Les genoux de Carter faiblirent sous son poids et il s’écroula sur le sol. La nausée qu’il avait ressentie lors de sa dernière téléportation semblait ridicule en comparaison à celle qui enserrait désormais son estomac. Il laissa l’air s’échapper par sa bouche en une expiration puissante et inspira par le nez. Son esprit refusait que cette faiblesse prenne le dessus. Pas devant le regard dédaigneux de Rhys qui restait immobile.
— Tu vas quand même pas vomir, l’asticot ? lâcha-t-il finalement de sa voix rauque.
La honte se diffusa, brûlante, du haut de ses joues jusqu’à ses tempes. Comment pouvait-il être si pathétique ? S’il en avait eu l’occasion, il serait parti en courant pour se cacher au détour d’un couloir. Non ! Il se refusait à admettre qu’il n’était pas fait dans la même étoffe que ses camarades. Il était prêt à assumer l’embarras si cela lui permettait d’en apprendre plus sur ses capacités et leurs limites.
Au moins, il était désormais fixé sur une chose : la téléportation n’était pas faite pour lui.
— Bon, lève-toi ! Tu m’fous la honte là ! cracha Rhys sans lui proposer une main amicale pour se relever.
Carter poussa sur ses bras flageolant. Son corps refusait de lui répondre et il maudissait mentalement chacune des secondes qui prouvaient à Rhys qu’il était inférieur. Il n’y avait aucune raison logique pour que le quaterback le déteste, mais le mépris semblait être le seul sentiment qu’il nourrissait à son égard.
— Ohlala, mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ? Vous savez qu’il est interdit de se battre hors des heures de cours, déclara une voix masculine.
— On ne s’est pas battu ! Il a le mal des transports, j’y suis pour rien ! s’exclama Rhys en guise de défense.
— Et tu comptes le laisser par terre ?
Rhys grogna de mécontentement avant de passer les mains sous les aisselles de Carter. Il le souleva sans le moindre effort et l’aida à se stabiliser.
— Merci, lui souffla Carter.
— De rien l’asticot, chuchota Rhys dans l’espoir que l’inconnu ne l’entende pas.
Carter n’ajouta rien. Les paroles de Rhys installèrent sa gêne plus confortablement dans le creux de son ventre. Un sentiment désagréable qu’il n’avait pas eu depuis ses années lycéennes et qu’il avait espéré ne pas revivre en arrivant ici.
À la recherche d’une diversion, Carter reporta son attention sur le jeune homme devant lui. Une paire de lunettes rondes perchée sur l’arête de son nez entourait son regard amusé. Il n’était pas beaucoup plus grand que Carter, qui approchait à peine du mètre quatre vingt, mais semblait plus âgé. Son visage, et son port altier, témoignaient de son sérieux. Pourtant, la courbure de ses lèvres minces suggérait qu’il trouvait la situation cocasse.
Ce dernier constat ne rassura pas Carter sur la possibilité de s’en faire un allié. S’il s’amusait de son embarras, il était clair qu’il prenait parti pour Rhys et sa camaraderie inexistante.
— Je m’appelle Pascal. Je serais votre tuteur pour cette première année.
Il tendit la main. Carter la serra avec aplomb et fut gratifié par un sourire compatissant en retour.
— Rhys Weissinger, enchanté. Où sont nos chambres ? intervint Rhys en ignorant la main suspendue dans le vide.
Une grimace tordit le visage de Pascal. Il posa son regard désormais glacial sur le quaterback.
— Suivez-moi.
Le trio avança le long d’un couloir. Un sol de marbre blanc cassé s’étendait sous leurs pieds et s’accordait avec les murs couverts d’un papier peint jauni par le temps. Sur leur gauche, des fenêtres placées à intervalles réguliers semblaient donner sur l’extérieur.
Carter jeta un bref coup d’œil par delà les vitres. À sa grande surprise, il ne put discerner aucun paysage. Tout ce qui se trouvait dehors était enveloppé dans un épais brouillard.
— Tu peux toujours essayer de regarder, l'institut se déplace trop vite pour voir le paysage, expliqua Pascal qui semblait avoir des yeux derrière la tête.
Carter se renfrogna et réfléchit à la manière dont un bâtiment de cette taille pouvait constamment se déplacer. Après tout, quelqu’un aurait bien fini par le remarquer. Si leur établissement était physique et invisible, il heurterait avions et volatiles. S’il ne l’était pas, il devait se trouver sur un plan de réalité différent. Il supposait que dans un cas comme dans l'autre, les sortilèges devaient être d'une puissance considérable.
— Voilà ! Vous partagerez la chambre 124. Vos bagages devraient être là, mais s’il vous manque quoi que ce soit prévenez-moi et on s’occupera du reste. Au bout de ce couloir, vous trouverez les douches communes des garçons. Les toilettes sont justes à côté. J’ai déposé un plan de l’école, la liste des attributions de vos camarades, si jamais vous voulez savoir où les trouver et votre planning d’apprentissage. Vous n’avez pas cours aujourd’hui, juste une petite évaluation de votre niveau pour faire des groupes de travail. Je vous laisse vous installer et je reviens vous chercher dans deux heures, pour le déjeuner. Je suis dans la chambre 110 si vous avez besoin. Des questions ?
— Pas pour moi. Merci beaucoup Pascal, remercia Carter.
Pascal jeta un bref coup d’œil à Rhys qui le fixait, impatient.
— À tout à l’heure ! lança-t-il avant de se détourner.
Rhys ouvrit la porte et pénétra à l’intérieur de la chambre, Carter sur ses talons.
La pièce, d’une taille confortable pour deux personnes, était d’une sobriété sans équivoque. La moquette sur le sol tirait sur le beige et les murs, peints en blanc, s’écaillaient par endroit. Directement en face de l’entrée, deux bureaux d’un chêne sombre et verni se tenaient côte à côte. Des étagères de la même souche étaient installées juste au-dessus, vides de toute documentation. Des couches individuelles couvertes de draps et d’oreillers noirs étaient placées aux extrémités de la chambre, collées aux murs sur leur longueur.
Rhys retira ses chaussures de deux gestes rapides et se jeta sur le lit de gauche.
Carter s’assit sur celui de droite et remarqua la sphère au plafond. Elle oscillait doucement dans le vide et projetait une lumière presque naturelle dans la pièce.
Les valises qu’ils avaient dû préparer avant leur départ se trouvaient à côté d’une armoire taillée dans le même bois que le reste du mobilier, juste entre l’entrée et le lit de Rhys. Le courrier du programme MAGUS leur avait indiqué de rassembler le nécessaire et de tout laisser devant la porte d’entrée de leur maison. Carter se rappela s’être demandé si quelqu’un dans l’établissement était spécialement chargé de passer chez chacun des apprentis pour récupérer leurs effets personnels.
— Putain mec, t’as vu Adela ? Elle est bonne ! s’exclama Rhys affalé sur son lit.
Carter hésita une seconde. Rhys n’avait pas été particulièrement sympathique jusqu’à maintenant et il était étonnant qu’il se laisse aller à une conversation plus anodine.
— C’est vrai qu’elle est jolie.
— Jolie ? Elle est carrément canon ouais ! Genre, si je ne me la tape pas avant la fin de l’année autant me cristalliser.
L’espace d’un instant, Carter considéra la possibilité de sympathiser en creusant le sujet, mais en fut incapable. Son manque d’expérience romantique et ses mésaventures avec des garçons comme Rhys, le poussait à rester sur ses gardes. Il fallait qu’il trouve un moyen de mettre un terme à la conversation sans attirer des questions malhabiles le poussant à se confesser.
— Bonne chance, lâcha-t-il finalement sans conviction.
— Bonne chance ? Ça veut dire quoi ça ? Tu penses que j’ai aucune chance avoue !
— Je sais pas, je viens à peine de te rencontrer, mais si tu veux essayer de la séduire, je te souhaite bonne chance.
— Parce que toi tu vas pas essayer peut-être ? T’as encore moins de chance que moi l’asticot !
— T’en fais pas, c’est pas trop mon genre.
— Ah ? Et c’est quoi ton genre ? Tu préfères les filles qui se la pètent comme Emily Bellhouse ? Ou alors les timides comme Hayane ?
— Euh… Non plus.
Rhys posa un regard inquisiteur sur Carter.
— Tu préfères les mecs, c’est ça ?
Carter détourna les yeux, le visage embrasé par sa gêne grandissante. Toute cette situation lui donnait envie de mentir. De raconter des expériences qu’il n’avait jamais vécus, et qui, peut-être, lui offriraient un semblant de contenance.
Pourtant, il ne put s’y résoudre. Inventer des souvenirs n’était qu’une solution passagère. Il était sûr que de faux aveux lui permettraient de gagner du temps, mais pas d’échapper complètement à la vérité.
— Mais non ! T’es gay, l’asticot ? insista Rhys
— Ça ne te regarde pas ! Tu peux laisser tomber s’il te plaît ?
Comme s’il percevait la bataille qui faisait rage dans la tête de Carter, Rhys se leva et traversa la pièce pour venir s’asseoir près de lui. Il posa son regard sur le visage du magicien qui n’osait bouger et qui fixait un point dans le vide devant lui. Voir l’effet que produisait sa présence imposante éveilla ses sens. D’un geste lent, presque félin, il s’approcha davantage.
Carter tourna enfin la tête dans sa direction. L’appréhension dansait dans ses yeux caramel alors que l’oxygène commençait à lui manquer. Son cœur battait la chamade, si fort qu’il avait l’impression de n’entendre que ce rythme assourdissant.
Il ne comprenait pas ce qui était en train de se produire, mais sa peur entamait une étrange valse avec une excitation inexplicable. Rhys se pencha lentement. Son visage était désormais si proche que Carter pouvait humer le parfum de son déodorant aux teintes boisées et sentir la chaleur de son haleine contre ses joues.
Quand Rhys posa ses lèvres sur les siennes, une décharge électrique hérissa tous les poils de sa peau. Il resta là, passif, incapable de ciller.
Jamais il n’aurait imaginé son premier baiser de la sorte, si impersonnel et inattendu. Pourtant, la chaleur dans le creux de son ventre lui indiquait qu’il n’était pas insensible à cette attention déraisonnable. Il ferma les yeux et s’abandonna à la douceur de ces lèvres habiles.
Puis, Rhys le repoussa brusquement et explosa d’un rire gras. Il se leva et s’éloigna vers son lit. À chacun de ses pas, ses épaules se soulevaient sous les spasmes incontrôlables de son hilarité. Quand retourna finalement ses joues étaient rosies par son euphorie.
— Désolé, mais j’ai vraiment pas pu m’en empêcher ! C’était tellement facile ! J’espère qu’Adela sera aussi facile que toi !
Carter se leva d’un bond et s’essuya la bouche d’un revers de la main. Son visage se décomposa et blêmit à mesure qu’il comprenait le piège de son camarade. Toute cette situation n’était qu’une moquerie de plus. Une fourberie malsaine destinée à le rendre encore plus pathétique qu’il ne l’était déjà.
Alors, sans pouvoir le contrôler, il se mit à pleurer.
L’expression amusée de Rhys disparu face au trouble de Carter. Il fit un pas en avant, prêt à venir le consoler, mais s’arrêta pour se renfrogner. Un malaise certain dansait désormais dans le bleu de ses yeux et tordait sa bouche en un rictus enfantin.
— Pas la peine de te mettre dans cet état, c’est qu’une blague ! C’est pas grave si t’aimes les mecs, ça me dérange pas. Tu peux même me mater quand je me change si ça te fait plaisir !
La détresse de Carter se transforma en une colère noire. Ses sanglots s’arrêtèrent et il planta ses yeux rougis dans ceux du quaterback.
L’air dans la pièce se chargea d’une intensité palpable. La chambre s’emplit d’une eau déchaînée, glaciale et immatérielle. Carter avança malgré lui, à peine conscient de la magie qu’il effleurait du bout des doigts. Ses émotions s’occupaient de tendre la corde de son pouvoir pour libérer les flots magiques autour de lui. Rhys sembla le comprendre et recula d’un pas. L’inquiétude remplaça son masque gêné à mesure que Carter approchait.
— Mec ! J’suis désolé, c’était une blague ! Tu veux te faire virer ou quoi ? On n’a pas le droit de se battre en dehors des cours. Calme-toi ! On va avoir des problèmes ! Je peux pas me permettre de me faire virer, mes parents me tueraient ! Pitié arrête ça, tu me fais flipper !
La porte s’ouvrit en trombe et Pascal fit irruption dans la chambre. Il leva le bras, paume tendue en direction de Carter.
— Assez ! ordonna-t-il d’une voix sèche.
Une bourrasque balaya la pièce et emporta avec elle la tempête surnaturelle créée par Carter. En l’espace d’une seconde, l’air reprit sa consistance habituelle et toute magie résiduelle disparue.
Carter laissa échapper un soupir avant de se tourner vers Pascal.
— Je… je suis désolé. Je ne contrôle pas… excuse-moi.
— C’est le premier et dernier avertissement ! Si je dois encore intervenir, je vous envoie tous les deux voir Monsieur Sabin et j’écris un courrier demandant votre exclusion du programme. Est-ce que c’est clair ? répondit Pascal autoritaire.
Rhys hésita un instant et serra les poings sur ses cuisses. L’embarras se lisait sur son visage, adoucissant ses traits plus que de raison. À voir son expression déconfite, la colère de Carter s’évapora, rapidement remplacée par une étrange compassion.
— Désolé, souffla Rhys sans regarder Pascal.
— Carter, si je te reprends à utiliser la magie contre un élève, je demanderai ton exclusion. Surtout quand tu n’es même pas capable de manier tes dons correctement. Et toi Rhys, tu as intérêt à faire un effort. J'ai bien vu comment tu te comportais tout l'heure et ça ne te ferais pas de mal d'être plus sympa !
Carter déglutit péniblement et acquiesça. Il ne pouvait pas dire que les événements se déroulaient comme il le souhaitait, mais cette intervention de Pascal avait le mérite de remettre les choses en perspective. Il n’était pas là pour se faire des amis, mais pour devenir Archimage. Rhys avait peut-être dépassé les bornes, mais sa réaction avait été inadmissible. Sans entraînement et sans les connaissances nécessaires, il aurait très bien pu le blesser ou même le tuer.
— Jetez un coup d’œil au règlement intérieur et préparez-vous. Je reviens vous voir tout à l’heure.
Pascal quitta la pièce sans un regard supplémentaire. Sa colère flotta un instant dans son sillage, imposant un silence de plomb.
Rhys se tourna vers Carter, son visage toujours peint par l’embarras. Ses yeux brillaient comme s’il était sur le point de pleurer.
— Je… je suis désolé, j’ai vraiment déconné.
Carter le jaugea un instant sans savoir s’il pouvait le croire. Il sentait encore son odeur et la pression de ses lèvres contre les siennes. Un rappel bien trop vivace que son premier baiser n’avait été qu’une fourberie. Pourtant, voir la détresse et les larmes dans les yeux de Rhys le poussait à accepter ses excuses.
Sa mère lui disait souvent que sa plus grande faiblesse était l’empathie qu’il témoignait aux moins méritants. Pour lui, il s’agissait d’un trait incontrôlable de sa personnalité. Il n’avait jamais réussi à se détourner d’un regard implorant ou d’un appel à l’aide. Peut-être le regretterait-il par la suite, mais pour aujourd’hui, il succomba aux sirènes de sa gentillesse.
Il laissa un sourire rassurant fendre ses lèvres pulpeuses et avança. Instinctivement, Rhys recula.
— Si tu promets de ne plus jamais recommencer un truc pareil, je veux bien faire comme s’il ne s’est rien passé.
Rhys le dévisagea un instant, incapable de décider s’il était sérieux ou s’il s’agissait d’une tromperie. Pourtant, la douceur des traits de Carter apaisa son esprit et il tendit la main.
— C’est promis !
Ils échangèrent une poignée franche et les yeux de Rhys s’écarquillèrent, terrifiés.
— Carter, tes doigts !
Carter regarda sa main droite et découvrit avec horreur que son index et son majeur étaient couverts d’une matière bleutée et opaque. Il resta figé un instant, confus et muet.
Il était impossible que ce phénomène lui arrive alors qu’il n’avait même pas utilisé la magie. Son sort n’était qu’une réaction colérique, interrompue avant de prendre forme. Non ! Cela ne pouvait pas lui arriver, pas si tôt, pas alors qu’il avait tant à apprendre.
Il fixa ses doigts transformés en cristal. Seule la mort attendait les mages victimes de cristallisation et il ne voulait pas mourir. Il refusait de mourir !
Alors, comme si un esprit bienveillant avait entendu sa supplique, la malédiction s’effaça peu à peu. Son index et son majeur retrouvèrent leur aspect de chair et de sang, laissant le doute planer sur la véracité de cet événement terrifiant.
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