La tournure des événements força les deux camarades au silence. Ils savaient que la cristallisation n’était pas un phénomène à prendre à la légère. Seule une poignée de magiciens expérimentés, appelés Transcendés, contrôlaient cette malédiction mortifère. De ce fait, Carter n’aurait pas du être capable d’y survivre, pas plus qu’il n’aurait dû en être la victime.
Rhys avança et attrapa la main que Carter fixait depuis une minute. Ils échangèrent un bref regard avant de se détacher l’un de l’autre.
— Tu devrais en parler à Emily avant d’en parler au professeur Sabin.
— Pourquoi ? Je…Je dois en parler à quelqu’un ! Peut-être qu’ils peuvent m’aider !
— Le professeur Sabin sera forcé de le signaler et tu risques de te faire virer du programme. Parle à Emily avant de dire quoi que soit à quelqu’un d’autre.
— Pourquoi Emily ? Je la connais à peine.
— Son père est un Transcendé. Ne me dis pas que t’as jamais entendu parler de Gregory Bellhouse ?
Carter resta silencieux. Pour la première fois, il maudit ses parents et l’éducation magique qu’il n’avait pas reçue. Manquaient-ils à ce point de fierté quant à leurs dons pour se complaire dans la monotonie ?
— Je…Je ne savais pas…
Rhys le dévisagea pour savoir s’il se moquait de lui ou s’il était sérieux. Gregory Bellhouse était l’Archimage le plus célèbre des dix dernières années. Il se déplaçait dans le monde entier, telle une figure héroïque, pour endiguer les menaces surnaturelles. Son plus grand exploit s’était produit en 2008.
En déplacement à Belgrade, il avait empêché un groupe de magiciens extrémistes d’utiliser les arts interdits pour modifier la ligne temporelle de 1917 et sauver Tobias McDouglas de son exécution. Des témoins racontaient qu’il avait combattu pendant plusieurs heures, sollicitant ses ressources jusqu’à l’épuisement. Sa victoire était due au sortilège de lien empathique, lancé en dernier recours, forçant sa cristallisation et celle de ses ennemis par la diffusion de sa sape magique.
—Demande à Emily et si elle n’a pas de réponses à te donner, parles en au professeur Sabin. On s’est déjà fait allumé par Pascal et je ne suis pas sûr qu’en rajouter une couche maintenant soit une bonne chose.
Carter opina. Il n’était pas certain de la manière dont Emily pourrait lui venir en aide, mais Rhys avait raison. Il ne pouvait pas risquer de perdre sa place à l’institut. Il voulait apprendre, mais plus encore à cet instant précis, il ne souhaitait pas revoir ses parents. Il les blâmait pour son incompétence, qui creusait chaque jour un peu plus, ce fossé entre lui et le reste de ses camarades.
Le silence s’appesantit jusqu’à créer une gêne déraisonnée, et força les deux garçons à s’affairer au rangement de leurs effets personnels. Le reste de la matinée défila sans qu’ils ne s’adressent la parole, concentrés sur leur tâche.
Après avoir soigneusement rangé ses vêtements dans les tiroirs sous son lit, Carter récupéra la bourse de cuir tanné au fond de sa valise. Il la soupesa brièvement avant de vider son contenu dans le creux de sa main. Trois anneaux de métal noir s’entrechoquèrent sur sa peau.
— C’est tes conduits ? lui demanda Rhys.
— Oui. C’est un cadeau de ma mère.
—T’as de la chance, j’ai du acheter le mien. Mes parents ne m’offre rien sans que je le mérite.
Carter ne répondit pas. Toute son attention était tournée sur les bagues offertes par sa mère. Les conduits étaient des objets utilisés par les magiciens débutants pour canaliser leur pouvoir. Les baguettes magiques, par exemple, souvent représentées dans le folklore, servaient de conduits aux magiciens ancestraux. Désormais, ils prenaient des formes diverses et variées allant du simple objet jusqu’à certaines formes de vie. Le père de Carter lui avait expliqué que les conduits offrait une sécurité supplémentaire aux mages ne maitrisant pas complètement leurs dons. En cas d’accident, la cristallisation s’opérait en premier lieu sur l’artefact.
Deux coups secs contre la porte annoncèrent le retour de Pascal.
—Je vous attends dans le couloir.
Carter enfila les anneaux sur l’index, le majeur et l’annulaire de sa main droite, récupéra le plan sur son lit et se dirigea vers la sortie. Il remarqua Rhys, immobile et fixant le portrait d’une jeune fille. Il posa la photo sur son lit, attrapa une chaine en argent terminée par un cristal triangulaire et se retourna. Un masque de tristesse voilait son visage.
— Allons-y ! lâcha-t-il finalement.
La visite se déroula majoritairement en silence, à l’exception des quelques précisions de Pascal. Le couloir dans lequel se trouvait leur chambre était situé au rez-de-chaussée de l’aile gauche ; l’aile droite étant réservée aux femmes. Une immense bibliothèque circulaire se trouvait au centre et comprenait le réfectoire.
A l’angle de chaque aile, des escaliers donnaient sur le premier étage où les différents cours avaient lieu. Pascal leur rappela que le règlement intérieur était strict concernant les retardataires, ces derniers automatiquement refusés en classe et renvoyés après de trop nombreuses récidives.
Une fois ses explications terminées, il rebroussa chemin et poussa les épaisses portes de la bibliothèque. Le trio se retrouva sous un dôme sur deux étages. Le parquet verni sur le sol, parfaitement entretenu, reflétait la lumière des orbes lumineuse qui flottaient ça et là. De longues tables de chêne se tenaient à intervalles réguliers et étaient encadrés par des chaises vides pour la plupart. Le plus surprenant était qu’il n’y avait aucune étagère. Les livres lévitaient les uns à côtés des autres et se déplaçaient parfois d’un bout à l’autre de la pièce.
Carter se demanda quelle méthode organisait les ouvrages entre eux. Devait-il demander à emprunter auprès d’une bibliothécaire ou utiliser la magie ? Si la dernière option était la bonne, Carter craignait de ne pas réviser de sitôt. Il n’aurait plus manqué que l’instabilité de son pouvoir détruise des décennies de savoir.
Pascal leur fit traverser l’espace sans un mot. Ils arrivèrent devant un comptoir derrière lequel se tenait une vieille dame rabougrie. Elle jeta un regard en coin au tuteur, avant de reporter son attention sur le groupe devant elle.
— C’est Madame Irma, la responsable du réfectoire. Ne vous fiez pas à son nom, c’est une vraie aigrie ! informa le tuteur à voix basse.
Rhys laissa échapper un rire franc qui attira l’attention de Madame Irma. Elle le fusilla du regard. Ce dernier toussota pour dissimuler son hilarité et fit mine de s’intéresser aux ouvrages qui voletaient au-dessus de sa tête.
— Tu commences mal Rhys. Tu sais qu’elle peut te priver de repas pendant plusieurs jours si elle t’a dans le collimateur ? Je te conseille de montrer patte blanche.
Un sourire élargit les lèvres de Pascal avant qu’il ne reprenne :
— Bon, on déjeune et après je vous emmène en cours. Ne vous inquiétez pas, on vous rendra vos téléphones dans la soirée pour que vous puissiez contacter vos familles. Ils sont en cours d’enchantement.
Ni Rhys ni Carter n’ajoutèrent quoi que ce soit. Ils suivirent docilement Pascal devant le comptoir et l’imitèrent quand il commanda une assiette de frites et un steak. Madame Irma agita les mains au-dessus de la surface en inox. En l’espace de quelques secondes, les assiettes se matérialisèrent. Elle grogna pour signifier qu’ils pouvaient se servir, avant de reporter son attention sur la personne suivante.
— Comment ça marche ? demanda Carter alors qu’ils s’installaient autour d’une table.
— De quoi ? Madame Irma ? Probablement avec de l’huile de désespoir. T’as vu la tête qu’elle tire, je vois pas d’autres solutions.
Rhys manqua de s’étouffer avec une frite alors qu’il explosait de rire. L’animosité de Pascal semblait avoir complètement disparu, comme si les déboires de la matinée ne s’étaient jamais produits. Carter sourit un son tour et tourna son regard vers la vieille dame. A sa grande surprise, elle le fixait de ses yeux de chouette. Un sentiment de malaise l’enveloppa. Pourquoi le regardait-elle avec tant d’intensité ? Avait-elle entendu Pascal ?
— Si tu parlais de la nourriture, c’est simple : Madame Irma est une spécialiste de la Création. C'est-à-dire qu’elle peut matérialiser ce que tu lui demande, à partir du moment où elle sait de quoi tu parles. Il ne faut pas non plus que ce soit trop compliqué, parce que sinon tu peux te brosser !
— C’est impressionnant pour son âge ! Je pensais que seuls les Archimages et quelques Enchanteurs pouvaient utiliser la magie de Création, commenta Rhys.
— C’est le cas. Madame Irma est Enchanteresse. Sa mère était divinatrice à Paris pendant la première guerre mondiale, ce qui a rendu sa famille célèbre. Vous avez bien dû entendre les humains parler de Madame Irma en ce moquant des diseuses de bonne aventure ? Et bien, vous avez la descendante de la légende sous les yeux. Glamour nan ?
Carter buvait les paroles de Pascal, s’imprégnant de cette histoire qu’il trouvait fascinante. Il n’aurait jamais imaginé que ce nom, si péjorativement perçu par les masses, n’était autre que celui d’une figure historique. Son père lui assurait souvent qu’il y avait une part de vérité derrière les contes et légendes. Il en avait désormais la preuve et cette perspective l’enchantait.
Il jeta un coup d’œil à Madame Irma et remarqua qu’elle le dévisageait encore. Seulement, cette fois, un sourire étirait les rides autour de sa bouche. Décidément, la vieille femme semblait outrageusement intéressée par sa personne !
— Bon allez, terminez de manger, vous devez être en cours dans vingt minutes.
Rhys et Carter ne se firent pas prier. Ils avalèrent le reste de leur assiette sans un mot et suivirent Pascal quand ce dernier se leva. Le trio se dirigea vers le comptoir de Madame Irma, leur assiette dans les mains. Pascal déposa la sienne sur le comptoir et s’éloigna sans un mot pour la vielle femme. Rhys l’imita.
— Merci. Bon courage, dit Carter au moment de déposer son assiette.
— En voilà un magicien bien poli, je commençais à croire que j’étais devenue invisible.
— Ah…je…non désolé.
— Ne t’inquiètes pas mon petit, il en faut plus pour vexer une vieille harpie comme moi. C’est fou, mais tu as hérité du même regard que la petite Cutrone !
Carter ne sut quoi répondre, interloqué par l’affirmation de Madame Irma. Etait-il possible qu’elle connaisse sa mère d’une manière ou d’une autre ?
— Vous connaissez ma mère ? Theresa Cutrone ?
— Theresa ? Non. C’était quoi son nom déjà…Elise…Non ! Lisa, voilà ! Lisa Cutrone. Quel terrible accident, pauvre petite.
Carter la dévisagea. Il n’avait pas la moindre idée de ce dont elle parlait. Peut-être que sa mémoire défaillait et qu’elle confondait avec un autre élève. La coïncidence aurait été grossière, mais il ne connaissait de toute façon pas d’autres Cutrone que sa mère.
— Carter, bouges toi ! l’interpela Pascal.
Il sourit poliment à Madame Irma et rejoignit Rhys et Pascal qui s’impatientaient. Alors qu’ils s’éloignaient, Carter n’osa pas lancer un dernier regard en arrière. Sans savoir pourquoi, la méprise de la vieille femme le terrifiait. Le nom de Lisa Cutrone ne lui disait rien et pourtant, à force de répétition, il ne pouvait se départir du sentiment de l’avoir déjà entendu auparavant.
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