entièrement nu et couvert de sang.


Texte publié par Aneyrinn, 5 août 2017 à 16h40
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