Carter avait la tête dans un étau. La douleur, lancinante, s’étendait du haut de son front jusqu’à ses pommettes. Ses jambes flageolaient sous son poids, si bien qu’il perdit l’équilibre maladroitement. Les bras puissants de Jonas le rattrapèrent avant qu’il ne heurte le sol. Ses prunelles d’obsidienne posées sur Carter laissait transparaître une incompréhension soucieuse. Pourtant, il resta silencieux et aida son camarade à se relever.
Carter ouvrit la bouche pour le remercier, mais une violente nausée s’empara de lui. Il inspira profondément, persuadé qu’il pourrait la chasser ainsi, en vain. Elle contaminait son estomac et répandait sur sa langue une salive acidulée.
Jonas posa la paume de sa main gauche sur son front et murmura des mots dans une langue inconnue. Une vague de chaleur traversa brièvement Carter, éradiquant sur son passage les reflux de bile qui se déchaînaient à l’intérieur de son estomac.
—Merci.
Jonas opina avant de le lâcher. Des ricanements sur sa gauche attirèrent son attention. Il jeta un coup d’œil et remarqua les deux garçons et les deux filles qui se moquaient de Carter sans vergogne. Ce dernier se rendit compte de l’attention que son état appelait et baissa les yeux, éhonté. Clairement, la téléportation n’était pas faite pour lui.
—Allons, allons, Monsieur Lewell n’a peut-être jamais voyagé de la sorte. Il est inutile de se moquer de lui, résonna une voix durcie par le temps.
Sans se départir de leurs sourires, le groupe reporta son attention sur celui qui les avait intimé au calme. Carter les imita et découvrit l’homme qui se tenait là. Il portait un costume noir à la coupe italienne fait sur mesure. Un nœud papillon d’un rouge électrique était attaché au col de sa chemise d’un gris anthracite : une combinaison de couleurs douteuse, mais qui fonctionnait étonnamment à son avantage. Il exsudait une confiance et une prestance difficile à ignorer. Peut-être était-ce dans sa posture ou le placement de sa voix, mais tout chez lui inspirait le respect.
Ce qui s’accordait d’autant plus avec les traits sévères de son visage. Ses cheveux gris coupés en brosse et ses sourcils broussailleux au-dessus de ses yeux d’un bleu profond. Son visage imberbe se creusait au niveau des joues, ce qui mettait en avant la raideur de sa bouche sans l’ombre d’un sourire. Une cicatrice commençait sous son œil gauche et descendait en diagonale en travers de ses lèvres pincées.
Son regard survola l’assemblée devant lui. Seize nouveaux apprentis qui allaient commencer leur formation au sein du programme MAGUS. Des jeunes adultes dotés de ressources magiques extraordinaires qui deviendraient peut-être de formidables Archimages.
Il inspira profondément et déclara de sa voix profonde :
—Je vous souhaite la bienvenue au sein du programme MAGUS. Vous avez été sélectionnés pour votre potentiel et nous n’attendons qu’une chose de vous : que vous honoriez notre enseignement en vous surpassant chaque jour.
Il marqua une pause volontairement dramatique et prit le temps d’observer les visages rêveurs de ses nouveaux étudiants. Tous avaient réussi l’épreuve de la porte avec brio, à l’exception de Carter Lewell. Du groupe, il était le seul qui n'avait pas volontairement utilisé la magie pour se sortir du sortilège censé le ralentir. La réaction de son pouvoir avait été inconsciente et incontrôlable, comme si le réflexe d’un enseignement oublié lui était revenu en mémoire.
Un phénomène qui expliquait le masque d’inquiétude sur son visage cuivré. Il ne connaissait rien à la magie, mais comprenait l’opportunité qui lui était offerte. Ce qui n’empêcha pas le professeur de remarquer la flamme déterminée dans son regard. La même qui dansait derrière les prunelles de Lisa Cutrone, prodige de sa promotion, disparue trop tôt.
L’espace d’un instant, il considéra la possibilité que Carter ressemble à sa tante jusque dans les sordides détails qui avaient précipité sa mort. Une pensée morbide qui se dissipa face à l’absence d’arrogance du jeune homme.
—Est-ce que nous pouvons savoir où nous sommes ? demanda une jeune femme d’origine asiatique.
Carter regarda autour de lui pour découvrir avec stupeur que la pièce dans laquelle ils se trouvaient ne possédait aucun repère. Le sol était fait de dalles grises collées les unes aux autres. Si on n’y prêtait qu’une attention fugace, il était presque impossible de discerner les lignes de séparation entre chacun des blocs de pierre. Les murs étaient semblables au sol en toute apparence, délivrant l’étrange impression d’être enfermé à l’intérieur d’un univers miroir. Il n’y avait ni porte ni fenêtre et pourtant, la pièce était éclairée par une lumière solaire.
—Nous sommes actuellement quelque part entre le Canada et l’Alaska. La première chose à savoir est que le lieu où vous vivrez pendant les prochains mois est constamment en mouvement, répondit le professeur d’une voix claire et grave.
—Ce qui veut dire que nous sommes prisonniers, intervint de nouveau la jeune femme.
—Non, Mademoiselle Ishikawa. Vous êtes libres de partir à tout moment. Il vous suffit pour cela d’en parler à l’un de vos professeurs ou à votre tuteur. Notez cependant que tout départ, hors de la période de l’équinoxe ou qui ne serait pas justifié par une urgence familiale, sera irrémédiable. Dois-je comprendre que vous voulez déjà nous quitter, Mademoiselle Ishikawa ?
Tous les regards se tournèrent vers la jeune femme. Gênée, elle baissa la tête, ses longs cheveux d’un noir de jais glissant autour de son visage. Elle se pencha en une révérence gracieuse et s’exprima d’une voix aigüe.
—Je vous présente mes excuses. Je ne voulais pas vous manquer de respect. Je suis honorée d’avoir été sélectionnée par le programme MAGUS.
—Allons, allons. Il n’est pas nécessaire de vous excuser, votre question était tout à fait légitime et témoignait de la fougue de votre jeunesse. Je suis le professeur Marcel Sabin. C’est moi qui vous enseignerais tout ce que vous devez savoir sur la magie de soutien et je suis également le référent pour votre promotion. Toute question relative à votre séjour ici peut passer par moi, je suis toujours disponible.
Il marque une pause et jaugea l’assistance, intense.
—Aujourd’hui, nous nous occuperons de votre installation et de votre orientation. Si le programme est le même pour tous, là où nous vous placerons pour votre stage de première année, dépendra de vos pré requis et de vos envies. Le programme MAGUS n’est pas une école à proprement parler. Vos professeurs prendront note de vos progrès et de votre potentiel, mais vous ne serez évalués que lors des épreuves de fin de trimestre, ainsi que par votre maître de stage. Notez cependant que les professeurs peuvent voter pour votre exclusion du programme s’ils jugent que vous n’êtes pas à la hauteur. Évidemment, le non-respect du règlement intérieur entraînera également votre interdiction de poursuivre votre formation. Notre but est de former les prochains Archimages de cette génération et le seul moyen d’y parvenir est de continuer à honorer un code de conduite strict.
Le cœur de Carter manqua un battement à l’écoute de cette explication. Le professeur Sabin ne leur laissait presque aucune marge de manœuvre et, pour quelqu’un comme lui qui ne connaissait que le strict minimum au monde de la magie, l’idée d’être expulsé au moindre manquement le terrifiait. Peut-être qu’en théorie les règles étaient plus souples, mais il était clair que la sélection des magiciens n’était pas un gage de réussite.
—Pour le moment, je vais vous attribuer à vos chambres. Si j’appelle votre nom, merci d’avancer devant moi.
Le professeur Sabin laissa apparaître un léger sourire avant de se racler la gorge bruyamment. Il détailla une fois encore l’assistance, comme s’il semblait hésiter, et inspira profondément.
—Emily Bellhouse et Hayane Ishikawa !
Les murmures étonnés de l’assistance brisèrent le silence qui régnait en maître. Le nom de Bellhouse était vraisemblablement connu de tous. Emily ne prêta pourtant aucune attention aux voix qui commentaient doucement son statut et vint se positionner devant le professeur Sabin. Hayane, la jeune femme qui avait pris la parole plus tôt, la rejoignit rapidement.
Le professeur Sabin ferma les yeux et leva les bras au-dessus de sa tête. L’espace d’un instant, un vrombissement tellurique résonna dans la pièce ; écho d’un séisme lointain, signature de la magie du professeur. Puis, Hayane et Emily disparurent sans un bruit, effacées de la réalité en un battement de paupière.
Carter maudit silencieusement le moyen de transport qu’il emprunterait dans les prochaines minutes, mais ne put empêcher l’admiration de le submerger. Malgré son ignorance, il savait que l’art des déplacements magiques était complexe et difficile. Voir le profeseur Sabin transporter deux personnes autres que lui était un exploit, une preuve de son statut et de ce qu’il était possible d’attendre de son enseignement.
—Eun-Ae Park et Adela Cuaron ! Continua le professeur Sabin.
Adela était une belle femme au teint basané et aux formes généreuses. Son regard de chat se balançait d’une personne à l’autre, synchrone avec le mouvement de ses hanches. Les hommes de la pièce ne purent s’empêcher de la suivre des yeux alors qu’elle les devançait pour prendre sa place, un sourire volontairement aguicheur retroussant le coin de ses lèvres charnues.
Eun-Ae était loin d’avoir la même prestance qu’Adela et sa petite taille la rendait presque invisible dans le sillage de sa camarade. Sa coupe au bol modernisée dansait sur le haut de sa tête, animée par sa démarche maladroite. Elle s’arrêta à côté d’Adela et repositionna ses grosses lunettes rondes qui glissaient le long de son nez mutin.
Une seconde, un vrombissement et le manège se répéta. En moins de temps qu’il le fallait pour le remarquer, les deux femmes avaient disparu.
—Carter Lewell et Rhys Weissinger !
Fasciné par les disparitions de ses camarades, Carter ne comprit pas immédiatement qu’on avait appelé son nom. Jonas lui donna un léger coup de coude, accompagné d’un sourire franc, pour le tirer de sa torpeur. Ses lèvres formèrent des mots que Carter ne parvint pas à décrypter.
Ce dernier s’avança finalement et rejoignit sa place face au professeur. Rhys l’imita sans un mot.
Le jeune homme mesurait un peu plus d’un mètre quatre vingt et était battit comme une armoire à glace. Son visage rond et ses yeux bleus, trop proches l’un de l’autre, lui donnaient l’air d’être plus simplet qu’il ne l’était probablement. Ses cheveux, couleur de paille, étaient plus longs sur le haut de sa tête qu’au niveau de ses tempes. Rhys avait tout du quaterback américain, populaire et hautain. Ce dernier jeta d’ailleurs un bref coup d’œil à Carter et laissa l’exaspération se lire sur son visage.
L’impression de malaise naquit dans le ventre de Carter qui n’eut pourtant pas le temps d’y attacher une quelconque importance ; Le vrombissement se répandit dans l’espace et l’obscurité l’enveloppa tout entier.
**|**
Le regard bleu-vert du jeune homme était tourné vers le ciel. Cela devait bien faire une vingtaine de minutes qu’il n’avait pas bougé. La confusion embrumait son esprit et le paralysait, rendant son choix sur la direction à emprunter impossible. La trace de sa cible avait disparu, s’était volatilisée. La lueur blanche avait effacé toute trace de son existence. Non ! Pas effacé, transporté quelque part qu’il ne pouvait pas atteindre sans y avoir été invité.
Il détourna son regard du ciel et regarda la route de bitume devant lui. Pas une voiture à l’horizon ni même un badaud qui pourrait lui donner la moindre information. Il n’y avait que ces étendues verdoyantes autour et une maison, au loin, dont il discernait à peine la forme.
Il fit un pas en avant. Un poids tomba dans son estomac. Il avança encore. La sensation de lourdeur remonta en une boule jusqu’à sa gorge. Il s’arrêta. Des larmes glissaient désormais le long de ses joues. Il pleurait, mais ne savait pas pourquoi. Il se doutait que cela était lié à son incapacité à le retrouver, mais il ne pouvait en être certain. Du moins, cela n’expliquait pas la tristesse irrépressible qui s’emparait de lui, forçant ses membres à trembler sous le coup de l’émotion.
Il essuya les larmes qui souillaient ses joues pouponnes et regarda sa main trempée.
Devant ses yeux, le bout de ses doigts perdit en consistance jusqu’à disparaître. D’abord translucides, ses phalanges s’évaporèrent en contaminant le reste de sa main du même virus. Il tendit son autre main, mais elle n’était déjà plus. L’horreur et la panique remplacèrent sa tristesse. Ses deux mains avaient cessé d’être et il ne savait pas pourquoi ni quoi faire. L’étrange gommage de son existence se propagea petit à petit le long de ses bras ; attaqua ses pieds pour remonter le long de ses jambes.
Sa respiration s’accéléra alors qu’il ne restait de lui qu’un tronc flottant au-dessus du sol. Il se mit à hurler de terreur, mais il n’y avait personne alentour pour lui venir en aide. Si seulement Il avait été là, rien de tout cela ne serait arrivé ! Pourquoi avait-il dû toucher la sphère lumineuse ?
Son ventre s’effaça à son tour et la contamination magique poursuivit son ascension maligne.
Ses cris semblaient accélérer le phénomène, mais ne il réussissait pas à se taire. Quand son visage fut la prochaine victime de sa soudaine disparition, il n’eut que le temps de lancer une dernière supplication étranglée.
—CARTER !
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